«Je ne veux pas donner ma vie au capitalisme»: des jeunes militent pour repenser le monde du travail
Léa Martin
«Je ne me vois pas travailler jusqu’à 60 ans» ; «je ne veux pas donner ma vie au capitalisme». En France comme ailleurs, des milliers de jeunes souhaitent revoir l’ordre établi du travail, que ce soit pour des raisons de société, de santé ou d’écologie. Ils exigent de meilleures conditions de travail et de retraite.
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«Ma retraite, ce sera en 2063 selon la nouvelle réforme, ce qui veut dire après la fin du monde», dit Camille, 23 ans, dans une vidéo TikTok de Nice Matin lors de la manifestation contre la réforme des retraites en France du 19 janvier dernier.
@nice_matin On a tendu le micro aux jeunes mobilisé.e.s contre la réforme des retraites à Nice ! Quand sera leur tour ? #19janvier #retraite #nice #manifestation #fyp #pourtoi #actu #nicematin ♬ son original - nice_matin
Une fois de plus, les Français se soulèvent contre une réforme du régime des retraites. Cette fois-ci, le gouvernement d’Emmanuel Macron veut faire passer l’âge du départ à la retraite de 62 à 64 ans. Ils étaient 1,12 million à manifester dans toute la France le 19 janvier et 1,3 million le 31, selon les autorités. Plusieurs d’entre eux, dont certains âgés de 15 ans, se mobilisaient pour la toute première fois.
Ils sont beaucoup à avoir vu leurs parents se tuer à la tâche comme Florian, 21 ans, qui ne veut pas recréer le même schéma.
«Quand je vois ma mère qui travaille depuis ses 18 ans dans une entreprise pharmaceutique, sur [sic] une chaîne de production, qui fait un métier pénible... J'ai du mal à imaginer qu'elle puisse faire ça jusqu'à 64 ans», a-t-il dit à France Info.
Ces jeunes le font pour eux et pour leurs aînés. On se trouve face à un mouvement étudiant qui ne veut pas accepter la dégradation de ses acquis sociaux, mais qui se soucie également de son avenir professionnel et de celui de la planète dans une économie en perpétuelle croissance.
Un ras-le-bol mondial
Aux États-Unis, en septembre 2021, près d'un quart des travailleurs âgés de 20 à 34 ans n’étaient pas à l’emploi. Selon le Bureau of Labor Statistics, 14 millions d’Américains ne travaillaient pas, cependant sans nécessairement chercher de travail.
Dans TikTok, les vidéos pullulent: «Je n’en peux déjà plus». «J’étais au travail aujourd’hui et je ne pouvais pas croire que nos parents [et] nos grands-parents ont travaillé tous les jours de leur p*** de vie.» «On dit que cette génération ne veut pas travailler. La réalité est que beaucoup d'entre nous travaillons dans des entreprises qui ne se soucient pas de nous en tant que personnes.»
@kamrynmarie._ life isn’t supposed to be like this #corecore #nichetok #burnout #millenialburnout #latestagecapitalism #workfromhome #corecoree #mentalhealthawareness #fyp #mentalhealth ♬ original sound - kamryn🌸
Dans la plupart des cas, le problème n’est pas que ces jeunes ne veulent plus travailler, comme beaucoup d’anciens aiment à le dire. Ce qu’ils veulent, c’est une nouvelle approche, une nouvelle conception du travail et de la productivité.
«La notion de qualité de vie devient aussi importante, si ce n’est plus importante que les perspectives de carrière» pour les nouvelles générations, explique Daniel Mercure, professeur au département de sociologie de l’Université Laval.
Une des raisons qui permettrait d'expliquer ce phénomène est que nous avons vu deux générations trahies par le système. À l’époque de nos grands-parents, «l’identité au travail est devenue un thème central», explique le chercheur. On peut penser à des logos sur des cravates ou à nombre d’autres produits dérivés au moyen desquels s'affermissait alors le sentiment d’appartenance à l’entreprise.
Dans les années 90, à la suite de nombreux licenciements dans plusieurs secteurs d’activité, on sent qu’un sentiment de trahison s’installe chez plusieurs travailleurs. Nos parents ont, eux aussi, oeuvré dans ce système, mais en nous mettant en garde : «Fais attention», «ne donne pas tout à l'entreprise», «tu pourrais te faire licencier».
C’est ainsi que les nouvelles générations ont perdu confiance envers les entreprises, incluant celles qui ont exploité leurs parents et leurs grands-parents avant eux. «Pour les jeunes, le travail n’est pas un lieu d’identification, c’est un lieu d’affirmation de leur identité. Ce n’est pas la même chose du tout», indique le chercheur.
Revoir notre mode de consommation
On se retrouve également face à une intensification du travail. On demande aux jeunes travailleurs toujours plus de productivité, et surtout de flexibilité. «Plus il y a de flexibilité, plus il y a de surcharge mentale et ce n’est pas la même chose que le stress», note Daniel Mercure.
«Pour moi, faire cette tâche, c’est facile, mais mon problème, c’est que j’en ai 30 ou 40 à faire», donne-t-il comme exemple, précisant que c’est encore pire chez les femmes qui se trouvent dans des couples aux valeurs traditionnelles.
Il y a un «essoufflement» qu’on peut constater grâce à plusieurs données, comme la consommation de médicaments, souligne Daniel Mercure. Incidemment, dans un rapport de la compagnie d’assurance Sunlife on montre qu’entre 2019 et 2021 les demandes de remboursement pour des médicaments liés aux problèmes mentaux ont augmenté de 24 % chez les employés de moins de 30 ans.
C’est ainsi qu’apparaît la nécessité de trouver un meilleur équilibre entre le travail et la vie privée: avoir d’aussi longues carrières, mais en travaillant moins d’heures par semaine. Ce qui demanderait de revoir notre société de consommation, soutient le professeur.
«Le raisonnement qui peut être tenu c’est: est-ce qu’on a besoin de toute cette consommation? Réduire cette consommation, ça veut dire aussi changer le mode de vie [et] de liberté. Alors, est-ce qu’on est prêt à ne plus voyager, à ne plus expérimenter le monde, à ne plus avoir les derniers outils techniques et technologiques?»