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L'article provient de 24 heures

Voici pourquoi la nouvelle gouverneure générale du Canada ne parle pas français

Mary Simon
Mary Simon Sgt Johanie Maheu
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Photo portrait de Andrea Lubeck

Andrea Lubeck

2021-07-19T20:15:00Z
2021-07-19T20:19:06Z
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Mary Simon, diplomate inuk originaire du Nunavik, dans le Nord-du-Québec, a été nommée 30e gouverneure générale du Canada le 6 juillet dernier. Comme elle l’a soulevé dans son discours, elle parle deux langues: l’inuktitut et l’anglais. Mais pas le français, et pour cause. On vous explique pourquoi. 

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Celle qui a également occupé le poste d’ambassadrice du Canada au Danemark et qui est reconnue pour défendre les droits des autochtones a fréquenté durant son enfance un externat fédéral, où l'on n’enseignait pas le français.

«Je n’ai pas eu la chance d’apprendre le français pendant mon séjour dans les externats fédéraux. Je suis profondément engagée dans l’apprentissage du français et j’ai l’intention de mener les activités de gouverneure générale dans les deux langues officielles du Canada ainsi qu’en inuktitut, l’une des nombreuses langues autochtones parlées au pays», a déclaré Mary Simon dans son discours.

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La petite histoire des foyers fédéraux  

Plutôt que de fréquenter les pensionnats autochtones, les Inuits du Nunavik étaient envoyés dans des écoles de jour fédérales. Il n’y avait d’ailleurs dans la région qu’un seul pensionnat, celui de Fort George, que seule une poignée d’enfants inuits a fréquenté, relate Francis Lévesque, professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

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«Il n’y avait pas d’institution scolaire jusqu’en 1949 au Nunavik, année où le gouvernement fédéral a ouvert les premières écoles fédérales. Comme ce sont des écoles de jour, les enfants inuits arrivaient le matin et repartaient le soir dans leur famille. On y enseignait l’anglais parce que ces établissements étaient financés par le gouvernement fédéral», explique-t-il.

Les foyers fédéraux, où dormaient les enfants inuits qui les fréquentaient – un peu comme les pensionnats autochtones –, ont vu le jour quelques années plus tard. Mais ceux-ci n’ont pas connu un grand succès, affirme M. Lévesque, et ont été fermés rapidement.

L’expérience des Inuits dans les écoles et les foyers fédéraux est donc différente de celle des autres nations autochtones qui ont fréquenté les pensionnats autochtones, notamment parce que ces derniers étaient gérés par l’Église. Le gouvernement fédéral assurait lui-même la gestion des écoles et des foyers fédéraux.

Malgré tout, la mission des écoles et foyers fédéraux et des pensionnats autochtones était la même: assimiler le plus possible les Inuits. Jean Lesage, ministre du Nord canadien à l’époque, justifiait la mise en place des établissements en disant qu’il fallait faire «le cadeau de la civilisation» aux Inuits, raconte le professeur. Ce n’est pas sans rappeler l’objectif des pensionnats autochtones, soit de «tuer l’Indien dans l’enfant», comme l’a résumé le père de ces établissements, le premier ministre John A. Macdonald.

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Francis Lévesque
Francis Lévesque Photo courtoisie

Si d’anciens pensionnaires ont témoigné de mauvais traitements de la part des femmes qui s’occupaient des foyers fédéraux, l’expérience dans ces établissements a été très peu documentée. «Même quand on regarde le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, qui est un rapport substantiel de plusieurs milliers de pages, on ne consacre qu’une page et demie au Nunavik», soutient Francis Lévesque.

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Des relations troubles avec les langues coloniales  

Face à l’assimilation forcée qu’ont subie les Autochtones dans les pensionnats et les foyers fédéraux, on peut facilement croire que leur relation avec les langues coloniales, soit le français et l’anglais, est, à tout le moins, difficile.

«Les langues officielles sont des instruments pour rendre légitimes des relations de pouvoir dans tout le pays, que ce soit à travers les discours ou les politiques officielles. Les langues coloniales dominent dans tous les secteurs de la vie publique, et ça a une incidence dans la vie des Autochtones», explique Nancy Wiscutie-Crépeau, candidate au doctorat en éducation à l’Université d’Ottawa et consultante en éducation autochtone.

Nancy Wiscutie-Crépeau
Nancy Wiscutie-Crépeau Photo courtoisie

C’est que la langue fait partie de tout un bagage culturel qui est mis de côté dès l’enfance chez les Autochtones, parce que leurs langues ne sont pas enseignées dans les écoles provinciales comme c’est le cas au Québec. «On ne décide pas de devenir bilingue parce qu’on veut apprendre le français, soutient Mme Wiscutie-Crépeau. C’est parce qu’on doit fonctionner dans une société comme le Canada, où on ne reconnaît que deux langues officielles.»

Le traumatisme lié aux pensionnats autochtones, le peu de place accordée aux langues autochtones à l’école et le manque de ressources en langues autochtones en éducation sont des éléments parmi d’autres qui contribuent à leur déclin, voire leur disparition. Et avec elles, toute une vision du monde.

«C’est difficile de préserver ces traditions par la langue quand on n’a pas l’espace nécessaire pour faire exister ces langues-là; pour leur donner et reconnaître leur valeur et leur utilité», résume la doctorante.

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Nancy Wiscutie-Crépeau propose que le gouvernement reconnaisse officiellement les langues autochtones dans un effort de les préserver, «parce que, si rien n’est fait d’ici les prochaines décennies, [elles] vont disparaître à jamais». Elle souhaite également que le gouvernement offre un soutien financier permettant d’entamer un processus de documentation nécessaire, pour lequel les ressources ne sont pas disponibles à l’heure actuelle.

Plus de 400 plaintes  

En dépit de l’expérience de Mary Simon dans un externat fédéral et de son engagement à apprendre le français au cours de son mandat, de nombreuses personnes n’ont pas digéré le fait qu’elle ne parle pas la langue de Molière. Si bien que le Commissariat aux langues officielles du Canada a révélé avoir reçu plus de 400 plaintes portant sur sa nomination.

Dans un communiqué, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a indiqué qu’elles étaient toutes recevables et qu’il mènerait donc une enquête. Cette enquête visera le Bureau du Conseil privé (BCP) pour les conseils qu’il aurait pu prodiguer dans le cadre du processus de nomination de Mary Simon. Si, au terme de l’enquête, les plaintes s’avèrent fondées, le commissaire pourra faire des recommandations au BCP, qui sera responsable de les mettre en œuvre, a indiqué le Commissariat au 24 heures

«On reconnaît ses qualités personnelles, on reconnaît sa contribution, mais c’est toujours une question de: “Est-ce qu’on établit un précédent pour la nomination de hauts dirigeants au Canada dans les années à venir?”» a-t-il également déclaré au micro de Radio-Canada, soulignant qu’il enquêtait sur le processus de nomination et non sur Mary Simon.

«Je suis trop souvent témoin d’un discours qui oppose le respect de la diversité et de l’inclusion, d’un côté, et le respect des langues officielles, de l’autre, comme si ces notions étaient mutuellement exclusives et ne pouvaient coexister. J’aimerais rappeler aux décideurs qu’il est tout à fait possible de faire rimer langues officielles et inclusion. Visons à faire de notre pays un endroit où l’on n’a pas à choisir entre le respect des langues officielles et l’inclusion de toutes et tous», a ajouté M. Théberge.

La ministre fédérale des Langues officielles, Mélanie Joly, a d’ailleurs assuré que Mme Simon lirait le prochain discours du trône en français. Et cela pourrait arriver aussi tôt que cet automne si des élections étaient déclenchées sous peu par Justin Trudeau.

Du soutien pour les survivants et leurs proches   

Vous sentez que vous bénéficieriez de soutien? Contactez la ligne d’aide téléphonique bilingue destinée aux survivants (et leurs proches) des pensionnats autochtones et des foyers fédéraux: 1 866 925-4419.

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