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Après le racisme systémique, le «féminisme intersectionnel» est-il le nouveau concept interdit de la CAQ?

DIDIER DEBUSSCHERE/JOURNAL DE QUEBEC
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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2023-02-23T22:47:09Z
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Le «féminisme intersectionnel» est-il, pour la CAQ, un concept à proscrire comme l’est le «racisme systémique»? Le gouvernement a dit cette semaine qu’il ne s’agissait pas de sa vision du féminisme, mais ça semble pourtant être exactement ce que le parti défendait il y a quelques mois à peine, même s’il ne le nommait pas ainsi.

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C’est quoi, le féminisme intersectionnel?

Reprenons l’histoire du début. D’abord, qu’est-ce que le «féminisme intersectionnel», cette vision que la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, a rejetée mercredi à l’Assemblée nationale? 

Le féminisme intersectionnel vise d’abord à reconnaître que les femmes ne forment pas un groupe homogène et que certaines d’entre elles peuvent être discriminées pour des raisons autres que le genre, explique la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Mélanie Ederer.

Comme le genre, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique ou culturelle, l’âge, le statut socioéconomique et la présence d’un handicap sont susceptibles de nuire à la qualité de vie de gens. 

Certains groupes de femmes «vivent à l’intersection de différentes oppressions, et vont rencontrer des obstacles au cours de leur vie que d’autres ne vivront jamais», poursuit-elle. C’est pour ça qu’on parle de féminisme «intersectionnel». 

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Ce qui s’est passé avec la CAQ

En prévision de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, la députée de Québec solidaire Ruba Ghazal a présenté mardi une motion pour que l’Assemblée nationale encourage «l’analyse différenciée selon les sexes (ADS +) dans une perspective intersectionnelle afin de défendre les droits de toutes les femmes au Québec», tel que rapporté par Le Devoir

L’ADS + est une approche qui permet de discerner les effets différenciés des politiques et projets de loi, afin de prévenir la création d’inégalités. 

La motion n’a toutefois pas pu être débattue en chambre. Le bureau de la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, a expliqué avoir voulu retirer la partie concernant l’intersectionnalité. 

La ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron.
La ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron. DIDIER DEBUSSCHERE/JOURNAL DE QUEBEC

«Ce n’est pas notre vision du féminisme», a indiqué au Devoir le cabinet de la ministre Biron. 

En juin dernier, le gouvernement de la CAQ présentait pourtant sa Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2022-2027. Parmi les principes directeurs: le droit à l’égalité pour toutes les femmes, notamment celles qui font face à des discriminations croisées. 

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«On peut notamment penser aux femmes immigrantes ou racisées, autochtones, aînées, en situation de pauvreté, en situation de handicap ou de la diversité sexuelle et de genre. Afin de proposer des actions efficaces, il importe de s’intéresser aux interactions entre ces différents facteurs dans le vécu des femmes», peut-on lire dans les premières pages du document. 

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Sans mentionner le mot «intersectionnalité», la stratégie dévoilée par le gouvernement Legault il y a huit mois à peine introduisait la définition exacte du féminisme intersectionnel. 

Serions-nous en train d’assister au même débat que celui entourant le racisme systémique, une notion que la CAQ refuse catégoriquement d’inclure dans son vocabulaire? C’est ce que soulève la professeure à l’École de travail social de l’UQAM et à l'Institut de recherches et d'études féministes (IREF), Maria Nengeh Mensah. 

Un faux débat qui fait violence

«Le féminisme intersectionnel, c’est le féminisme contemporain. La notion est incontournable aujourd’hui», explique-t-elle.  

«Il faut comprendre que le féminisme est pluriel. Avec tout ce qu’on sait sur le profilage racial ou sur les femmes autochtones, ce n’est pas très stratégique d’écarter l’intersectionnalité. C’est un faux débat.» 

Mais, «est-ce que c’est le mot intersectionnel qui pose vraiment un problème pour la CAQ ou c’est le mot féminisme?» s'interroge la professeure Mensah. 

Quoi qu’il en soit, ce refus de reconnaître le féminisme intersectionnel, bien que le gouvernement se dise en faveur de l’égalité, «fait violence à plusieurs femmes», dénonce la coordonnatrice générale du Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec, Marie-Andrée Gauthier. 

«Ça signifie que la CAQ ne va pas agir pour s’assurer que toutes les femmes aient accès à l’égalité, une vie sans violence, la sécurité ou des conditions de vie et de travail décentes.» 

Un exemple frappant

Un bon exemple de l’intersectionnalité se trouve dans l’écart salarial entre les femmes. 

En 2022, une femme gagnait 89 cents pour chaque dollar empoché par un homme, révèle Statistique Canada. Pour les femmes racisées, toutefois, l’écart est beaucoup plus important: elles gagnaient en moyenne 59,3% du salaire des hommes blancs, selon la Fondation canadienne des femmes. 

«Le féminisme intersectionnel permet de reconnaître que différentes oppressions sont vécues simultanément par des personnes, et qu’elles sont indissociables les unes des autres», résume Marie-Andrée Gauthier. 

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