Violences sexuelles, féminicides, inégalités: devrait-on créer un ministère des Droits des femmes?
Anne-Sophie Poiré
Une vingtaine d’organisations qui revendiquent la création d’un ministère des Droits des femmes et de l’Égalité au Québec dénoncent le peu de place qu’occupent les enjeux féministes dans la campagne électorale, au moment où on constate que la pandémie a accentué les inégalités de genre. Est-ce qu’un ministère est vraiment nécessaire pour améliorer la condition de vie des femmes?
«C’est une promesse qui se ferait remarquer, parce qu’il y a un momentum avec la pandémie et les constats alarmants par rapport à la détérioration de la condition de vie des femmes: les féminicides, la charge mentale qui s’est accrue, le recul sur le marché du travail, les violences sexuelles, le manque de places en CPE, l’accès aux soins gynécologiques», souligne la coordonnatrice du Réseau des Tables régionales des groupes de femmes du Québec, Marie-Andrée Gauthier.
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Un rapport de l’Observatoire québécois des inégalités publié lundi confirme par ailleurs cet état des lieux, surtout pour les femmes racisées et moins nanties.
Le G13, qui rassemble 19 organisations féministes et dont fait partie le Réseau, demande depuis 2010 la création d’un ministère québécois consacré aux droits des femmes et à l’égalité des genres.
Pour l’heure, la condition féminine est l’affaire d’un secrétariat qui relève de la ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest.
«C’est donc une charge supplémentaire pour la ministre, une sous-catégorie de priorités», fait valoir Rachel Chagnon, professeure au Département des sciences juridiques de l’UQAM, qui s’intéresse aux questions d’égalité et de discrimination dans l’élaboration des politiques publiques.
«Le travail pour atteindre l’égalité est trop important pour un secrétariat», croit-elle.
Au fédéral, un ministère des Femmes et de l’Égalité des genres a été créé en 2018 par les libéraux de Justin Trudeau. Depuis, les dossiers progressent plus rapidement et plus d’argent est investi, autant dans les organismes féministes qu’en recherche, soutient la professeure. Les enjeux y sont traités de manière transversale, entre les différents ministères donc.
À deux semaines du scrutin, seuls Québec solidaire (QS) et le Parti Québécois (PQ) ont promis la création d’un tel ministère s’ils étaient portés au pouvoir.
Où sont les enjeux féministes dans la campagne?
«La condition de vie des femmes est totalement absente de la campagne électorale», déplore Marie-Andrée Gauthier. Elle rappelle que plusieurs engagements ont pourtant été pris en contexte d’élections par le passé, comme «les centres de la petite enfance (CPE), la loi sur l’équité salariale et le versement automatique des pensions alimentaires».
«On peut dire que c’est un problème, [le fait] que ça passe sous le radar, parce que les femmes constituent 52% de la population et qu’elles doivent surmonter de plus grands défis», signale la coresponsable des dossiers politiques au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, Louise Riendeau.
Pour Rachel Chagnon, c’est aussi une question d’électorat cible.
«Les femmes votent plus souvent que les hommes, et soutiennent davantage les partis politiques avec des programmes progressistes, analyse l’experte. Dans certains partis, il n’y a pas de gain à mettre de l’avant les enjeux féministes.»
Toutes les décisions politiques ont pourtant des effets différents sur les différents genres, précise le G13.
«Quand on demande aux immigrants d’apprendre le français en six mois, c’est beaucoup plus facile pour les hommes, puisqu’ils vont directement sur le marché du travail et l’apprennent plus vite. La première année, les immigrantes apprennent plutôt le fonctionnement de la société d’accueil: les CLSC, les épiceries, les services», explique Marie-Andrée Gauthier.
Violences envers les femmes
«La pandémie nous a montré que les droits des femmes sont fragiles», prévient Louise Riendeau, devant la hausse des violences commises envers elles.
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En 2021, 26 femmes ont été tuées au Québec, dont les deux tiers dans un contexte conjugal.
«Et en parallèle, on constate une augmentation de plus de 28% des agressions à caractère sexuel en 2021. Dans neuf cas sur dix, les victimes sont des femmes et l’agresseur est un garçon ou un homme», renchérit la responsable des communications au Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS), Justine Chénier.
La violence faite aux femmes devrait donc être «un enjeu de campagne», selon elles.
«Dans l’ensemble, ce n’est pas suffisamment mis à l’avant par les partis. Il y a toujours eu de la violence conjugale et sexuelle envers les femmes, mais on a vu une augmentation ces dernières années pendant les périodes de confinement», souligne Mme Chénier.
C’est d’ailleurs ce que dénonce le collectif La voix des jeunes compte, qui exige depuis cinq ans l’adoption d’une loi afin de prévenir les violences sexuelles dans les écoles primaires et secondaires.
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«On ne se concentre pas beaucoup sur les jeunes dans cette élection», estime la militante Youveline Gervil, 19 ans, qui votera pour la première fois le 3 octobre prochain. Elle rappelle que les jeunes représentent la majorité (62%) des victimes d’infractions sexuelles enregistrées par les services de police.
«Entre 50% et 80% des agresseurs sexuels ont commis leur premier acte à l’adolescence. Une loi permettrait d’éviter certaines violences à l’âge adulte, dit-elle. La protection des jeunes devrait être un consensus entre les partis.»
Bien que «tout ne soit pas réglé», Louise Riendeau reconnaît les bons coups du gouvernement sortant pour combattre les violences faites aux femmes. En juin, la Coalition Avenir Québec (CAQ) a annoncé un plan de 462 M$ sur cinq ans «pour contrer la violence sexuelle, conjugale et rebâtir la confiance». Des tribunaux spécialisés en matière de violence sexuelle et de violence conjugale ont aussi été déployés depuis le printemps.
Recul sur le marché du travail
La COVID-19 a également eu un impact «inédit» sur l’emploi des femmes qui ne s’est toujours pas résorbé, révèle le rapport de l’Observatoire québécois des inégalités.
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«Les pertes d’emploi ont été plus importantes pour les femmes. On sait que l’écart de taux d’emploi persiste malgré une amélioration, mais il s’est accentué. Ce n’est pas une bonne nouvelle», commente la chercheuse Sandy Torres.
Les plus récentes données de l’Institut de la statistique du Québec confirment aussi ce recul.
«Les femmes sont concentrées dans certains secteurs d’activité qui ont été particulièrement touchés par la pandémie, comme la restauration, le tourisme, le milieu de la santé ou de l’enseignement», détaille Martine Bégin, membre du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail (CIAFT), qui fait partie du G13.
Avec la fermeture des services de garde et des écoles, elle rappelle que beaucoup de femmes ont dû quitter le marché du travail pendant la crise sanitaire pour s’occuper des enfants – ou carrément ajouter ces tâches à leur journée de travail.
Le manque de places en garderie risque de creuser ce recul en emploi. «Malgré la pénurie de main-d’œuvre, beaucoup de jeunes femmes ne retournent pas travailler après leur grossesse», indique Mme Bégin.
Principaux engagements des partis politiques
Parti Québécois
- Créer un ministère de la Condition féminine.
- Modifier la Loi sur les normes du travail pour prévoir 10 jours de congé pour les victimes de violence conjugale.
- Rehausser le financement des organismes communautaires pour les victimes de violence conjugale à 460 M$ par année.
Coalition Avenir Québec
- Implanter les bracelets antirapprochements partout au Québec d’ici décembre 2023.
- De 2018 à 2022, le parti dit avoir investi des sommes record de 951 M$ pour lutter contre la violence faite aux femmes.
Parti libéral du Québec
- Appliquer les 190 recommandations du rapport Rebâtir la confiance dans la foulée du mouvement #MoiAussi.
- Mettre sur pied un centre de services intégrés pour les victimes et les enfants impliqués dans les cas de violence conjugale et sexuelle.
Parti conservateur du Québec
- Rendre public le registre des délinquants sexuels (sauf les acheteurs de services sexuels).
Québec solidaire
- Créer un ministère Femmes et Égalité de genres.
- Appliquer les 190 recommandations du rapport Rebâtir la confiance dans la foulée du mouvement #MoiAussi.
- Mettre en place un tribunal spécialisé en matière d’agressions sexuelles et de violence ciblant spécifiquement les femmes.
- Rendre toutes les formes de contraceptions gratuites et accessibles, de même que les produits d'hygiène menstruelle.