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Monde

3 questions pour mieux comprendre les carburants de l'invasion russe

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Julien Corona | Journal de Montréal

2022-02-24T15:57:01Z
2022-02-24T17:28:48Z
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Alors que nos yeux, et ceux des médias, sont tournés vers l'Europe face à l'invasion russe en Ukraine, revenons sur les raisons profondes de cette crise pour essayer de comprendre comment elle pourrait se conclure.

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Le 21 février, à Moscou, le président russe Vladimir Poutine a annoncé que la Russie reconnaissait l’indépendance de deux groupes séparatistes situés dans le Donbass ukrainien.  

Tôt le 24 février, il a ensuite annoncé une «opération» militaire en Ukraine, et de nombreux bombardements ont immédiatement suivi, visant des sites stratégiques partout au pays.

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Cette décision vient mettre un terme au processus de paix des accords de Minsk signés en 2014, considéré comme «mort» par Poutine, et transforme le conflit opposant l’Ukraine aux rebelles en un véritable face-à-face redouté entre l’Ukraine, voire l’Occident en entier, et la Russie. 

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Si une chose doit être retenue du discours de Poutine, c’est la quasi-négation du droit d’exister de l’État ukrainien, une «invention» de Lénine et des bolcheviks au moment de la création de l’URSS, selon les dires du dirigeant russe.  

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Cette affirmation, beaucoup plus détaillée dans un essai de plus de 5000 mots que Poutine a publié en juillet 2021, met en exergue l’héritage que partagent la Russie et l’Ukraine.  

Sa volonté est de réunir à nouveau ces peuples frères sous un même toit, ou au moins sous la même influence. 

Par son énonciation de l’erreur fondamentale consistant à avoir laissé partir les territoires de l’ancien empire russe ou de l’ancienne Union soviétique sans condition, Poutine ravive les souvenirs d’un impérialisme passé, mais nous amène surtout à nous demander:  

Pourquoi Poutine veut-il avoir le plein contrôle de l’Ukraine? 

1. Des questions de sécurité   

Après l’effondrement de l’URSS en 1991, et alors que la Russie n’avait pas ou plus les moyens de s’opposer aux ambitions occidentales, les anciens pays satellites de l’URSS, comme la Pologne, la Roumanie ou la Bulgarie, ont un à un rejoint l’OTAN.  

Vinrent aussi les anciennes républiques soviétiques de la Baltique (Lituanie, Lettonie et Estonie), ainsi que des rapprochements et une coopération militaire accrue avec l’ancien pays neutre «tampon» entre les deux blocs, la Finlande.  

Vladimir Poutine et ses différents conseillers voient cet encerclement comme une menace pour la sécurité de la Russie. 

En dépit de l’engagement occidental à ne pas considérer la Russie comme un plein ennemi, et en dépit de la volonté des anciens pays de la sphère soviétique, d'intégrer l’OTAN pour mieux se connecter au monde occidental, la Russie considère comme une menace pour sa sécurité la présence toujours plus importante d’armes et d’armées prooccidentales à ses portes. 

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C’est cette raison qui l'a poussée, sous couvert de venir en aide aux républiques séparatistes prorusses, à mener la guerre en Géorgie en 2008. C’est cette raison qui l'a poussée à soutenir, sur un même format, mais dans un espace plus prolongé, des républiques similaires dans le Donbass.  

En dépit de la promesse faite en 2008, suivant laquelle l’OTAN n’intégrerait pas l’Ukraine dans l’alliance, le rapprochement prooccidental continu depuis la révolution de Maïdan en 2014 semble être vu comme une initiative similaire.  

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Cette dernière demande ainsi correction par le pouvoir russe. Et si possible, cette correction doit aussi s’appliquer à l’extension de l’OTAN vers l’est, et à la multiplication de moyens de défense aux portes de la Russie.  

Comme l’explique Poutine depuis l’accélération de la crise, «personne ne doit renforcer sa sécurité aux dépens des autres».      

2. Des questions politiques et démocratiques   

Vladimir Poutine explique à tous que la grande volonté de son action est un recadrage de l’action occidentale dans les régions qui constituaient le pré carré de la Russie. Mais est-ce aussi une réaction viscérale contre les différents mouvements démocratiques qui ont touché dernièrement les pays limitrophes de la Russie (et la Russie elle-même), et auxquels l’Ukraine sert d’inspiration depuis la révolution de 2014?

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Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand et professeur titulaire de sciences politiques à l’UQAM, a accepté de faire la lumière sur cette question pour nos collègues du 24h. Comme il l’explique, Poutine tenterait de freiner l’influence de la démocratie ukrainienne sur son pays. 

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«Ce qui pose particulièrement problème à Poutine, c’est la dérive démocratique qu’il perçoit en Ukraine. Il voit que c’est dangereux pour lui et pour la Russie. Le fait que ce pays soit beaucoup plus démocratique depuis huit ans, que les chefs d’État y aient été remplacés, que l’on tolère des contestations et des manifestations publiques à Kiev, tout ça, pour lui, c’est de l’hérésie qui ne pourrait pas se passer à Moscou.» 

Cette idée de réaction face aux envies démocratiques des peuples limitrophes aux frontières russes a déjà été mise en avant par différents observateurs lors des soulèvements de l’année dernière en Biélorussie, réprimés dans le sang et par des arrestations de masse ainsi que par l’introduction de l’armée russe sur le territoire biélorusse pour appuyer la reprise en main autocratique du pays.  

La même situation s’est reproduite au Kazakhstan, avec, là aussi, l’arrivée de l’armée russe pour aider à la répression, mais aussi avec des commentaires de la part du pouvoir russe contre les dangers des valeurs démocratiques occidentales pour les États de son ancien espace impérial. 

Un contrôle accru sur les régimes politiques de ses voisins et sur les aspirations démocratiques de leurs populations pourrait être alors utilisé à l’interne, en Russie, comme un avertissement et un moyen d’asseoir l’autocratie ayant cours au pays.    

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3. Des questions économiques   

L’Ukraine est un point de passage dans les échanges économiques entre la Russie et l’Europe. C'est aussi un territoire extrêmement riche en gaz, en pétrole, en métaux précieux et, surtout, en terres rares.

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Il est donc nécessaire d’analyser ce conflit sous l’angle économique.  

En effet, celui qui contrôlera – ou aura priorité sur – l’exploration et l’exploitation de ces ressources disposera d'un avantage indéniable dans le jeu des puissances. 

Que trouvons-nous, alors, en Ukraine?   

En excluant les réserves russes qui sont majoritairement situées en Asie, les réserves de gaz de l’Ukraine sont deuxièmes en importance à l'échelle de l’Europe, derrière la Norvège, selon des chiffres de l’Agence d’information sur l’énergie. Devant une hausse de la demande de gaz provenant de l’Europe, mais aussi de différents pays d’Asie, un contrôle de ces réserves par la Russie permettrait d’assurer une meilleure livraison et une meilleure hégémonie russe sur le marché gazier. 

L’Ukraine est un point de passage et de contrôle du gaz venant d’Asie, donc du gaz russe vers l’Europe. Un gouvernement prorusse ou neutre pourrait assurer à la Russie que les projets d’exploitation ne soient pas interrompus et que son produit atteigne bien les marchés extérieurs. 

On le voit par exemple avec la saga Nord Stream 2, qui, certes, ne concerne pas l’Ukraine, mais laisse la Russie tributaire des changements d’allégeance et des pressions provenant de l’Allemagne et de ses partenaires.  

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L’Ukraine est aussi le sixième exportateur mondial de minerai de fer, selon des chiffres rendus disponibles par son gouvernement. Ce minerai de fer sert par exemple à produire l’acier. Mais surtout, et à travers des régions actuellement séparatistes où la Russie conduit des actions de «sauvegarde de la paix», l’Ukraine est aussi riche en lithium (une mine se trouve par exemple dans la région de Donetsk), en titanium, en germanium, en gallium, en manganèse et particulièrement en terres rares.  

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Un contrôle accru de ses ressources signifie une hégémonie plus grande dans les chaînes de production mondiales, allant des produits du quotidien à la fabrication de batteries de voitures électriques, voire à l’assemblage d’avions militaires et commerciaux autour du globe. 

Enfin, l’Ukraine reste membre du top-10 mondial dans la production de blé et de maïs. Cette importance assurait à l’URSS, voire à l’empire russe, de pouvoir survivre même en cas de forte famine dans certaines républiques ou de troubles économiques. Un contrôle de ces ressources est donc aussi l’assurance d’une meilleure sécurité alimentaire pour sa principale bénéficiaire, la Russie. 

L'Ukraine imitera-t-elle la Finlande?      

Si une phrase doit être retenue des apparitions publiques de Poutine depuis son allocution du 21 février, il s'agit de celle-ci: «Le mieux pour l’Ukraine, ce serait qu’elle devienne neutre et qu’elle renonce à l’OTAN.»

Derrière cette idée de neutralité, des spécialistes des relations internationales et aficionados de la guerre froide ont vite fait le parallèle avec le statut d’un autre État tampon entre la Russie et l’Occident pendant ladite guerre froide: la Finlande, et la finlandisation. 

Qu’est-ce que la finlandisation?  

Présumément utilisé aussi par le président français Emmanuel Macron la semaine dernière lors de consultations, ce terme désigne la stricte neutralité appliquée à la Finlande durant la guerre froide. Cette neutralité fut même inscrite dans un traité, le Traité de Moscou, signé en 1948.  

Ce traité garantissait la Finlande, au contraire des autres pays d’Europe de l’Est, contre toute invasion soviétique sur son territoire, en échange d’un accord pour rester en dehors de l’OTAN. Il permettait aussi à l’URSS d’exercer une influence sur la politique intérieure et extérieure de la Finlande sans que cette dernière devienne un état satellite ou doive adopter le modèle socialiste. 

La finlandisation de l’Ukraine viendrait assurer l’intégrité territoriale de l’Ukraine et sa sécurité face au géant russe. Néanmoins, cette dernière mettrait un stop net à son mouvement en direction de l’Occident et à sa possible adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN.  

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En échange, la garantie de sécurité serait conditionnelle à un contrôle plus fort, réel et présent de la Russie sur les affaires ukrainiennes. Ce contrôle, néanmoins, ne serait pas aussi ferme que celui qui est exercé sur des pays comme le Bélarus ou les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. 

Pour le moment, l’Ukraine, comme ses alliés, a rejeté cette possibilité, même si différents dignitaires continuent d'en débattre. 

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