Voici comment de puissants gangs criminels ont réussi à prendre le contrôle d’Haïti
Gabriel Ouimet
Une flambée de violence est en cours à Port-au-Prince, où des gangs criminels armés se divisent le territoire et multiplient les enlèvements, les meurtres et les viols, incitant le gouvernement à demander l’intervention de la communauté internationale.
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La situation est grave en Haïti. Près de la moitié de la population, soit 4,7 millions de personnes, dont plus de 20 000 à Port-au-Prince, est touchée par la famine. Une vague mortelle de choléra sévit également depuis le mois d'octobre.
Mais c’est l’emprise croissante des gangs armés qui met actuellement le feu aux poudres, souligne le professeur de développement international et d'études mondiales à l’Université d’Ottawa, Stephen Baranyi.
«Il y a longtemps eu des problèmes de sécurité publique en Haïti, mais ces dernières années, il y a des quartiers, des zones entières de la capitale et des routes stratégiques menant au sud et au nord du pays qui ont été capturées par des gangs», explique-t-il.
Les groupes haïtiens de défense des droits de l’homme estiment que 60% de Port-au-Prince est maintenant contrôlée par les criminels, qui se divisent le territoire dans une guerre sanglante. Il y en aurait plus de 200 actifs dans le pays, dont plus de la moitié dans la capitale.
À l’occasion de la Journée mondiale des droits de l’homme, vendredi dernier, l’ONU a indiqué que ces gangs ont déjà fait plus de 1400 victimes cette année en Haïti, en plus d’en blesser plus de 1000 autres.
Des gangs de plus en plus autonomes
Si Haïti traverse une profonde crise politique depuis plusieurs années, la situation s’est détériorée en juillet 2021, lorsque le président Jovenel Moïse, élu cinq ans plus tôt, a été assassiné. Aucune élection n’a été organisée dans le pays depuis, et le parlement est paralysé.
Le vide politique a permis à des organisations criminelles de regrouper leurs forces et de mieux s’organiser, note Stephen Baranyi.
«Ces gangs étaient, à la base, protégés et soutenus par certains politiciens du gouvernement en place et de l’opposition, mais [ils] sont devenus autonomes au fur et à mesure qu’ils accumulaient leurs propres ressources financières pour acheter leurs armes, leurs bateaux, leurs voitures et autres matériels eux-mêmes», explique celui qui s’intéresse à la question haïtienne depuis de nombreuses années.
Les enlèvements contre rançons sont désormais une source de revenus importante pour les deux principales coalitions criminelles du pays, le G9 et le G-Prep. Les Nations Unies ont d’ailleurs dénombré plus de 1000 enlèvements dans le pays entre le mois de janvier et octobre 2022.
Les bandits ont aussi lancé des offensives pour contrôler notamment les ports et les routes principales du pays.
Un attentat fait exploser les cas de choléra
En septembre 2022, la plus importante coalition criminelle, la G9, a bloqué un important terminal pétrolier.
L’attentat a paralysé le pays et interrompu la distribution d’eau potable, ce qui a compliqué le travail des organismes humanitaires sur place pour combattre la flambée de choléra en cours.
Résultat: les cas de la maladie ont presque doublé en octobre.
Le terminal a depuis été libéré, mais c’est dans ce contexte que le premier ministre du pays et président autoproclamé Ariel Henry – qui n’a pas été élu – a demandé «le déploiement immédiat d'une force spécialisée armée» à ses partenaires internationaux le 7 octobre dernier.
«Cette demande a été reçue avec beaucoup de scepticisme par les partis de l’opposition et d’une partie de la population, qui voyaient ça comme une demande d’appui international à un régime sans légitimité et une tentative de créer une sortie de crise en utilisant la force plutôt que par la volonté de négocier avec le peuple de son pays», précise Stephen Baranyi.
Le Canada veut éviter les erreurs du passé
La communauté internationale, menée par le Canada, travaille depuis à l’élaboration d’une stratégie pour venir en aide à Haïti. Une tâche complexe, puisque les dernières interventions menées entre 2004 et 2017 dans le cadre de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) n’ont pas réussi rendre le pays plus sécuritaire.
D’ailleurs, comme les gangs opèrent dans des quartiers densément peuplés, les experts estiment qu’une confrontation armée pourrait rapidement dégénérer.
Le Canada et ses partenaires, qui ont déjà orchestré une série de sanctions contre les meneurs des gangs et leurs alliés politiques en Haïti, continuent donc de chercher une «solution haïtienne» à cette crise, analyse l’expert de l’Université d’Ottawa, Stephen Baranyi.
«Il y a une réelle volonté de reprendre les territoires actuellement contrôlés par les gangs. Il faut donc équiper la police et créer un espace pour qu’elle puisse faire son travail, pour que l’espace politique puisse faire son travail, et pour que les parties prenantes puissent négocier sans avoir de pistolet à leur tête», conclut-il.