Une carrière bien remplie pour Len «Kojak» Shelley


Patric Laprade
Le 21 mars dernier, deux jours seulement après avoir célébré son 84e anniversaire de naissance, l’ancien lutteur et entraîneur Len «Kojak» Shelley a rendu l’âme.
Il s’agit certes d’un âge vénérable, mais le décès a été vu comme une onde de choc pour la famille et les amis proches. C’est que quelques mois auparavant, tout allait relativement bien pour Shelley.
En janvier dernier, il se plaignait d’un mal au cou. Pensant qu’il s’agissait d’un torticolis, il a décidé d’aller consulter. Mais à sa grande surprise, il s’agissait plutôt d’une bactérie qui a créé un abcès dans le haut du cou, près de la vertèbre cervicale C4. Pis encore, l’abcès a grossi et a fait pression sur la moelle épinière.
Un changement d’hôpital plus tard, maintenant rendu à Montréal, le médecin n’a pas voulu l’opérer parce qu’il trouvait le tout trop dangereux. Il lui prescrit plutôt des antibiotiques, qui ont semblé faire effet. On le retourne donc à l’hôpital de Valleyfield. Toutefois, Shelley avait perdu l’appétit et ne mangeait presque pas. Il était faible et avait beaucoup maigri. Et comme si ce n’était pas suffisant, puisqu’il prenait des pilules pour éclaircir son sang, une hémorragie s’est créée, suivie d’énormes douleurs au ventre. Il n’y avait plus rien à faire.
Entouré de son fils Éric et de son épouse Rita, le médecin lui a annoncé qu’il n’en avait que pour quelques heures. La décision a été donc prise de le soulager de son mal.
«Pendant les dernières heures, ma mère et moi, on était à côté de lui, partage Éric. Il dormait et il avait l’air tellement bien. Moi, ça me faisait du bien de voir qu’il ne souffrait plus. Puis c'est ça. À un moment donné, on a réalisé qu’il était parti. En fin de compte, c’est une série de complications qui ne se sont jamais terminées.»
Parfois, mieux vaut voir partir un être cher plutôt que de le voir souffrir.
«Dans les dernières années, mon père n’était pas bien. Il avait de la misère à marcher. Il avait mal aux genoux, aux hanches. Ça n’arrêtait plus, continue Éric. Ma mère, elle prenait beaucoup soin de lui. Alors d'un côté, c'est mieux de même. C'était trop là. Et même avant son décès, le docteur avait dit à ma mère qu’il ne retournerait pas à la maison, qu’il devrait aller en CHSLD et je pense que mon père aurait été misérable dans ces conditions.»
Une carrière qui débute à un mauvais moment
C’est en 1963 que la carrière de Len Shelley débute. Né à Montréal, mais ayant grandi à l’Île-Perrot, Shelley veut devenir athlète professionnel. Doté d’un bon physique, il joue au baseball, au football, au hockey et il fait de la lutte amateur, jusqu’à ce qu’il tombe en amour avec la lutte professionnelle.
Après s’être entraîné dans son coin et avoir fait ses premiers matchs dans des sous-sols d’église et petites salles de Salaberry-de-Valleyfield, son entraîneur de l’époque lui conseille d’aller se parfaire à Montréal. Il voit le potentiel en lui. Shelley rejoint donc l’école de lutte de Tony Lanza et en 1964, il fait ses débuts dans la Métropole.
Toutefois, la lutte au Québec n’est pas au sommet de sa forme. Eddie Quinn, qui avait connu tellement de succès depuis plus de 20 ans comme promoteur, était retourné dans son coin de pays au Massachusetts, il n’y a plus de lutte au célèbre Forum de Montréal et par conséquent, la télévision ne présente plus de lutte actuelle.
Le grand Yvon Robert tente sa chance dans la promotion et c’est pour lui que Shelley obtient son premier combat en sol montréalais. Celui-ci se déroule le 16 juillet 1964, au Centre Paul-Sauvé, face au vétéran Eddy Auger, l’oncle de Johnny et Jacques Rougeau.
Shelley est utilisé comme vilain, si bien que lorsqu’il retourne à Valleyfield, le journal local écrit que Shelley vient de Montréal. Quoi de mieux pour être vilain que de renoncer à ses origines ? S’en suit une série de matchs où l’origine de Shelley va changer à plusieurs reprises. À Québec, il vient tantôt d’Angleterre, tantôt de Toronto. Même s’il est Québécois, son nom anglophone permet aux promoteurs d’être créatifs, encore plus lorsque Len affronte un Québécois francophone.
Entretemps, l’état de la lutte s’améliore au Québec. En 1965, Johnny Rougeau débute sa promotion communément appelée les As de la Lutte et obtient rapidement une case horaire à la télévision, avec l’émission Sur le Matelas diffusée à Télé-Métropole, l’ancêtre de TVA.
Toutefois, la position de Shelley dans l’échiquier de la lutte locale ne s’améliore pas. Il n’est utilisé que dans des combats préliminaires. En 1966, les journaux parlent encore de lui comme d’une recrue, même s’il a maintenant près de trois ans de métier.
Un nom anglophone qui lui fait mal
Si bien qu’à l’automne 1969, maintenant âgé de 28 ans et marié depuis juin 1968, il va voir Johnny Rougeau et lui demande pourquoi il n’est pas mieux utilisé. Ce à quoi Rougeau répond que Len Shelley est un nom anglophone et que ça ne lui rapporterait pas un sou. Des mots que Shelley se souviendra toute sa vie.
Malgré ces paroles, cette situation n’était pas propre à Len Shelley ou à Johnny Rougeau. La fin des années 1950 et les années 1960 auront été difficiles pour plusieurs Québécois qui tentaient de faire leur place à domicile. Des lutteurs tels que Pat Patterson, Ronnie Garvin et Maurice Vachon ont tous dû s’expatrier afin de connaître du succès et vivre de leur métier.
C’est alors que Shelley fait des appels à des promoteurs et s’en va à temps plein à Calgary, pour la Stampede Wrestling du promoteur Stu Hart. Puis, dès février 1970, il s’en va passer le reste de l’hiver en Louisiane. Mais comme bien des lutteurs québécois, il revient dans sa province natale l’été, travaillant à nouveau pour les As de la Lutte.
L’été s’étend jusqu’en janvier 1971 et il quitte pour le nord de la Californie. C’est d’ailleurs Pat Patterson qui s’est occupé de lui à son arrivée. Mais rapidement, Shelley s’est acheté une voiture et s’arrangeait seul. Ce n’était pas un homme qui buvait ou qui sortait dans les bars. Il faisait ses combats et s’en retournait à hôtel, ce qui pouvait le faire passer pour une personne insociable ou bête. Ce qui n’était pas le cas. Len faisait plus de 6 pieds et maintenait un poids oscillant dans les 230 livres, l’entraînement était tout simplement plus important que les sorties.
Puis, en juillet, il fait le saut à Portland, en Oregon, avec quelques arrêts à Vancouver. Il y reste jusqu’en janvier 1972 avant de revenir au Québec.
Depuis 1971, les frères Paul et Maurice Vachon, de même qu’Édouard Carpentier et Yvon Robert Jr. (qui avait repris les parts de son père), sont à la tête d’une promotion qui fait opposition aux As de la Lutte et à Johnny Rougeau.
Ils font alors appel à plusieurs de leurs contacts, dont Len, qui revient donc chez lui. Toutefois, son utilisation demeure relativement la même, à la différence qu’il est un peu plus utilisé dans des matchs par équipe, avec des lutteurs tels que Denis Gauthier, René Goulet et Jackie Wiecz.

Le Japon, là où naît «Kojak»
Puis, un lutteur du nom de Matty Suzuki, qui avait travaillé avec lui en Oregon, parle en sa faveur à Giant Baba et aux patrons de la All Japan Wrestling, une des trois promotions d’importance au Japon à l’époque.
Shelley part donc en tournée au Japon en septembre et octobre 1974.
À son tout premier match, en équipe avec The Avenger (Moose Morowski), il lutte non seulement à la télé nippone, mais au désormais célèbre Korakuen Hall à Tokyo face à Giant Baba et Jumbo Tsuruta. Au cours de cette tournée, Shelley lutte aussi en simple contre Tsuruta et The Destroyer (Dick Beyer).
Il revient ensuite terminer l’année 1974 et passer l’année 1975 au Québec, luttant à quelques reprises avec un jeune Raymond Rougeau, qui gardera d’excellents souvenirs de Len.
Puis, en compagnie de Sailor White, il retourne au Japon en janvier 1976, cette fois pour l’International Wrestling Enterprise (IWE). C’est au Japon qu’il décide de se raser complètement la tête, lui qui n’avait pas, de toute manière, la chevelure la plus garnie. L’homme à la tête rasée le plus populaire et connu des années 1970 est l’acteur Telly Savalas, qui incarne le personnage principal dans la série Kojak. Tous ceux qui osent se raser la tête héritent de ce surnom et c’est le cas pour Shelley, qui subitement devient Len «Kojak» Shelley.
Il retourne au Japon pour l’IWE une dernière fois en juillet, mais cette fois sous un masque et un nouveau personnage, Black Lockheed.
Un accident qui le hantera toute sa vie
L’année 1976 a vu les As de la Lutte fermer boutique et conséquemment, la lutte québécoise en prend pour son rhume. Le tout reprend de plus belle en 1977, avec Jack Britton, le père de Gino Brito, comme promoteur. Toutefois la télé n’est pas au rendez-vous. Ce sera la première de plusieurs années sombres pour la lutte au Québec.
Len travaillera d’ailleurs comme agent de sécurité afin de continuer à subvenir aux besoins familiaux. Depuis 1972, Len et Rita ont un fils prénommé Éric.
L’appel de la route se fait toutefois encore sentir et en février 1978, il quitte le Québec pour Memphis au Tennessee où il ajoute une variante à son personnage de «Kojak», celle de donner des suçons aux enfants. En effet, étant donné que le personnage de Savalas dans la série télé a toujours un suçon dans la bouche, l’idée vient à Shelley de faire la même chose et d’en donner aux plus jeunes. Len n’aura jamais autant été populaires avec les enfants !
En plus du Tennessee, il travaille également au Kentucky, en Indiana et en Arkansas. De retour au pays, il passe l’été dans les Maritimes, où il affronte, entre autres, un jeune Randy Savage.
Un soir à la fin septembre, près de North Sydney, en Nouvelle-Écosse, un homme s’endort au volant de son camion et frappe la voiture de Shelley de plein fouet. Celui-ci en est quitte pour une sévère blessure au dos. Malgré ses 37 ans, cette blessure le hantera toute sa vie. La douleur sera toujours présente et des années plus tard, il subira deux opérations aux hanches. Il ne retournera pas dans l’arène avant février 1979, mais pour quelques semaines seulement, avant d’arrêter pendant plus d’un an.
Enfin, champion chez lui !
En 1980, après le décès de son père, Gino Brito reprend l’organisation de son paternel et s’associe à Frank Valois et le Géant Ferré afin de former les promotions Varoussac, qui deviendront Lutte Internationale quelques années plus tard.
La lutte reprend tranquillement ses lettres de noblesse, si bien qu’en juin 1980, on présente un premier spectacle de lutte dans la ville de Québec en quatre ans. Brito invite Shelley à faire un retour et devient, par le fait même, le premier promoteur à lui donner une chance en le mettant champion par équipe avec Richard Charland, le seul titre connu en carrière pour Len.
Shelley continue de lutter jusqu’à l’automne 1981, après quoi il est obligé de prendre une autre pause, qui l’amènera jusqu’en printemps 1982. Mais en août, il prend une pause de quatre ans, avant de revenir à l’été 1986 pour une dernière année, soit jusqu’à la fermeture de Lutte Internationale.
Coach Len
Quelques années plus tard, son fils Éric, qui avait suivi son père dans les vestiaires de lutte à l’adolescence, verbalise le désir de devenir lutteur à son tour. Après un peu d’entraînement aux Loisirs Saint-Jean-Baptiste et des cours privés avec son paternel, Éric Shelley fait ses débuts pour la ICW du promoteur et lutteur Ludger Proulx.
Puis, s’en suit une tournée avec Sailor White dans les Maritimes. Entre temps, Len continue de partager son savoir à Éric et en 1994, il se cherche des cobayes pour parfaire l’entraînement de son fils.
C’est alors que le propriétaire d’un gymnase de boxe à Valleyfield, Réjean Major, laisse savoir à un jeune de 18 ans du nom de Steve Sauvé, qu’il connaît Len Shelley. Amateur de lutte se souvenant très bien de Len «Kojak» Shelley, Sauvé se porte volontaire, en compagnie de Martin Dionne, Luc Beaulieu et Luc Séguin, le seul à avoir une base de lutte apprise à la ICW.
L’entente était la suivante : je vous entraîne, mais en retour, vous m’aidez avec Éric.
Ces quatre jeunes hommes deviendront tous des lutteurs sur la scène locale, sous les noms respectifs de Steve Ace, Marty Hart, Nightstalker et Nightmare. Du groupe, Sauvé aura la plus longue carrière, lui qui lutte toujours après 30 ans.
Quelques années plus tard, Len contribuera également à l’entraînement d’une jeune lutteuse du nom de Geneviève Goulet, que l’on connaît maintenant sous le nom de LuFisto. Il lui avait même fait rencontrer une lutteuse des années 1970 et 1980 du nom de Lise Raymond, qui à son tour, a donné de précieux conseils à LuFisto. Pour toutes ces personnes, Len a eu une influence sans borne et a été un élément primordial à leur carrière.

Son fils Éric et la WWE
Éric est ensuite approché pour faire partie d’une grosse tournée organisée par Jacques Rougeau et dans laquelle il lutte en équipe avec Jacques Comtois, un duo surnommé 100 limites. Mais les choses ne se terminent pas bien avec l’ancien lutteur et Len décide de prendre la carrière de son fils en main et d’utiliser ses contacts. Il parle à Abdullah the Butcher pour l’envoyer à Porto Rico et parle à Pat Patterson pour la WWE (la WWF à l’époque).
En compagnie de Martin Roy, alias Judas, Éric s’en va à Stamford, au Connecticut, pour un essai avec la plus grosse compagnie de lutte au monde. Jim Cornette communique alors avec Len et lui dit que son fils a passé le test haut la main. Peu de temps après, le 7 juillet 1997, la WWF invite Éric à Edmonton pour un enregistrement de Raw, où il lutte à la télévision face à Brian Christopher. On cherche à développer une division des mi-lourds et la promotion teste différents lutteurs.
Puis, le 11 novembre 1997, à Cornwall, pour un autre enregistrement de Raw, seulement deux jours après le fameux Montreal Screw Job, Shelley s’incline devant Scott Taylor (Scotty Too Hotty) dans la première ronde du tournoi afin de couronner le premier champion mi-lourd de la WWF, tournoi que gagnera ultimement Taka Michinoku.
Mais le tournoi ne connaît pas le succès escompté et la WWF ne met pas autant de lutteurs sous contrat que prévu. Shelley est contraint à retourner sur la scène locale pendant quelques années, mais n’aura plus jamais sa chance à la WWE.
Une nouvelle passion : artiste peintre
Une fois la carrière d’Éric terminée, Len continue à travailler. Pendant une quinzaine d’années, il a dirigé une compagnie d’articles promotionnels, les Distributions Kojak.
Toutefois, une fois à la retraite, Éric trouvait que son père avait besoin d’un passe-temps mis à part l’entraînement. Ainsi, pour l’un de ses anniversaires, Éric lui offre des cours de peinture et c’est ainsi le début d’une nouvelle passion pour Len. Il n’avait jamais peinturé de sa vie, mais selon sa professeure, il a un talent naturel.
En fin de compte, il a signé plus de 200 toiles, se spécialisant dans la penture animalière et se levant au petit matin pour se mettre à l’ouvrage.
Len Shelley avait le don de laisser une bonne impression sur les gens qu’il rencontrait. À titre personnel, bien qu’on se soit rencontrés à deux reprises seulement, il m’arrivait de temps à autre de recevoir un appel de Len. Le dernier est survenu un peu avant les Fêtes. Il m’a partagé comment il était fier de me voir œuvrer dans le monde des médias et m’a remercié pour tout ce que je faisais pour la lutte professionnelle.
Son appel m’avait beaucoup touché. Par contre, j’étais loin de me douter que ce serait la dernière chance de lui parler.
«Le meilleur conseil qu’il m’a donné c’est d’avoir une seule parole et de la garder, conclut Éric. Autant dans la vie personnelle que professionnelle, d’être honnête et droit. Mon père était un homme droit et c’est ça que je vais toujours me souvenir de lui.»
Je vais également en garder un excellent souvenir. Tout comme Steve Sauvé et Geneviève Goulet à qui j’ai parlé pour cet article.
Merci pour tout Len. Et mes plus sincères condoléances à Rita, Éric et toute la famille.