Les secrets du monde de l'édition, selon l’écrivain et scénariste français Tonino Benacquista


Karine Vilder
En nous offrant Tiré de faits irréels, l’écrivain et scénariste français Tonino Benacquista nous permet d’entrer dans les coulisses du monde de l’édition. Et on s’amuse!
La maldonne des sleepings, Trois carrés rouges sur fond noir, La commedia des ratés, Saga, Quelqu’un d’autre, Malavita, Homo erectus, Toutes les histoires ont été racontées, sauf une... Cette année, ça va faire 40 ans que l’écrivain et scénariste français Tonino Benacquista publie. Quarante ans qu’il nous régale avec ses histoires qui font la part belle au romanesque. Alors si on retrouve ce chiffre dans Tiré de faits irréels, ce n’est sans doute pas un hasard.
Bertrand Dumas, le héros de ce tout nouveau livre, travaille aussi dans le milieu littéraire depuis 40 ans. Sauf que pour lui, les choses ne vont pas trop bien. En gros, il est sur le point de fermer définitivement la petite maison d’édition qu’il a fondée au tournant des années 1980 dans le quartier Saint-Sulpice, à Paris. Dans moins de 24 heures, il a rendez-vous au tribunal de commerce pour entamer une procédure de liquidation judiciaire, et à ce stade, plus rien ne peut sauver de la faillite Bertrand Dumas Éditeur. Mais ça, c’est sans compter sur la bienveillance et l’imagination débordante de Tonino Benacquista!
Le métier d’éditeur sous le feu des projecteurs
«Ça m’a toujours intrigué, les éditeurs, explique Tonino Benacquista. Sur 100 manuscrits, ils vont en retenir un en affirmant: “Celui-là, il faut miser dessus et le mettre en librairie pour que le public l’ait en main.” Il y a une telle abondance de livres qu’on s’en remet à eux et il n’y a qu’eux qui peuvent dire: “Je veux publier ça.” Moi, on me donne L’étranger de Camus à lire sur manuscrit et je le rate, je passe complètement à côté. Par contre, si je le lis une fois imprimé, là je vais trouver ça formidable!»
«Bref, beaucoup d’écrivains racontent des histoires d’écrivains: leurs états d’âme, leurs blocages, leur divorce, etc., poursuit Tonino Benacquista. Et je trouvais injuste qu’il y ait eu tant d’écrivains mis en scène, mais pas d’éditeur!»
Bertrand Dumas, celui qu’il a créé de toutes pièces, a toujours eu une haute idée de la fiction, et pendant 40 ans, il n’a publié que les romans qu’il aimait. Certains se sont bien vendus, d’autres moins. «Mais là, depuis un ou deux ans, on ne veut plus de ses livres et il n’arrive pas à en comprendre la raison, ajoute Tonino Benacquista. Je voulais que les questionnements de mon éditeur fassent écho, peut-être, à ceux des lecteurs. Est-ce qu’on a encore besoin de fiction et de fiction romanesque? Est-ce que la littérature a encore sa place dans nos vies? Au cours des heures qu’il lui reste avant d’aller au tribunal, Bertrand finira éventuellement par obtenir des éléments de réponses expliquant pourquoi on ne veut plus de ses livres.»
Un brin d’ironie romanesque
Ces dernières heures, elles seront en fait complètement folles. Prêt à faire n’importe quoi pour sauver sa boîte, Bertrand refusera de rentrer chez lui pour aller gentiment se mettre au lit jusqu’au lendemain matin. Non. À la place, il ira partout et fera tout ce qu’il peut dans l’espoir de trouver in extremis une solution miracle.
«C’est un idéaliste et en 40 ans, il a essayé de garder une certaine éthique éditoriale en ne publiant que ce qu’il aimait et en s’interdisant certaines choses, précise Tonino Benacquista. Mais au cours de cette nuit-là, il va se permettre ce qu’il n’a jamais fait durant toutes ces années: essayer de s’attirer les bonnes grâces d’un juré de prix littéraire, supplier un auteur pour qui il n’a aucune estime de lui donner un fond de tiroir parce qu’il sait que ça va se vendre, tenter de rallier un grand groupe pour se faire acheter...»
«Ce personnage est plein d’espoir et nous, lecteurs, on sait que ça va foirer, conclut Tonino Benacquista. Chaque fois, un rebondissement va faire en sorte que non, la solution qu’il a envisagée, ça ne va pas marcher. Ce n’est pas drôle, mais ce qui était important, c’était de se débarrasser d’un esprit de sérieux. À partir du moment où on est grave et réaliste dans un récit comme celui-là, on ne va nulle part!»

Tiré de faits irréels
Tonino Benacquista
Éditions Gallimard
192 pages