À 77 ans, la mère de Stefano Faita sort son premier livre de recettes
Marjolaine Simard
Elena et Stefano Faita nous ont accueillis au coeur de la Petite Italie, où ils gèrent plusieurs commerces. L’animateur de MasterChef Québec est ravi de voir sa mère réaliser un grand rêve avec la publication de son livre de recettes La cucina di Elena. D’ailleurs, l’amour de la cuisine et l’importance du travail bien fait sont au coeur des valeurs de cette famille d’immigrants italiens.
• À lire aussi: Ces 6 vedettes participeront à l'émission spéciale Noël de MasterChef Québec
• À lire aussi: Stefano Faita nous ouvre les portes de son quotidien chargé dans un documentaire
Nous avions rendez-vous dans les locaux de l’ancienne école de cuisine Mezza Luna, situés à quelques pas de la Quincaillerie Dante, qu’Elena dirige avec amour depuis 1981. Bien qu’elle n’ait pas repris les rênes de l’école après la pandémie, elle y propose encore occasionnellement des formations. Elle désigne une grande planche de bois qui trône au fond de la salle. «Vous voyez, là, dans le coin? C’est la planche circulaire que ma mère utilisait pour faire ses pâtes. Tout ce que j’ai hérité d’elle, c’est son rouleau et cette planche. Cet objet est sacré pour moi; il me porte chance, et je prévois de le léguer à mes petits-enfants!» confie Elena.
Aujourd’hui encore, Elena prépare ses pâtes sur cette planche avec le même doigté que sa mère, un moyen de perpétuer les traditions familiales. «La cuisine est au coeur de notre famille. Les traditions culinaires m’ont été transmises par ma grand-mère, Concetta, ma mère, Teresa, et ma belle-mère, Angela. Chacune avait sa propre méthode, et j’ai toujours adoré apprendre. Quand les enfants étaient petits, nous recevions beaucoup à la maison!» raconte Elena.
Stefano se souvient de l’effervescence qui régnait à la maison le samedi soir pendant son enfance. «Ma mère préférait recevoir plutôt que d’être reçue. Elle préparait tranquillement les plats toute la semaine et, le samedi, elle les assemblait avant l’arrivée des invités. Elle avait le don de toujours les servir chauds.» Elena, qui cuisinait souvent pour ses quatre frères avant de se marier, considère ce genre de soirée en groupe comme une évidence. «Préparer un repas pour huit personnes, pour moi, c’est tout à fait normal!»
L’immigration
La cucina di Elena n’est pas seulement un livre de cuisine; il fait aussi le récit de l’histoire de sa famille. Originaire de San Vittore del Lazio, celle-ci a immigré à Montréal au début des années 1950. «Je raconte l’histoire de ma famille et de notre immigration au Québec lorsque j’avais sept ans. Je voulais montrer les difficultés que nous avons rencontrées en quittant l’Italie, et la peine que nous avons ressentie en laissant derrière nous nos grands-parents. Ces adieux étaient définitifs: mon père et ma mère n’ont jamais revu leurs parents. Puis, la vie ici n’était pas facile. Nous n’avions rien. Nous avons tout bâti en travaillant très dur et en apprenant la langue. Nous partions de loin. Ce qui nous a permis de tenir, c’est notre unité familiale!»
La cuisine était le coeur de cette famille unie, un lieu où elle se rassemblait pour préparer des plats délicieux et se laisser bercer par les airs d’opéra de Giuseppe. «Un de mes frères est un grand chanteur d’opéra. Il a obtenu une bourse et il est allé étudier le chant au conservatoire de Milan. Il a connu une carrière remarquable en Europe. Nous avons donc grandi entourés d’opéra et de musique classique. Le piano et le métronome vibraient dans la maison!»
Stefano attendait ce livre de cuisine avec impatience. «Il raconte l’histoire de notre famille. Il parle de nos proches, des femmes importantes dans la vie de ma mère, et des chefs invités à son école de cuisine. Je suis très fier d’elle! À 77 ans, elle a enfin réussi à réaliser son rêve. C’est un véritable exploit! Ayant moi-même publié des livres de cuisine, je comprends l’effort que cela représente. Et ce livre est extrêmement précieux pour mes enfants (il a eu deux filles et un garçon avec la comédienne Isabelle Lemme) et ceux de ma soeur, Christina. Pour eux, c’est un héritage très important!»
Le marché des possibilités
«Avec mes parents, nous habitions sur la rue Drolet», se remémore Elena. «Notre fenêtre donnait sur le marché Jean-Talon, où ma mère, Teresa, travaillait. Le matin, vers 4 h, le producteur de légumes, monsieur Joly, arrivait avec sa récolte. Ma mère le voyait depuis sa fenêtre et se rendait à son étal pour vendre ses produits comme s’ils étaient les siens. À cette époque, les immigrants cherchaient certains légumes plus rares, presque introuvables au Québec, comme les aubergines et les tomates italiennes. Ma mère a proposé à monsieur Joly de les cultiver, et son étal est rapidement devenu très populaire auprès des immigrants!»
Stefano garde aussi de bons souvenirs liés au marché. «Quand j’étais plus jeune, on pouvait y acheter des poules et des lapins vivants. Je me souviens de ma grand-mère arrivant avec une poule vivante, qu’elle préparait ensuite de A à Z. Pour elle, vivre près du marché était important, car cela lui rappelait sa vie en Italie et ses traditions. Mon premier emploi, à 12 ans, a été de vendre des légumes au marché comme elle le faisait!»
Ce lieu a également offert une occasion importante à Elena. «J’ai envoyé Stefano et Christina au marché pendant l’été pour les occuper et leur apprendre l’importance du travail. C’est là que j’ai commencé à faire des démonstrations pour les visiteurs. Ç’a été le début du partage de mes connaissances en cuisine!»
Une quincaillerie italienne
Sur la devanture de la quincaillerie, ornée de fleurs en abondance, on peut lire «Dante depuis 1956». Ce magasin, ouvert par l’oncle d’Elena, a été repris par celle-ci en 1981, aux côtés de sa soeur Maria et de son frère Rudy. «Ç’a été la première quincaillerie italienne à Montréal. Nous approvisionnions principalement les Italiens travaillant dans le secteur de la construction. Pendant les 25 premières années de l’histoire de la Quincaillerie Dante, notre clientèle était exclusivement italienne. Cependant, avec l’arrivée des quincailleries à grande surface, de nombreuses petites boutiques ont fermé leurs portes. Nos comptables nous ont avertis que, si nous ne changions rien à notre entreprise, nous risquions de connaître le même sort. À cette époque, nous proposions déjà des chaudrons, des machines à pâtes, de l’équipement pour faire des saucisses... Stefano travaillait avec moi à la quincaillerie les weekends. Ma fille Christina, qui venait de terminer ses études universitaires, nous a dit: “Il faut retirer toute la quincaillerie et la peinture. Il faut se renouveler! À la place, nous allons vendre des articles haut de gamme pour la cuisine!”»
Le mari et meilleur ami d’Elena, Mattia, décédé des suites d’un cancer en février 2022, l’a énormément encouragée à entreprendre ce grand virage à la quincaillerie. «Mon mari était directeur d’une grande entreprise. Pourtant, malgré ses responsabilités, il venait aider chaque weekend à la quincaillerie, et il donnait même un coup de main à mes parents au marché Jean-Talon. C’était mon meilleur ami et un père exceptionnel. Il m’a soutenue dans tout ce que j’ai entrepris. Il me manque encore chaque jour!»
Pas comme les autres
«C’est aussi ma soeur Christina qui a pensé à ouvrir une école de cuisine, lance Stefano. Cette idée est née après une édition du Salon de l’habitation où ma mère et elle ont fait des démonstrations de pâtes fraîches, qui ont obtenu un succès phénoménal. C’est là que Christina a proposé: “Pourquoi ne donnerions-nous pas des cours de cuisine?” Ainsi est née Mezza Luna, notre école de cuisine. Chaque semaine, ma mère préparait une recette, mon père, ma soeur et moi la goûtions, la rectifions, puis nous l’enseignions. C’était tout un processus! Au début, l’école était installée dans l’appartement de ma soeur. Nous ne pouvions accueillir que de six à huit personnes. Évidemment, avec le succès grandissant des cours, elle a dû quitter son appartement, devenu trop sollicité et parfois chargé d’odeurs indésirables, et nous avons agrandi l’école pour recevoir jusqu’à 24 personnes!»
À cette époque, Elena était tout de même inquiète à l’idée d’enseigner. «Je ne parlais pas très bien français. Peu de gens savent que les religieuses ont refusé de nous enseigner en français, parce que nous étions des immigrants. J’ai appris le français grâce à mon école de cuisine. Ensuite, les médias se sont intéressés à nous. J’ai fait mes premières apparitions télévisées dans les années 1990, dans le magazine culturel Les p’tits bonheurs de Clémence, animé par Clémence DesRochers. Je dois avouer que je ne comprenais pas toujours très bien ses blagues! (rires)»
Mille pots de tomates
Un jour, un cuisinier a débarqué à la quincaillerie avec l’idée folle de préparer 1000 pots de tomates en conserve pour son restaurant, et il voulait savoir comment faire. Ce jeune chef encore inconnu des Faita s’appelait Martin Picard. «J’ai dit en italien à ma fille: “Il est complètement malade!” se souvient Elena. Martin est revenu et a demandé notre plus grande machine pour broyer les tomates ainsi que 1000 pots. Il m’a ensuite invitée à son restaurant. Lorsque je suis entrée dans sa cuisine, les 1000 pots étaient alignés sur le comptoir. Ma fille Christina et Martin sont tombés amoureux et ils ont été ensemble pendant quatre ans. Aujourd’hui, il est comme un fils adoptif pour moi!»
On connaît la suite: Martin et Stefano coaniment maintenant la populaire émission MasterChef Québec. On comprend mieux d’où vient leur belle complicité.
À son image
Elena partage avec générosité les recettes de sa mère, notamment celle de sa sauce, et elle en propose une de pâte à pizza agrémentée d’une touche de sirop d’érable, une autre d’agneau chasseur, plat préféré de son père, Luigi, ainsi que celle de la polenta de sa belle-mère, Angela. Elle dévoile aussi la recette des fameux supplì al telefono, ce plat dont Stefano raffole depuis l’enfance... et il lui reste des centaines de recettes dans ses dossiers. On attend déjà le deuxième tome de ce livre plein de tendresse, de souvenirs et de délices!
Le livre La cucina di Elena est publié aux Éditions Trécarré. Stefano coanime la quotidienne MasterChef Québec du lundi au jeudi, à 19 h 30, sur les ondes de TVA.