Voici pourquoi Vladimir Poutine vise une victoire en Ukraine demain
Gabriel Ouimet
On sait depuis un moment que le 9 mai est certainement encerclé au crayon rouge sur le calendrier de Vladimir Poutine comme une date à laquelle il souhaiterait avoir une certaine victoire par rapport à la guerre en Ukraine. Mais pourquoi vise-t-il cette date?
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Le 9 mai 1945, le maréchal Wilhelm Keitel, commandant des forces armées nazi, signait le traité qui officialisait la capitulation des Allemands à Berlin. Une victoire que l’URSS a payée cher: plus 26 millions soviétiques, dont plus de la moitié était des civils, ont perdu la vie pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est plus que toutes les autres nations impliquées dans la guerre.
Depuis, les Russes célèbrent la «victoire de la Grande Guerre patriotique» le 9 mai. Ce jour férié est le symbole des sacrifices, de la force et de la coriacité de leurs vétérans, explique Jean Levesque, professeur au département d’histoire de l’UQAM et spécialiste de la Russie.
«Les vétérans remettent l’uniforme et sont fêtés en héros. Il y a un grand défilé militaire organisé sur la Place Rouge, devant le Kremlin, à Moscou. C’est la deuxième plus grande fête après le jour de l’An, plus gros même que la fête nationale», indique-t-il.
Une date chère à la propagande de Poutine
Ces célébrations sont particulièrement importantes pour Vladimir Poutine, explique Jean Lévesque.
«C’est la célébration de la victoire sur le nazisme et Vladimir Poutine a mis toute la gomme pour que cette date gagne en importance depuis qu’il est au pouvoir. Le 9 mai est partout dans la communication gouvernementale, parce qu’il réalise que ça fonctionne, de jouer sur la nostalgie patriotique de son peuple. L’idéologie du régime repose là-dessus», souligne-t-il.
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Dans un discours tenu à cette date l’an dernier, l’homme fort du Kremlin avait d’ailleurs profité de l’occasion pour affirmer que la Russie allait «défendre fermement ses intérêts nationaux et assurer la sécurité de son peuple». Il avait aussi martelé que des idées du nazisme refaisaient surface en Europe, en plus d’exhiber les plus récentes armes de l’armée russe.
Des propos qui résonnent particulièrement fort dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine, qui, selon Poutine, a été lancée pour «libérer les Ukrainiens du nazisme», ajoute le professeur.
Une victoire pour le «jour de la victoire»?
Embauche d’un nouveau général à la réputation sanguinaire, concentration des forces, retour à un objectif plus «réaliste»: les développements des dernières semaines dans la guerre qui déchire l’Ukraine indiquaient que Vladimir Poutine espérait réaliser des gains considérables d’ici la date symbolique du 9 mai.
«Il est à peu près sûr que, pour le président Poutine, le 9 mai doit être jour de victoire», s’était d’ailleurs inquiété le président français Emmanuel Macron, lors de son passage à la radio française RTL, le 8 avril dernier.
Une position partagée par le fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, Charles-Philippe David.
«J’y crois. Ça fait partie de la psychologie Poutine, de vouloir faire déambuler la glorieuse "Armée rouge" sur la place Rouge le 9 mai pour dire ‘‘à l’instar de notre victoire contre l’Allemagne nazie, nous avons vaincu les nazis ukrainiens’’. C’est écrit dans le ciel», lance-t-il.
À quelques jours du 9 mai, alors que la guerre semblait toujours loin d'être terminée, Mathieu Boulègue du centre de réflexion britannique Chatham House et spécialiste de la Russie, prédisait que ce pays tenterait probablemnt de présenter la situation comme une victoire.
«Moscou a besoin de transformer ses positions militaires – aussi précaires soient-elles – en victoire rhétorique et symbolique. Le 9 mai en serait d’ailleurs l’occasion idéale. Si on suit la logique selon laquelle la "victoire" est un espace mental et informationnel, Moscou n’a pas besoin d’être en position de force militairement pour créer une "mission accomplie"», a-t-il dit.
Selon CNN, qui citait des responsables britanniques et américains, Vladimir Poutine pourrait même déclarer la guerre totale à l'Ukraine le 9 mai.
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Jean Lévesque rappelle pour sa part que choisir une date «ronde» pour consolider une victoire militaire peut s'avérer un couteau à deux tranchants.
«En 1945, les généraux soviétiques voulaient offrir la chute de Berlin à Staline pour le 1er mai, date symbolique du communisme. Ils ont précipité l’attaque, malgré le fait qu’ils dominaient complètement l’armée allemande sur le terrain, et ils ont perdu plus de 200 000 hommes. Finalement, Berlin est tombée officiellement le 8 mai», raconte-t-il.
Une chose est sûre: les militaires défileront fièrement à Moscou le 9 mai prochain et ce sera jour de fête partout au pays.
- Avec Mathieu Carbasse
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