Vive la vulve : le sexe féminin à travers l’histoire
Qu’ont en commun l'œuvre L’origine du monde, de Gustave Courbet, et le clip Pynk, de l’artiste Janelle Monàe? D’hier à aujourd’hui, chacun célèbre à sa façon le sexe féminin...
Marouchka Franjulien
Qui n’a pourtant pas toujours eu la vie facile au fil des époques et des cultures! On fait le point (g) sur cette zone fascinante de l’anatomie.
Noune, foune, chatte ou «vajayjay», comme l’a notoirement appelée Oprah Winfrey sur le plateau de son émission... Dans le vocabulaire de Molière comme dans la langue de Shakespeare, les mots – plus ou moins triviaux – ne manquent pas pour désigner la vulve de toutes les façons possibles sauf celle qui lui a été attribuée, comme s’il subsistait encore un certain tabou à son sujet. Formée – entre autres – du pubis, du gland du clitoris et des lèvres, elle désigne la partie externe du système reproducteur féminin et est souvent confondue, à tort, avec le vagin (demandez à Oprah!), qui, lui, est l’organe tubulaire musculo-muqueux reliant la vulve à l’utérus. Bref, d’un point de vue purement scientifique, c’est tout aussi rasoir que d’énumérer les 206 os du corps humain... Alors pourquoi la vulve – tantôt conspuée, tantôt exaltée – déchaîne-t-elle les passions depuis des siècles et des siècles?
Le deuxième sexe
En 1674, le chirurgien français Nicolas de Blégny nomme pour la première fois le vagin, du latin «vagina», qui désigne le fourreau d’une épée (la vulve, elle, vient du latin «vulva», qui veut dire matrice). Autrement dit, l’organe féminin serait uniquement là pour accueillir le pénis... Deux siècles plus tard, à l’aube des années 1900, Sigmund Freud, père de la psychanalyse, avance l’idée selon laquelle les fillettes – réalisant qu’elles n’ont pas de phallus – le vivraient forcément comme une frustration. La vulve ferait donc pâle figure face à son homologue masculin? Il n’en a (heureusement) pas toujours été ainsi!
Au cours du troisième millénaire avant notre ère, les Sumériens – dans l’actuel Irak – vénèrent Inanna, déesse de l’amour, de la beauté, du sexe et de la guerre. À en croire le mythe, celle-ci s’exclame le jour de son mariage avec Dumuzi, un simple mortel: «Laboure ma vulve, homme de mon cœur.» Leur accouplement donne naissance à une végétation luxuriante, plaçant les deux amants sur un pied d’égalité, aussi nécessaires l’un que l’autre à la vie. Même chose du côté de l’Égypte ancienne: lorsque Rê, dieu solaire, a un petit coup de déprime, la déesse Hathor lui montre sa vulve! Le créateur de l’univers éclate alors de joie et retrouve toute sa luminosité. Plutôt sympa comme mythe, non?
Alors, quand le sexe féminin a-t-il été diabolisé ou, du moins, éclipsé? L’Histoire n’attendra pas très longtemps... Les sculpteurs de l’Antiquité grecque et romaine, qui n’hésitent pas à tailler des phallus (certes petits), perdent tous leurs moyens devant le sexe féminin (c’est à peine si l’on distingue un triangle, lisse comme le ventre d’un dauphin). À la même époque, le médecin grec Arétée de Cappadoce est persuadé que l’utérus vit sa propre vie comme un animal, causant la mélancolie, la fatigue ou des vertiges lorsqu’il se cogne au foie ou remonte dans le corps. Le seul moyen de le dompter? Lui faire respirer de bonnes odeurs (ça ne s’invente pas)! Et puis, au Moyen Âge, une idée apparaît, qui subsistera jusqu’au XVIIIe siècle: la femme est un être imparfait, en tout point inférieure à l’homme, puisque son système reproducteur est en fait une réplique renversée des organes sexuels masculins, les ovaires jouant le rôle des testicules. Ça non plus, ça ne s’invente pas...!
Le pouvoir de la vulve
En 1797, le peintre Francisco de Goya ose dessiner une femme nue, dont le pubis est caressé par de (très) légers poils pubiens... une incartade pileuse qui lui vaut d’être mis en procès pour obscénité! Près d’un siècle plus tard, Gustave Courbet pond son célèbre tableau, L’origine du monde, beaucoup plus réaliste. Hélas, celui-ci se promène discrètement de propriétaire en propriétaire avant d’être finalement exposé pour la première fois au public en 1988!
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Pendant ce temps-là, la révolution sexuelle des années 1960 et 1970 libère – enfin! – la vulve de son carcan social. Our Bodies, Ourselves, un ouvrage majeur publié en 1973 par un collectif de femmes de Boston, permet aux lectrices de mieux comprendre leur anatomie, jusqu’ici censurée, tandis que le mouvement hippie encourage les femmes à assumer – et à explorer – leur sexualité. Et si les seventies préfèrent dévoiler une vulve au naturel, dissimulée par un buisson ardent de poils pubiens, le maillot intégral (ou le ticket de métro) a la cote dans les années 1980, la faute aux maillots échancrés et au boum de l’industrie porno.
La vulve, qui s’est longtemps cachée, n’hésite plus aujourd’hui à se revendiquer et à célébrer son individualité (avec ou sans poils). Du clip God is a Woman, d’Ariana Grande, truffé d’images féministes, à Pynk, de Janelle Monáe, dans lequel elle et sa troupe portent un pantalon qui rappelle les contours du sexe féminin, en passant par les artistes visuels qui fleurissent sur Instagram pour représenter à leur manière cette partie de l’anatomie (du pamplemousse coupé en deux aux dessins et broderies plus explicites), la vulve reprend ses droits... et c’est beau à voir!