Climat: voici à quoi servent réellement toutes les conférences, sommets et rencontres internationales
Élizabeth Ménard
Le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a un agenda bien chargé par une série de rencontres internationales sur les changements climatiques ces jours-ci. Mais qu’est-ce que ça donne, toutes ces réunions entre politiciens? Est-ce que des avancées importantes y sont réellement accomplies? On a posé la question à trois experts.
• À lire aussi: C’est quoi, au juste, la COP26, et pourquoi c’est aussi important?
Réunion du G7 sur le climat, réunion ministérielle sur l’action climatique, Stockholm+50, Conférence de Bonn sur le changement climatique... Depuis la semaine dernière et jusqu’à la mi-juin, Steven Guilbeault enchaîne les réunions et conférences internationales.
«Il y a un cynisme qui est tout à fait légitime face à ces rendez-vous», consent, d’entrée de jeu, notre collaboratrice et analyste politique à la Fondation David Suzuki, Léa Ilardo.
L’an dernier, le célèbre environnementaliste David Suzuki avait d’ailleurs refusé de participer à la COP26.
«Nous avons déjà eu 25 COP et aucune d’entre elles n’a permis de réduire nos émissions de gaz à effet de serre», avait-il confié à Radio-Canada.
Qu’on se le dise, ce n’est pas cette semaine qu’on va sauver la planète de la crise climatique.
«C’est sûr que ce n’est pas là que les grandes décisions se prennent, estime Léa Ilardo. Mais ce sont des rendez-vous qui permettent de mettre un sujet à l’agenda politique.»
Elle cite, par exemple, la rencontre des pays du G7 de la semaine dernière, où le ministre Guilbeault a réussi à remettre à l’agenda le financement des pertes et préjudices, c’est-à-dire cette enveloppe de 100 milliards de dollars par année qui doit être versée par les pays du Nord aux pays du Sud.
Cette promesse, faite lors de l’Accord de Paris de 2015, n’a toujours pas été respectée, rappelle la directrice des politiques nationales du Réseau Action Climat Canada, Caroline Brouillette.
«Quand on travaille sur le climat, on fait des avancées qui sont à la fois historiques et insuffisantes», souligne-t-elle.
La pression par les pairs
Les rencontres internationales sur le climat sont en fait un grand jeu d’influence et de leadership.
«C'est important de se rappeler que l'architecture multilatérale du climat est beaucoup basée sur la pression internationale par les pairs», dit-elle.
Dans l’Accord de Paris, par exemple, il n’y a pas de mécanisme punitif, mais on y demande tout de même un rehaussement de l’ambition tous les cinq ans, ce qui crée un effet d’entraînement par la pression entre les pays.
«On l'a vu l'année dernière avec le président Biden qui a lancé le bal avec une nouvelle cible. Ensuite on a vu le Canada suivre, le Japon, le Royaume-Uni, l'Union européenne... donc en ce sens, les grandes rencontres internationales contribuent à créer ce momentum pour l'augmentation de l'ambition.»
Pour les groupes environnementaux et de la société civile, ces événements sont aussi l’occasion de rencontrer les élus et des membres des partis d’opposition, mentionne l’analyste en politiques climatiques et en transition écologique chez Équiterre, Émile Boisseau-Bouvier.
• À lire aussi: À 19 ans, il interpelle François Legault à la COP26: «Notre avenir est pris en otage»
«Ç’a des répercussions très concrètes, affirme-t-il. C'est une occasion pour nous de partager nos pistes de solutions et on voit qu'il y en a ensuite qui sont reprises dans les plateformes de partis, dans des promesses électorales et même des actions du gouvernement. C’est ce qui permet de garder l'espoir et de voir la pertinence de ces rencontres-là.»
Léa Ilardo va dans le même sens. «Chaque année, on dit qu'on est déçus des décisions. Mais c'est une fois que les chefs d'État rentrent chez eux que ça se passe réellement et il faut tout de même avoir cet espace de discussion», dit-elle.
C’est aussi un moment pour que les politiciens se plongent dans les enjeux actuels, se concentrent dessus et s'y sensibilisent.
«Je peux en témoigner moi-même, j'étais à la COP25, raconte Léa Ilardo. C’est très marquant comme événement parce qu'on rencontre des gens du monde entier, qui vivent déjà de plein fouet les conséquences des changements climatiques. Je me souviens que Benoit Charette [ministre provincial de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques] m'avait dit qu'il avait été transformé par son expérience à la COP.»
• À lire aussi: Un discours les pieds dans l'eau pour alerter sur les changements climatiques
À la COP suivante, qui a eu lieu en novembre dernier, le Québec a cimenté sa décision de mettre fin à l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures sur son territoire et il s’est ainsi joint à La Beyond Oil and Gas Alliance.
• À lire aussi: COP26 : Le Québec rejoint une coalition internationale contre la production de pétrole et de gaz
«Le Québec a été la première juridiction à compléter sa promesse. Donc c'est clairement une belle retombée de ce genre de rencontres», juge Émile Boisseau-Bouvier.
Avancer à pas de tortues, c’est mieux que rien
Malgré qu’il soit facile de se laisser aller au cynisme, les trois experts choisissent plutôt de garder espoir.
• À lire aussi: Les pays de la COP26 signent un accord pour accélérer la lutte contre le réchauffement climatique
«En ce moment, oui on s'enligne sur un réchauffement climatique qui dépasse les 1,5 degrés, mais s'il n'y avait pas tout ce contexte international, on aurait déjà explosé notre compteur», souligne Léa Ilardo.
«Moi je choisis de prendre le prisme de l'optimisme et de voir que chaque fraction de degré de réchauffement climatique évité a des impacts très concrets sur le terrain, confie Émile Boisseau-Bouvier. Des gens qui ne vont pas être délocalisés, subir de famine, d'événement météorologique extrême.»
«L'Accord de Paris fonctionne quand même, ajoute Caroline Brouillette. Quand on regarde les trajectoires de réchauffement, on a réussi à faire baisser ces trajectoires de quelques dixièmes de degrés Celsius», fait-elle valoir.
L’événement international sur les changements climatiques le plus marquant, selon vous?
Le Sommet de Rio de 1992
«C'est sûr que Rio en 1992 c'est marquant. On y a créé un régime international, au niveau du droit, pour la diversité biologique, les changements climatiques et la lutte contre la désertification. C'est majeur. Je pourrais citer l'Accord de Paris, mais sans Rio 92, tout ça n'existerait pas aujourd'hui.» - Léa Ilardo
«Celui qui a vraiment permis de prendre conscience c'est le Sommet de Rio. Les gens se sont rassemblés, ont décidé d'agir. On aimerait voir un mouvement un peu analogue rendu en 2022 où l'action climatique a besoin de passer à une nouvelle vitesse. Oui, les gens ont compris qu'il y avait une crise climatique. Là, c'est le temps de comprendre l’urgence de cette crise-là et d'agir en conséquence.» - Émile Boisseau-Bouvier
La COP21, dont découle l’Accord de Paris
«On a réussi, pour la première fois, à atteindre un compromis entre les pays du Sud et du Nord. C'est-à-dire que les pays du Sud s'engagent à réduire leurs gaz à effet de serre en échange de finance climatique internationale: minimum 100 milliards $ par an.» - Caroline Brouillette
À l’agenda du ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, dans les prochains jours:
Les 30 et 31 mai:
Réunion ministérielle sur l’action climatique
On y soulignera les 30 ans de la Convention-cadre des Nations Unies. Cette rencontre est coprésidée par le Canada et l’Union européenne. Il est attendu que le Canada fasse avancer les discussions sur les pertes et préjudices.
Les 2 et 3 juin:
Sommet Stockholm+50
50 ans après le premier Sommet de Stockholm, première conférence internationale sur les questions d’environnement, ce sera l’occasion de faire le point sur les avancées. On évaluera la mise en œuvre des objectifs de développement durable, de l’Accord de Paris et du cadre mondial pour la biodiversité.
Du 6 au 16 juin:
Conférence de Bonn sur les changements climatiques:
On y fera progresser les négociations sur les principaux points à mettre à l’ordre du jour de la COP27, qui doit avoir lieu à l’automne.