De la viande fabriquée en laboratoire bientôt dans votre assiette? On fait le point sur la «viande in vitro»
Anne-Sophie Roy
La start-up américaine Upside Foods, qui cultive des cellules animales pour produire de la viande sans tuer d’animaux, a reçu mercredi un feu vert pour ses méthodes de fabrication de la part de l’agence en charge de la sécurité alimentaire aux États-Unis (FDA). Qu'est-ce que ça veut dire? On fait le point sur cette viande artificielle.
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Voici les réponses aux questions que soulève cette innovation.
Peut-on en acheter en ce moment?
Pas vraiment. Singapour est le seul pays au monde où il est déjà possible de mettre le grappin sur un morceau de poulet de synthèse... mais ce n’est pas pour toutes les bourses. L'an dernier, il fallait débourser environ 50$ pour déguster une croquette de poulet du futur! Du progrès a quand même été réalisé depuis 2013, alors que l’entreprise néerlandaise Mosa Meat présentait son tout premier steak in vitro pour un maigre 370 000$.
Pourra-t-on en manger bientôt?
Probablement dans quelques années. Ne vous attendez pas à en déguster au cours des prochains mois; il faudra être un peu plus patients.
L’intérêt du public est sans aucun doute le plus grand frein à la croissance de la «viande in vitro». En général, les 18-30 ans sont assez réceptifs à l’idée, soucieux des enjeux de santé et environnementaux. Au contraire, les plus âgés trouveraient l’idée répugnante.
«Au Canada, 18-20% de la population serait prête à essayer, souligne quand même Sylvain Charlebois, professeur titulaire à la Faculté de management et en agriculture à l'Université Dalhousie, à Halifax. C’est une question de temps avant que ce soit légalisé, voire 3 ou 5 ans», selon le chercheur.
Aux États-Unis, Upside Foods a encore de nombreuses barrières à franchir, dont des inspections du ministère américain de l’Agriculture, avant de pouvoir vendre ses produits.
À Singapour, Upside Foods s'est pour sa part entendu, en mai dernier, avec un fabricant d’équipements pour développer des cuves géantes où elle espère produire de la viande de poulet et de boeuf à grande échelle
Peut-on appeler ça de la viande?
Techniquement, non. La «viande» se définit comme l’ensemble des tissus comestibles d’un animal, mais on parle plutôt ici d’une culture de cellules musculaires.
La différence n'est pas claire? «Les fibres musculaires [qui composeront le morceau de "viande"] sont obtenues en cultivant des cellules souches de muscle, qui proviennent de prélèvements tissulaires sur quelques animaux», explique Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), en France.
Est-ce que ça implique des animaux?
Oui. Pour créer un semblant de culture animale, on doit reproduire complètement la biologie des cellules, d’où le recours au sérum de veau fœtal. Vous avez bien compris: des animaux sont nécessaires pour cette viande de synthèse, créée pour mettre un terme à l’abattage.
Est-ce bon pour l'environnement?
C'est pas clair. Pour l’heure, seulement trois études sur l’impact environnemental des cultures de cellules musculaires ont été menées et aucune ne fait consensus.
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«C’est très difficile de calculer l’impact environnemental parce que c’est un produit qui n’existe pas à grande échelle. Il y a des problèmes méthodologiques pour évaluer les impacts environnementaux», indique Jean-François Hocquette.
En fait, il «n'est pas encore clair si la production de viande de culture fournirait une alternative plus durable sur le plan climatique», selon la plus récente étude sur le sujet, menée en 2019. «Les impacts climatiques de la production de viande de culture dépendront du niveau de production d'énergie décarbonée qui peut être atteint.»
Est-ce que c'est nutritif?
Ça dépend comment on la «cultive». Le contenu nutritif d'un morceau de steak ordinaire n'est pas le même que celui d'un steak in vitro, tout comme la texture. C'est que les fibres musculaires en incubateur ne sont pas organisées comme de vrais muscles qui se forment sur l’animal et dans lesquels les fibres s’organisent, rappelle Jean-François Hocquette.
Si certains peuvent y voir un inconvénient, Sylvain Charlebois y voit une formidable liberté de création.
«Je trouve ça fascinant la synthétisation de la nourriture. On pourra peut-être créer notre propre pièce de viande selon nos besoins physiologiques: "J’ai besoin de plus de fer, plus de vitamines B12..." Il y a un paquet de possibilités à long terme!» croit le professeur.