Attentat de Moscou: Poutine ignore l'EI pour mieux bâillonner les critiques
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AFP
Obnubilé par la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine ignore la revendication par le groupe jihadiste État islamique (EI) de l'attaque meurtrière près de Moscou, préférant instrumentaliser ce tragique événement pour charger Kyïv et museler les critiques sur le plan intérieur, s'accordent à dire des experts.
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Le massacre de vendredi a fait au moins 137 morts dans une salle de concert de la banlieue de la capitale russe, l'attaque la plus meurtrière sur le sol européen revendiquée par l'EI.
Pourtant, le Kremlin a refusé lundi de commenter cette revendication, arguant que l'enquête était toujours en cours.
Le président russe, quant à lui, a affirmé ce week-end que les auteurs présumés de la tuerie étaient liés à l'Ukraine sans avancer de preuves.
«Il y a une instrumentalisation (de l'attentat) parce que l'obsession de Vladimir Poutine, c'est l'Ukraine», souligne Sylvie Bermann, une ancienne ambassadrice de France en Russie. «Il est dans sa logique de guerre en Ukraine et les Ukrainiens sont responsables de tout», ajoute-t-elle, sans toutefois s'avancer sur la possibilité que Moscou puisse intensifier le conflit à cette occasion.
L'Ukraine, qui combat les troupes russes sur son sol depuis février 2022, a farouchement nié avoir le moindre «lien avec l'incident».
Les États-Unis ont également rejeté la version du président russe. Ils ont en outre assuré, peu après le massacre, que leurs services de renseignement avaient mis en garde la Russie contre une attaque susceptible de viser de «grands rassemblements» à Moscou. Le Kremlin avait réagi en qualifiant cette alerte de tentative de déstabilisation.
«Il y a encore quelques années (...), Vladimir Poutine remerciait publiquement les Américains» d'avoir alerté la Russie d'«un possible attentat de l'EI à Saint-Pétersbourg», rappelle Sylvie Bermann, notant ainsi «une rupture consommée avec l'Occident».
Pour Dimitri Minic, de l'Institut français des relations internationales (IFRI), le chef de l'État russe «agit de façon prévisible et reste cohérent avec une ligne traditionnelle chez les élites politicologue-militaires» qui «ont tendance» à être aveuglées par des croyances et un mode de pensée qui «les poussent à croire que l'Occident se trouve derrière tout événement déstabilisant».
Il voit dans le récit de l'attentat par Vladimir Poutine une volonté de «ne pas brouiller la ligne idéologique : "the West vs the Rest"», l'Occident contre le reste du monde.
«Ne pas diviser la société russe»
En outre, «accuser l'Occident permet de ne pas diviser la société russe, multiconfessionnelle et multiethnique, et de maintenir l'intégrité territoriale de la Fédération», ajoute ce chercheur spécialiste de la Russie.
Par ailleurs, reconnaître que l'attentat a été commis par l'EI, c'est admettre que la présentation d'une Russie sûre et stable «où l’État est omnipotent et les services spéciaux tout-puissants maîtrisent tout est un mythe», poursuit Tatiana Kastouéva-Jean, également de l'IFRI.
Selon cette experte des questions russes, il s'agit pour Vladimir Poutine de détourner l'attention «des failles de sécurité» et de rallier «tous ceux qui hésitent encore sur la scène intérieure» quant à la nécessité de combattre les Occidentaux et l'Ukraine.
Bien que la revendication par le groupe État islamique ait été clairement exprimée, les experts doutent que l'opinion publique se fissure face à la féroce répression en cours.
«L'attentat peut-il (...) être saisi comme une aubaine pour surfer sur l'angoisse de la population ?», interrogeait déjà dimanche l'universitaire Anna Colin Lebedev dans une série de messages sur le réseau X.
«Évidemment», écrivait-elle, estimant que «si le Kremlin veut effectivement lancer une nouvelle phase de mobilisation (pour les combats en Ukraine) et durcir encore le verrouillage interne, l'attentat crée un contexte très propice».
D'après Sylvie Bermann, il existe certes «des jeunes éduqués ayant accès aux informations», notamment aux critiques de l'opposition russe en exil à l'encontre des services de sécurité russes, accusés d'être devenus une simple machine à harceler les citoyens au lieu de s'attaquer aux véritables menaces.
En outre, des vidéos circulent montrant que les assaillants présumés ont été torturés avec la possibilité d'aveux extorqués.
Mais «la grande majorité de la population écoute la propagande» des autorités russes, souligne la diplomate.
«Une partie de la population croira ou se contentera de ce que racontent les médias russes et l'autre aura ses doutes, voire ses convictions mais ne voudra ou ne pourra rien y faire», conclut Dimitri Minic.