Urgent de freiner la chute de la démocratie
Pierre Martin
Mardi à Atlanta, le président Biden a levé le ton contre ceux qui mettent en péril l’exercice du droit de vote et l’intégrité du processus électoral.
Il n’est pas le seul à s’inquiéter. Plusieurs instituts indépendants constatent que les États-Unis sont sur une pente dangereusement glissante qui pourrait mener à l’effondrement de leurs institutions démocratiques.
Le discours passionné du président est un signe encourageant de l’importance qu’il accorde à cette priorité, mais il faut des actions concrètes. Le temps presse.
Une démocratie malade
En novembre 2020, les républicains ont perdu de justesse la présidence et le Sénat. Dans une démocratie normale, ils accepteraient le verdict de l’électorat, chercheraient à apprendre de leurs erreurs et s’efforceraient de faire mieux la prochaine fois.
Mais les États-Unis ne sont pas une démocratie normale. Le candidat républicain défait a refusé d’admettre sa défaite et a convaincu la grande majorité de ses partisans, à grands coups de mensonges, à croire que l’élection leur a été volée.
Dans plusieurs États sous contrôle républicain, ces fabulations sont devenues prétexte au découpage outrageusement partisan des cartes électorales, à l’érection d’obstacles au vote qui affecteront de façon disproportionnée les minorités ethnoraciales, et au noyautage des processus de certification des élections par des officiers hyper partisans.
Un choix clair
Le Congrès fédéral peut remédier à cette gangrène antidémocratique en légiférant pour empêcher les États d’amputer les droits de leurs citoyens, mais l’opposition systématique des républicains et les règles byzantines du Sénat exigent une solidarité totale des démocrates.
En effet, l’adoption d’un projet de loi non budgétaire au Sénat exige l’accord de 60 sénateurs présents pour permettre la clôture des débats. En pratique, une minorité de 41 sénateurs peut donc bloquer toute initiative de la majorité.
Il est possible de créer des exceptions à cette règle pas très démocratique, mais les sénateurs démocrates hésitants disent craindre que les républicains abusent de ces exceptions quand leur tour viendra (ce qu’ils feront probablement de toute façon). Ils craignent surtout d’effaroucher les électeurs républicains « modérés » qui osent voter démocrate à l’occasion (une espèce en voie de disparition).
À Atlanta, Joe Biden a placé ces sénateurs récalcitrants devant un choix clair. « Comment voulez-vous qu’on se souvienne de vous ? [...] Voulez-vous être aux côtés de Martin Luther King ou avec George Wallace ? Avec John Lewis ou Bull Connor ? Avec Abraham Lincoln ou Jefferson Davis ? » Bref, êtes-vous du côté des droits de la personne ou de leur répression ?
L’enjeu clé de 2022
Certains diront que Biden fait de l’hyperbole, mais les démocrates comme Joe Manchin et Kirsten Sinema doivent se brancher. Choisiront-ils l’intérêt de la démocratie ou ce qu’ils perçoivent comme leur intérêt à court terme ?
Ce sont ces mêmes sénateurs centristes qui ont plombé les réformes sociales et environnementales de Joe Biden en 2021, mais la préservation du droit de vote et de l’intégrité des élections sont des enjeux encore plus fondamentaux. Manchin lui-même a présenté un projet de réforme électorale boudé par les républicains, ce qui pourrait atténuer ses réserves.
La réforme électorale est l’enjeu fondamental de 2022. Sans elle, les démocrates se dirigeront vers une défaite cuisante aux législatives de mi-mandat, la présidence Biden sera considérablement affaiblie et la démocratie américaine fera un gigantesque pas en arrière.