Baisser la limite d’alcool? Qui viser? Des pistes de solutions.
Lisez notre dossier sur l'alcool au volant
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![Photo portrait de Valérie Gonthier](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fm1.quebecormedia.com%2Femp%2Femp%2FValerie_Gonthier99a440bb-8b6f-4dec-8d07-79ba8e557c18_ORIGINAL.jpg&w=3840&q=75)
Valérie Gonthier
Vers une réduction de la limite d’alcool à 0,05?
Conduire avec un taux d’alcoolémie supérieur à 0,05 augmente d’au moins quatre fois le risque de collision mortelle, révèle une étude québécoise.
«Si la limite était à 0,05, vous ne pourriez pas vider votre bouteille avec votre conjoint au restaurant, mais on verrait des gains énormes pour l’ensemble de la société», lance le Dr Pierre Maurice, de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
Il insiste : plus on ingère d’alcool, plus le danger augmente de manière exponentielle. Une personne dont l’alcoolémie varie de 50 mg à 80 mg d’alcool/100 ml de sang a quatre fois plus de risque d’être impliquée dans une collision mortelle. Et conduire avec un taux de 81 mg à 150 mg d’alcool augmente de 24 fois le risque.
Le Québec le plus tolérant
Depuis des années, il plaide pour que le Québec, seule province au Canada où le taux d’alcool permis est à 0,08, abaisse la limite à 0,05, comme ailleurs au pays. En Saskatchewan, la limite est même de 0,04.
Le nombre de collisions mortelles pourrait diminuer d’environ 10 %, dit le Dr Maurice. Les gens craindraient davantage de se faire arrêter et seraient plus prudents.
«Ça va influencer la norme sociale, tirer tout le monde vers le bas. Une personne qui aurait normalement conduit avec 120 mg d’alcool/100 ml de sang va se rapprocher plutôt de 80 mg», poursuit le Dr Maurice.
Une occasion ratée
![En plus d’entraîner dans la mort un père de quatre enfants, Patrick Méthot, un récidiviste de l’alcool au volant est venu près de faire une autre victime quand il a été impliqué dans un terrible accident, le 11 octobre 2012, sur l’autoroute 20 à la hauteur de la municipalité des Coteaux.](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fm1.quebecormedia.com%2Femp%2Femp%2F52216619_395399fc218480-edce-45b7-8178-f2c935df1a99_ORIGINAL.jpg&w=3840&q=75)
Le gouvernement libéral du Québec a tenté sans succès de faire passer la limite permise à 0,05 en 2007, puis en 2010. La sanction ne représentait alors qu’une «simple tape sur les doigts», selon Jean-Marie De Koninck, à l’époque président de la Table québécoise sur la sécurité routière.
Les conducteurs interceptés dont le taux se situait entre 0,05 et 0,08 auraient reçu une sanction administrative, impliquant la suspension du permis pour 24 heures et aucune amende. La limite actuelle de 0,08 demeurait le seuil pour faire l’objet d’accusations criminelles.
«Les études démontrent qu’il y aurait une baisse sur toute la ligne», dit le fondateur d’Opération Nez Rouge.
«Avec des sanctions administratives, on sensibiliserait les conducteurs. Moi, je vise le moins de blessés et de décès sur nos routes», continue le chef de la sécurité routière à la Sûreté du Québec, Paul Leduc.
La Colombie-Britannique a vu le nombre de victimes de l’alcool au volant chuter de 40 % depuis que le taux est passé à 0,05. En 2019, l’Ontario a enregistré le plus faible taux de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool au pays.
Ici, moins de 2 % des conducteurs décèdent avec un taux d’alcoolémie de 0,05 à 0,08. En revanche, en 2019, près du tiers des chauffards ivres tués était au-dessus de 0,08. La majorité avait même presque le double de la limite permise.
«On est chaud»
«À 0,08, on est chaud ! affirme le Dr Maurice. La vigilance est affectée, ainsi que la capacité à maintenir une ligne droite, à garder la voie, à évaluer la distance avec les autres véhicules.»
«Un homme de 200 lb qui consomme six bières en deux heures ne se fera pas traduire en justice. Pourtant, on ne le veut pas sur nos routes», dit Theresa-Anne Kramer, de MADD Montréal.
L’Association des restaurateurs du Québec (ARQ) craint pour sa part une réduction de la consommation d’alcool des clients ou même des sorties, ce qui nuirait à « l’industrie déjà fatiguée ».
«En région, il n’y a pas de taxi ou de transport en commun aussi accessible», dit Martin Vézina, de l’ARQ.
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Qui de Monsieur-Madame-Tout-le-Monde ou les récidivistes viser?
Monsieur et madame Tout-le-Monde ou les irréductibles récidivistes : sur qui mettre les efforts pour améliorer le bilan en matière d’alcool au volant ? Les avis divergent.
«Si on enlevait ce noyau dur d’alcooliques, on réglerait un méchant problème. J’ai de l’empathie pour ces gens, mais ils sont dangereux», plaide le président d’Opération Nez Rouge, Jean-Marie De Koninck.
Puisque la sensibilisation et les sanctions plus sévères imposées aux multirécidivistes ne les convainquent pas tous, une seule solution s’impose pour les éliminer des routes : déchirer leur permis pour la vie.
Assez de trouble
«Ils ont fait assez de trouble de même, dit-il. À moins qu’au bout de cinq années, le conducteur soit en mesure de prouver qu’il est sobre depuis longtemps.»
Le Dr Pierre Maurice, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec, propose pour sa part qu’un antidémarreur à vie soit imposé dès la première récidive.
«Ce serait de reconnaître que la personne a un problème d’alcool. Elle pourra conduire, mais devra démontrer qu’elle est apte à le faire», dit-il.
Mais les récidivistes ne sont pas les seuls responsables du bilan. Pas moins de 86 % des condamnations pour conduite avec facultés affaiblies en sont à leur première offense, selon la Société de l’assurance automobile du Québec.
Dégringolade
«Il y en a plusieurs que ça va leur arriver une fois», dit Marco Harrison, de CAA-Québec, qui croit que c’est sur cette masse de conducteurs qu’il faut miser, pour les sensibiliser.
«Au moment où tu as pris [le risque] de t’asseoir au volant après avoir pris trop d’alcool, c’est la dégringolade. Les conséquences t’arrivent dans la face», ajoute-t-il.
«En quelques secondes, tu deviens un criminel», précise la policière experte en sécurité routière au SPVM, Nathalie Valois.
Des répercussions « disproportionnées », sachant qu’il est possible d’éviter de conduire ivre, insiste le coroner André H. Dandavino.
«Personne ne sait combien ça prend de consommations pour se rendre à 0,08. Ou combien de temps ça prend pour passer de 160 mg à 80 mg», prévient Kim Miller, de l’organisme Point Final, qui lutte contre l’alcool au volant en misant sur l’éducation.
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Des pistes de solutions
De nombreux Québécois mettent encore leur vie et celles des autres en danger en conduisant sous les effets de l’alcool, et ce, même si de nombreux efforts ont été déployés pour contrer le fléau. Des experts consultés par Le Journal proposent d’autres pistes de solution afin d’enrayer le problème.
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Freinage automatique, détection des angles morts, ordinateur de bord, anti-dépassement de ligne ; grâce aux avancées de la technologie, le parc automobile s’est grandement amélioré. Pourquoi ne pas installer dans tous les véhicules des antidémarreurs ?
«Ce serait la situation idéale. Ça sécurise de savoir que la voiture ne démarre pas si la personne derrière le volant n’est pas en état de conduire», affirme le Dr Pierre Maurice de l’Institut national de santé publique du Québec. Selon lui, la technologie n’est pas encore au point, puisqu’il faut que ce soit précis, mais la technologie «avance à grands pas».
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Doit-on adopter une loi qui permettrait au personnel médical de signaler aux autorités les conducteurs ivres qui se présentent blessés dans un centre hospitalier?
C’est déjà le cas pour les armes à feu.
En vertu de la loi Anastasia, les employés d’un hôpital peuvent communiquer avec la police, sans bafouer leur secret professionnel, si une personne présentant des blessures par balles se rend d’elle-même à l’urgence. Mais ce n’est pas le cas si un conducteur qui s’est blessé en conduisant ivre se présente seul à l’hôpital, déplorent des policiers interrogés par Le Journal.
Peu de gens ont conscience des réelles conséquences de se faire arrêter pour conduite avec les capacités affaiblies : l’arrestation, se faire amener au poste de police, les frais d’avocats, la honte d’en parler aux proches, etc.
«Les gens se demandent : est-ce que mes voisins, ma famille, mon employeur vont savoir ? Et les gens ne pensent pas que ça va leur coûter entre 5000 et 10 000 $», insiste Marco Harrison, de la Fondation CAA-Québec.
Le psychologue Jacques Bergeron, qui étudie la conduite automobile depuis des années, croit que la persuasion vaut mieux que la répression. «On devrait parler davantage des répercussions », croit-il, surtout pour « Monsieur et Madame Tout-le-Monde qui va prendre un risque.»
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«Il faut toujours avoir un chiffre pour avoir une idée d’où on est. Si la personne est à 0,095, elle saura qu’elle n’est pas correcte pour conduire, qu’elle doit se prendre un Perrier et attendre un peu», lance le coroner André H. Dandavino.
C’est connu, l’alcool altère le jugement. Ainsi, un conducteur doit décider seul, après avoir consommé, s’il est apte à conduire ou non, déplore-t-il. Ce dernier suggère d’obliger les propriétaires de bars à installer des alcootests dans leur établissement, afin de donner une meilleure idée au conducteur de son état.
Aussi, même si les éthylomètres vendus sur le marché n’ont pas de valeur légale, le simple fait d’avoir un chiffre pour prendre la décision de prendre ou non le volant aide.
«Certains disent que ça coûterait trop cher aux restaurateurs, mais un client mort ne reviendra pas», plaide-t-il.
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Dans certains endroits, notamment en Ontario, des services de police utilisent la technique du Name and Shame pour lutter contre l’alcool au volant. Cela consiste à publier l’identité des automobilistes arrêtés avec les facultés affaiblies, afin que ceux qui songent à conduire ivres s’abstiennent par peur d’être identifiés publiquement. Un procédé critiqué par des experts.
«Ce n’est pas nécessaire de rendre cette personne honteuse. En plus de se faire prendre, d’aller en cour et finir avec un dossier criminel, est-ce nécessaire d’en rajouter une couche ?» questionne l’ancien policier Marco Harrison.
«On ne peut pas dire qu’on croit à la réhabilitation et ensuite les nommer et les humilier», ajoute le policier à la retraite et expert en sécurité routière André Durocher.
La police du Grand Sudbury a d’ailleurs déjà reconnu que le Name and Shame n’avait pas eu l’effet escompté puisque les chiffres en matière d’alcool au volant restaient stables. La Sûreté du Québec a déjà songé à appliquer une telle mesure, mais le projet ne s’est jamais concrétisé.
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Les quelque 60 000 serveurs appelés à vendre de l’alcool devraient tous suivre une formation pour être en mesure de repérer les clients qui lèvent trop le coude, selon Éduc’Alcool.
«Pas moins de 45 % des accidents dus à l’alcool surviennent à la sortie des bars et des restaurants», indique le directeur général de l’organisme, Hubert Sacy.
Une formation similaire est déjà obligatoire ailleurs dans le monde, mais aussi dans toutes les autres provinces du Canada, selon M. Sacy. À certains endroits, le nombre d’accidents liés à la consommation a diminué de plus de 25 %, ajoute-t-il.
«Ce n’est pas un doctorat, dit-il. C’est un cours de 4 heures, qui coûte 45 $, qui se donne à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec.»
![Grand Dossier](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fwww1.journaldequebec.com%2F2021%2Falcool-au-volant%2Fimages%2Falcool-au-volant_logo-dossier.png&w=3840&q=75)