Alicia Moffet: être aimée pour soi
Elle a des centaines de milliers de fans, un album, un enfant, une maison, une ligne de vêtements et j’en passe.
Emmanuelle Martinez
Si vous suivez Alicia sur les réseaux sociaux, on ne vous apprend rien jusqu’ici. Ce qui est moins flagrant, c’est qu’à 23 ans, cette fille voit bien au-delà des paillettes. Pour ne rien attendre des autres. Et pour sa bâtir une vie qui lui ressemble.
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C’est la première fois depuis deux ans que je réalise une entrevue en tête-à-tête. Le stress. Quand Alicia s’assoit devant moi, je comprends vite qu’elle était la personne idéale pour renouer avec l’exercice. Simple, directe, drôle, elle dégage d’emblée une énergie bienveillante. C’est un talent de savoir mettre les gens à l’aise. Elle le cultive. On brise la glace en parlant d’astrologie, son grand plaisir pas du tout coupable, même si elle le prend toujours avec un grain de sel: «Je suis née le 22 juillet. J’ai toujours pensé que j’étais Cancer – ce qui me parle, vu que je suis très émotive –, mais j’ai appris il y a peu que, techniquement, je suis Lion. J’ai l’orgueil et la fierté du Lion, ce besoin de briller et d’être sur scène. Bref, je suis vraiment un bon mix des deux!»
Elle me demande mon signe, puis mon ascendant, avant d’avancer quelques suppositions sur mes traits de personnalité. Ça résume bien le ton de notre rencontre, qui est moins une entrevue qu’un échange, voguant constamment entre légèreté et profondeur. Alicia renvoie la balle, pose des questions. «J’aime savoir qui j’ai en face de moi, d’où la personne vient. J’adore creuser. Dans une autre vie, j’aurais voulu être psychologue, mais je pense que j’aurais été mauvaise (rires). Je me serais sentie trop impliquée émotionnellement.» Elle sait écouter et, de son propre aveu, s’adapter aux autres. Pour que les gens se sentent bien en sa présence. Pour qu’ils l’aiment aussi. «Le plus beau compliment qu’on puisse me faire est de me dire que je suis fine, et que je suis pareille dans la vie que sur les réseaux. On se fait tellement dire que cet univers-là est fake – et il l’est – mais, pour une raison que j’ignore, j’éprouve le besoin vital de sentir que les gens m’aiment pour moi, pour ce que je suis vraiment.»
Les déceptions
En réalité, Alicia sait d’où vient ce besoin et, au fil des mots, elle délie sa pensée. En 2013, encouragée par sa mère qui décèle son talent pour le chant, elle participe au concours The Next Star, à Toronto. «Ç’a été une mauvaise expérience. C’était la première fois que je passais à la télé, et ce n’était pas moi. Je ne choisissais ni mon look ni mes chansons. Rien ne me ressemblait. Je reste reconnaissante d’avoir fait le tout parce que ça a fait de moi qui je suis, mais je me suis aussi dit: “Plus jamais!”» En 2015, il y a La Voix. Elle a 17 ans, devient plus connue et autour d’elle, les regards changent. Humainement parlant, des illusions se perdent. «J’ai bien compris que certains se crissaient éperdument de moi et profitaient simplement de ma visibilité. Aujourd’hui, à part ma famille, j’ai peu d’amis proches. J’ai eu trop de mauvaises expériences dans mes amitiés, alors j’ai moins d’attentes à l’égard des gens que je côtoie. Je les apprécie pour ce qu’ils sont et j’accepte qu’on ne peut pas toujours avoir les mêmes intérêts ni tout partager.» Amère, Alicia? Pas du tout. Elle parle sans animosité et avance sans rancoeur. Son empathie, elle, est restée intacte. C’est sa force. C’est son talon d’Achille.
Créer son monde
Avez-vous déjà vu Alicia chanter? «Beautiful Scar», ou «Strangers», version unplugged?
Qu’on aime ou non sa musique, il se passe quelque chose. Ça brasse là-dedans. «À un moment donné, j’ai frappé un mur, parce que – c’est plate à dire – mais tout allait bien dans ma vie et je ne savais plus de quoi parler.» La pandémie, qui a tout mis sur pause, n’a pas aidé... Dans ces moments-là, quand vient le temps de créer, Alicia dégaine son super pouvoir. Elle s’inspire de ce que vivent les gens autour d’elle, se branche à son canal émotions et se plonge dans un état d’empathie totale. Je ne doute pas que ça marche. Cette fille qui regarde droit dans les yeux les aurait pleins d’eau si je lui parlais de la mort de mon chat (qui, heureusement, va très bien, merci). C’est bien beau, mais c’est drainant ce besoin de faire plaisir, qui prend parfois le pas sur celui d’imposer ses limites. Pour s’en protéger, elle a appris à s’affirm et, surtout, elle a appris à s’entourer. Personnellement et professionnel lement. Par exemple, elle fait parfois appel à une coauteure, qui l’aide à peaufiner ses textes. «C’est toujours mieux. Elle est excellente.» Elle évoque avec gratitude les membres de sa petite équipe, choisis avec soin pour leurs compétences autant que pour leurs qualités humaines. «J’ai besoin de me sentir bien avec chacune des personnes avec lesquelles je travaille. C’est crucial.» C’est d’autant plus important que depuis le lancement de son premier album, Billie Ave., en juin 2020, Alicia a pris le chemin difficile. Dans la perspective de rester en contrôle de son image et de la qualité de tout ce qui est lié à son nom – notamment sa gamme de vêtements, AM Collection, qui lui a demandé deux ans de travail –, elle produit sa musique de façon indépendante plutôt que de passer par un label. C’est plus de travail. C’est plus compliqué. Mais ça ne lui fait pas peur.
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Quand tout va (trop?) vite
Ce qui lui fait peur? Le vide, la solitude, l’ennui, l’agressivité des gens. Ce qui l’énerve? La mauvaise réputation qui nimbe les métiers de créateur de contenu et d’influenceur. C’est précisément la raison pour laquelle elle a mis les bouchées doubles ces dernières années, histoire de prouver qu’elle ne se tourne pas les pouces entre deux publications Instagram. «On vit dans une société où si tu l’as facile, tu n’as pas de mérite. Je trouve ça triste, mais on dirait que je ne me détends que si j’ai la sensation d’avoir suffisamment travaillé.» Par contre, ça donne une liste d’accomplissements un brin intimidante. À l’âge où je fixais le plafond en écoutant Radiohead, à me demander ce que je pourrais bien faire de mon avenir, Alicia, elle, avait déjà la vie et les préoccupations d’une adulte. «J’étais avec mon chum depuis quatre mois quand je suis tombée enceinte. J’avais 20 ans. Maintenant, après un roller coaster d’émotions, on a enfin un rythme de croisière avec Billie Lou. Suis-je prête pour un deuxième enfant? Abbbbbsolument pas.» Quand on sait à quel point la parentalité bouscule un couple, et qu’Alex est non seulement son amoureux* et le père de sa fille, mais aussi son manager, tout ça à seulement 23 ans, on se dit qu’Alicia est bonne! «On se le dit quand on n’est plus capables l’un de l’autre (rires)! Mais c’est sûr que c’est challengeant. C’est pas facile d’être en couple avec quelqu’un, de travailler avec quelqu’un, de vivre avec quelqu’un et d’élever un enfant avec quelqu’un, alors quand tu fais tout ça avec la même personne, c’est beaucoup de pression.»
Le doute
Cette fille sait exactement qui elle est et où elle va. Pour ce qui est de ce qu’elle vaut, c’est moins évident. Le doute prend beaucoup de place. «Je me demande constamment si ce que je fais est bon et si ça va être bien reçu. Je ne veux pas décevoir les gens qui me suivent. En même temps, je trouve que c’est une force, parce que ça me garde humble et “groundée”. Surtout que j’ai appris sur le tas. J’ai gagné en rigueur et en professionnalisme depuis.» N’empêche, elle a encore peur que tout s’arrête, que le momentum se perde. Alors elle pense donc à des plans B, pour que son avenir ne dépende pas de sa popularité et que sa fille soit à l’abri. L’un de ses discrets tatouages est d’ailleurs le B de Billie, qui orne son annulaire. Un autre, Me vs Me, est là pour lui rappeler qu’elle est sa plus dure critique et que se comparer aux autres ne sert à rien. Si elle s’en est fait un mantra, c’est parce qu’elle est consciente que la comparaison est un fléau sur les réseaux sociaux. Très protectrice de sa communauté de fans, elle veille à ne pas contribuer à cet engrenage. «Mon côté un peu goofy et niaiseuse, je l’avais déjà, enfant. Mais, avec le temps, j’ai réalisé que je l’avais développé en partie pour casser cette impression de petite blonde cute. Je veux éviter de susciter l’envie ou la négativité.»
L’autodérision
C’est vrai qu’Alicia a tout pour elle. Elle doit bien être la cible de critiques de temps en temps? «Je sais que je n’ai pas la science infuse, et je sais quand me taire (rires). Je me fais rarement insulter ou critiquer, du moins pas ouvertement.» La jalousie, on sait tous d’où ça vient: de l’insécurité. Et on l’a tous ressentie d’une façon ou d’une autre, un jour. Alicia le comprend, même si ça la révolte en dedans. Sa parade à elle? En rire. Nommer les malaises... et faire des grimaces! Au moment où j’écris ces lignes, les images de la séance photos me rappellent que la jeune femme aux yeux clairs a des airs de madone botticellienne. En entrevue, j’étais captivée par son teint diaphane, tout en sachant pertinemment qu’aucun produit cosmétique ne pourrait m’aider à reproduire la magie de la génétique (et me rajeunir de 20 ans, accessoirement). Jamais, cependant, je n’ai eu la sensation qu’elle jouait de sa beauté ou de son statut. Elle me parle naturellement des couacs de sa vie, des crises de terrible two de sa fille, du côté contrôlant qu’elle apprend à gérer au même titre que ses émotions, de sa déception d’avoir raté l’occasion de vivre la lancée de son premier album à cause de la pandémie. «Ça, c’était un mal pour un bien, finalement. Ma fille avait un an, je n’étais pas vraiment prête à partir en tournée.»
L’avenir
Mais elle est prête pour la suite. Le morceau «Lullaby», où elle exprime l’autodérision dont elle est capable vient de sortir,. En février, elle remontera sur scène pour un show d’envergure, «le premier depuis longtemps. Je suis à la fois excitée et stressée.» Une nouvelle collection de sa gamme de bijoux et de vêtements streetwear sera offerte sous peu. «Je suis contente parce que j’adore le bleu cobalt de ton jumpsuit et ce sera la couleur de plusieurs morceaux. Ça veut dire que je ne suis pas trop dans le champ (rires)!» Il y a d’autres fers sur le feu, mais ceux-là restent secrets pour l’instant.
Alicia me remercie pour le moment «relax» qu’on vient de passer ensemble. Elle retourne vers sa voiture sous la pluie battante, non sans s’assurer de savoir comment je vais rentrer chez moi. Maternelle jusqu’au bout des ongles. Et fine. Une vraie de vraie fine.
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*Note de la rédaction: Depuis l’entrevue, réalisée en novembre, Alicia a annoncé sa séparation. Pour préserver sa vie privée – qu’elle a demandé aux médias de respecter – nous avons choisi de ne pas lui demander de commenter le sujet avant de partir sous presse.