Victime d’agression sexuelle, Catherine Fournier raconte son histoire dans un documentaire
Michèle Lemieux
Victime d’agression sexuelle, Catherine Fournier a mis du temps avant de dénoncer le député de Rimouski Harold LeBel et, par le fait même, de se plonger dans un long processus judiciaire. La mairesse de Longueuil avait choisi de se faire discrète, croyant son anonymat préservé en vertu du Code criminel, mais son identité a été dévoilée dans les médias bien malgré elle. Voulant faire œuvre utile, elle a accepté de raconter son histoire dans le documentaire Témoin C.F. afin que son expérience puisse servir à d’autres victimes.
Madame Fournier, pourquoi avoir accepté de vous prêter à un documentaire qui raconte votre histoire?
La démarche que m’ont proposée les journalistes m’a convaincue. Au-delà de mon histoire personnelle, je désirais vraiment que ça puisse contribuer à démystifier les étapes du processus judiciaire d’une victime d’agression sexuelle. Quand j’ai amorcé la démarche de dénonciation, je ne comptais pas prendre la parole publiquement. C’est important pour moi de le spécifier. J’ai porté plainte en me disant que mon identité allait être protégée, comme le prévoit le Code criminel. Malheureusement, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Plusieurs éléments liés à mon identité ont été partagés dans les médias. Un chroniqueur a même mentionné mon nom. À partir de ce moment, tous mes proches ont été mis au courant.
N’est-il pas violent qu’on dévoile l’identité d’une personne malgré son désir de garder l’anonymat?
Oui, c’est violent. Ç’a été la pire journée de ma vie... Ma grand-mère m’a appelée en pleurant parce que des amis avaient entendu cette information à la télé et qu’ils lui avaient téléphoné pour la lui rapporter. Ça s’est passé de la pire façon qui soit, alors que moi, je ne cherchais qu’à protéger ma famille, mes parents, mes frères, ma grand-mère. Qu’on fasse fi de ma volonté m’a beaucoup affectée. Plusieurs mois plus tard, lorsque le projet de documentaire m’a été proposé, je me suis dit que c’était pour moi l’occasion de me réapproprier ma parole et de transformer les événements malheureux — tant l’agression que la violation de mon droit à la vie privée — en quelque chose de positif. À titre d’élue, j’ai une tribune, et si cela peut permettre aux victimes d’agression sexuelle de mieux comprendre le système judiciaire, de se sentir moins seules, tant mieux.
Entre l’agression survenue en octobre 2017 et la plainte déposée en décembre 2020, il s’est écoulé plus de trois ans. Ç’a donc été un long processus...
Oui. Dans les premiers temps, j’ai choisi de faire comme si l’événement n’avait pas eu lieu, de mettre ça dans une case dans ma tête. C’était plus facile que de dénoncer. J’avais 25 ans, j’étais fraîchement élue, je voulais faire mes preuves dans le milieu politique, je voulais gagner en crédibilité. Je n’avais pas envie que cet événement me définisse ou ait des conséquences professionnelles. Puis j’ai réalisé que ce n’est pas parce qu’on veut oublier qu’on oublie... Les événements me revenaient en tête. J’ai pris mes distances de cette personne. J’ai cheminé.
Comment vous sentiez-vous?
À la suite de l’agression, je me suis jugée. Je me trouvais faible, car je n’avais pas eu la réaction que j’aurais cru avoir en pareilles circonstances. J’avais toujours pensé que si une chose semblable m’arrivait, j’allais courir, crier, mais la réalité est différente. J’ai figé, par réflexe de protection. Je me sentais vulnérable. Il était beaucoup plus fort que moi. Ce n’était plus l’ami, la personne de confiance que je connaissais. J’ai fini par comprendre les mécanismes psychologiques qui sous-tendaient ma réaction.
Il faut mentionner que vous étiez dans une relation de pouvoir, puisque cet homme était pour vous un mentor.
En effet. J’ai eu peur qu’il m’en veuille de l’avoir repoussé. Je pense que c’est la réalité de beaucoup de femmes. Même si c’est légitime de le faire, c’est parfois difficile de mettre nos limites.
Le fait de si bien connaître votre agresseur a-t-il fait en sorte que vous avez été tiraillée entre le désir de porter plainte et celui de ne rien dire?
C’est un tiraillement qui m’a beaucoup habitée. Bien des victimes ont un lien avec leur agresseur. Parfois, on connaît aussi la famille. On a peur des répercussions. Une partie de moi ne voulait pas dénoncer. J’ai trouvé ça dur de le faire, mais je crois qu’il doit y avoir une conséquence aux gestes posés. Je tiens à dire que les choses ont évolué dans le système de justice, entre autres depuis le mouvement #MoiAussi. Des ressources dédiées aux violences sexuelles sont en place au sein des CAVAC et les policiers reçoivent de la formation. J’ai été bien accompagnée.
Comment avez-vous réagi en apprenant la condamnation?
C’était l’aboutissement de plusieurs journées extrêmement émotives dans le cadre du procès devant jury et d’années de procédures judiciaires. J’ai éprouvé un grand soulagement, comme si un énorme poids s’enlevait de mes épaules. Je m’étais préparée au pire... Ç’a été une belle surprise. Pour ceux et celles qui désirent porter plainte, il y a des ressources, mais je comprends les raisons pour lesquelles ces personnes ont choisi de ne pas le faire. Or il n’y a pas de prescription pour les agressions sexuelles.
Vous avez évoqué la possibilité de pardonner à votre agresseur. Y arriverez-vous un jour?
Le pardon est un processus. J’ai eu des blessures à travers tout cela: l’agression comme telle, mais aussi le fait qu’il ne reconnaisse pas les gestes commis et qu’il nous plonge dans un processus judiciaire intense. Ç’aurait pu être évité s’il avait plaidé coupable. Ça m’a déçue, blessée d’être confrontée à son témoignage, qui était contraire à la vérité. Cela s’ajoute à l’agression, ce qui fait que j’ai encore besoin de recul. J’aspire à pouvoir lui pardonner et je suis sûre que ça va arriver.
Plusieurs ont salué votre courage, dont le premier ministre du Québec. Cela donne-t-il un sens à votre démarche?
J’ai reçu une vague de solidarité et d’amour du grand public. Je l’ai fait pour rendre la justice plus accessible et montrer aux victimes qu’elles ne sont pas seules. Je voulais aussi faire savoir que même une femme avec des responsabilités importantes peut avoir été victime. Au-delà du documentaire, c’est une démarche que je veux poursuivre. Je désire m’impliquer auprès du réseau des CAVAC pour que mon expérience puisse bénéficier à d’autres victimes.
Un témoignage nécessaire
Ce documentaire télé du Bureau d’enquête de Québecor nous propose une incursion au cœur du processus judiciaire entamé par Catherine Fournier. Le 15 décembre 2020, une accusation d’agression sexuelle vise le député Harold LeBel, provoquant une tempête médiatique. Malgré un interdit de publication, l’identité de la victime est révélée dans les médias le jour même. Son anonymat n’aura duré que... 62 minutes. Le reportage suit Catherine Fournier dans toutes les étapes: de la plainte jusqu’au procès et à la sentence qui enverra Harold LeBel en prison.
À voir sur Vrai