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De pandémie à endémie: il faut absolument vacciner les pays les plus pauvres pour passer à autre chose

L'Afrique est l'un des continents où le taux de vaccination contre la COVID-19 est le plus faible.
L'Afrique est l'un des continents où le taux de vaccination contre la COVID-19 est le plus faible. AFP
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Andrea Lubeck

2022-02-04T21:45:48Z
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Les experts le répètent à tous ceux qui veulent bien l’entendre: il faut qu’une majorité de la population mondiale soit pleinement vaccinée si on veut pouvoir mettre fin à la situation d’urgence pandémique. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Les défis sont grands et les solutions, bien qu’à portée de main, inutilisées. Tour d’horizon.


Lisez tous les articles de notre série COVID-19: de pandémie à endémie:  

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À l’heure actuelle, seulement 10% de la population des pays à faibles revenus a reçu au moins une dose de vaccin, alors que cette proportion est de 78% dans les pays à hauts revenus. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que, globalement, 70% de la population mondiale doit être pleinement vaccinée pour considérer qu’il y a une bonne immunité collective. 

Dans une pandémie qui touche l’humanité entière, comment expliquer une telle disparité dans les taux de vaccination entre les pays plus nantis et les pays à faibles et moyens revenus plus d’un an après le début des campagnes de vaccination? 

L’avarice des pays riches a pris le dessus sur la solidarité mondiale, déplore Stuart Hickox, directeur de ONE Canada, un organisme de lutte contre la pauvreté et les maladies évitables. 

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AFP
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Les pays à hauts revenus ont outrepassé la plateforme Covax, qui avait été mise en place notamment par l'OMS pour éviter les iniquités dans la distribution des vaccins, et ont réalisé des ententes d’achats directement avec les compagnies pharmaceutiques. 

«Les pays riches se sont dépêchés à protéger leur population avant de penser au reste de la planète, explique-t-il. D’une certaine façon, c’est normal que le gouvernement ait eu ce réflexe, parce que c’est le mandat qu’on lui a confié quand on l’a élu.»

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Parce que les pays riches n’ont pas suivi le plan initial, Covax n’a jamais eu le pouvoir d’achat nécessaire pour conclure des ententes avec les pharmaceutiques afin d’atteindre son objectif de distribuer deux milliards de doses de vaccin dans les pays à faibles et moyens revenus en 2021 et ainsi vacciner au moins 20% de cette population.

«On était censé être assis à la grande table de la planète et on devait mettre tout en commun pour ensuite décider comment distribuer les vaccins. De fil en aiguille, on s’est bien rendu compte que les pays à hauts revenus avaient fait leurs ententes de leur côté», renchérit la Dre Joanne Liu, professeure à l’École de santé des populations et de santé mondiale de l’Université McGill sur les urgences pandémiques et sanitaires.

Des défis de taille  

Outre l’accès aux vaccins, l’aspect logistique des campagnes de vaccination pose un énorme problème dans les pays à faibles revenus. Leurs gouvernements doivent gérer une absence totale de prévisibilité quant à la réception de doses. Une situation qui se solde parfois en gaspillage de vaccins.

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C’est ce qui est récemment arrivé au Nigéria, où seulement 3% de la population est pleinement vaccinée. Le ministre de la Santé, Osagie Ehanire, a affirmé avoir reçu des millions de doses, dont plusieurs étaient presque périmées.

«Cela nous a laissé très peu de temps, quelques semaines seulement, pour les utiliser, après déduction du temps nécessaire au transport, au déblaiement, à la distribution et à la livraison aux utilisateurs», a-t-il déclaré. 

«[Nous refuserons] poliment tous les dons de vaccins à courte durée de conservation ou ceux qui ne peuvent être livrés à temps», a ajouté Osagie Ehanire.

Malheureusement, le Nigéria n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

La Dre Joanne Liu
La Dre Joanne Liu Photo d'archives

La Dre Liu confirme que le succès la campagne de vaccination à l’échelle planétaire repose sur la présentation d’un échéancier clair et des vaccins dont la date de péremption est la plus loin possible.

«On ne peut pas arriver la bouche en cœur dans un pays avec un ou deux millions de doses qui expirent dans un ou deux mois. Et il faut que la chaîne d’approvisionnement soit assurée, avec la bonne chaîne de froid, du personnel formé et toute l’infrastructure pour mener la campagne de vaccination», illustre l’ex-présidente de Médecins sans frontières.

L’expérience des épidémies  

Par ailleurs, plusieurs pays d’Afrique sont habitués à mener des campagnes du genre pour avoir eu à faire face à d’autres épidémies, comme l’Ebola en Afrique de l’Ouest. Ils ne sont donc pas à blâmer pour le faible taux de vaccination. 

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«Il y a beaucoup d’expertise, d’expérience et d’infrastructure en place, mais nous n’avons pas donné aux pays une idée du moment où ils peuvent raisonnablement s’attendre à recevoir les doses, de sorte qu’ils ne peuvent pas planifier. Et c’est là le principal problème: ce n’est pas la capacité, mais bien la prévisibilité», affirme Stuart Hickox.

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Mais cette expérience avec les épidémies est un couteau à double tranchant, souligne la Dre Liu. Elle l’a bien constaté en 2018, en République démocratique du Congo, lorsque la campagne de vaccination contre l’Ebola s’est mise en branle. Le personnel de la santé a fait face à beaucoup de résistance au sein de la population, alors que la Malaria faisait déjà des ravages. 

«C’est une maladie qui tue 50% à 60% des personnes affectées, mais les gens nous disaient: “Vous arrivez avec vos vaccins et vos trucs pour l’Ebola, mais les enfants meurent de la Malaria”. Et ça, il faut être prêt à l’entendre et trouver des façons de répondre aux autres priorités de ces populations.»

La Côte d'Ivoire doit, malgré la pandémie de COVID-19, continuer de combattre l'Ebola. Sur la photo, un homme d'Abidjan participe à la campagne de vaccination alors que le pays a enregistré son premier cas de la maladie depuis 1994, plusieurs années après la grande éclosion de 2014.
La Côte d'Ivoire doit, malgré la pandémie de COVID-19, continuer de combattre l'Ebola. Sur la photo, un homme d'Abidjan participe à la campagne de vaccination alors que le pays a enregistré son premier cas de la maladie depuis 1994, plusieurs années après la grande éclosion de 2014. AFP

 

Il faut aussi s’assurer de travailler en collaboration avec les pays moins nantis, pour ne pas sembler vouloir imposer la vaccination à leurs populations depuis l’étranger, indique la Dre Liu. 

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Quelles solutions possibles?  

En plus d’ajouter la dimension de prévisibilité aux dons de vaccins, Covax demeure une bonne solution pour diminuer l’écart de vaccination dans les pays à faibles revenus. 

«Il n’y a pas de nouvelle idée dramatique parce que la première en était une vraiment bonne, c’est juste que nous ne l’avons pas appliquée», soutient Stuart Hickox. 

Pour sa part, la Dre Joanne Liu juge qu’il est «scandaleux» que le Canada n’ait toujours pas donné son soutien à la levée des brevets sur les produits de la COVID-19.

Des manifestants exigent la levée des brevets sur les vaccins contre la COVID-19 lors d'une manifestation à Genève, en Suisse, en novembre 2021. La douzième réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce devait aborder la question, mais l'évènement finalement été annulé.
Des manifestants exigent la levée des brevets sur les vaccins contre la COVID-19 lors d'une manifestation à Genève, en Suisse, en novembre 2021. La douzième réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce devait aborder la question, mais l'évènement finalement été annulé. AFP

Elle salue toutefois l’initiative d’un laboratoire d’Afrique du Sud, soutenu par l’OMS, qui a développé un vaccin à ARN, en se basant sur les données publiques de Moderna. 

«Ces initiatives-là, il faut les soutenir, tout comme la dérogation sur les brevets. On sait que ça fait partie de la solution», ajoute-t-elle.

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Joanne Liu suggère également d’ajouter les produits de diagnostic et de traitement pour la COVID-19 au Régime canadien d’accès aux médicaments. Ce mécanisme permet d’offrir une licence à une entreprise pour produire un médicament générique afin que les pays en développement puissent importer les traitements et des instruments médicaux à faibles coûts. Les traitements pour le VIH/Sida, notamment, sont disponibles par le biais de ce programme.

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«C’est un simple vote en Chambre qui peut se faire dans les prochaines semaines. Ce n’est pas comme si le Canada n’avait pas de leviers à sa portée», mentionne-t-elle.

Les variants, une épée de Damoclès  

Si Omicron nous a appris une chose, c’est que les variants demeurent une épée de Damoclès qui pend au-dessus de nos têtes, tant et aussi longtemps que nous n’avons pas atteint un seuil acceptable d’immunité collective.

Des Chiliens attendent pour effectuer un test de dépistage de la COVID-19 à Santiago.
Des Chiliens attendent pour effectuer un test de dépistage de la COVID-19 à Santiago. AFP

«Chaque fois que le virus infecte quelqu’un, c’est une nouvelle chance pour lui de muter et de devenir un nouveau variant. Actuellement, trois milliards de personnes ne sont pas vaccinées. C’est donc trois milliards de chances pour le virus de muter. Il faut vacciner tout ce monde-là pour minimiser ce risque», lance Stuart Hickox.

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Alors que l’OMS s’était fixé comme objectif de vacciner 70% de la planète d’ici la fin du premier semestre 2022, plusieurs estiment déjà que de nombreux pays failliront à la tâche tant le défi est énorme. 

«Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur du défi de la vaccination, car il ne s’agit pas seulement d’envoyer des vaccins, mais de les transformer en doses dans les bras des gens. Et les pays nantis devront financer et accompagner les pays à faibles revenus pour y arriver», explique la Dre Liu.

Parce qu’avant de penser à l’endémicité de la COVID-19, il faut d’abord réussir à se sortir de l’état d’urgence sanitaire à l’échelle mondiale. C’est le but ultime pour 2022, insiste Joanne Liu. «C’est ce qui va donner le signal vers une certaine stabilisation», signale l’experte des épidémies.

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