Une taupe aux élections chez les complotistes
Nora T. Lamontagne | Le Journal de Montréal
Un anti-conspirationniste a infiltré le parti libre du Canada en tant que candidat aux dernières élections pour mieux dénoncer les dérives de ceux qui, comme eux, s’organisent pour mener des campagnes de désinformation.
«C’est très très choquant de voir que des gens qui se basent sur des théories du complot pourraient avoir des responsabilités publiques», dit Gilles Brodeur, candidat à Trois-Rivières sous la bannière du Parti libre du Canada (PLC).
Le PLC — à ne pas confondre avec le Parti libéral du Canada (PLC) de Justin Trudeau ou le Parti populaire du Canada (PPC) de Maxime Bernier — présentait des candidats dans 58 circonscriptions fédérales, dont 52 au Québec.
Alarmé par la désinformation ambiante et la montée d’un populisme décomplexé au Québec, Gilles Brodeur a décidé de surveiller de l’intérieur ce parti qui s’oppose à la vaccination, «un peu comme une sentinelle».
Rappelons que sans les vaccins, le bilan de 11 362 Québécois morts de la COVID-19 serait assurément plus lourd.
Son travail sur pause
Afin de ne pas être démasqué, il a dû supprimer le groupe Facebook d’environ 600 personnes qu’il a fondé pendant la pandémie pour contrer la désinformation entourant la COVID.
L’homme de 47 ans a aussi mis sur pause sa carrière en informatique au sein de la fonction parapublique pour se consacrer à la campagne fédérale et assister aux caucus quotidiens du parti.
«J’ai voulu voir à quel point ils pouvaient se structurer, être une véritable force», explique celui qui témoigne ouvertement de son incursion pour la première fois.
Autour du parti gravitaient des figures connues du complotisme québécois, dont Gloriane Blais, une avocate antivaccin, et Amalega François, arrêté à de multiples reprises pour avoir distribué des pamphlets autour des écoles. Ce dernier a brièvement considérer se présenter comme candidat du PLC.
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«Ce qui les réunit, c’est un fort sentiment de frustration. Au début, je les voyais comme des gens en manque d’attention, mais maintenant, je les vois comme des gens en manque d’information et d’éducation», dit l’ex-candidat doublement vacciné.
Des enregistrements consultés par le Journal démontrent que Martin Gravel, directeur général du PLC, avait néanmoins des rêves de grandeur.
«Se présenter aux élections ça nous donne une chance en or que le 21 septembre au matin, l’armée réponde de nous. Et je vous dis, on a des chances de gagner», l’entend-on dire lors d’une réunion du parti tenue virtuellement le 18 août dernier.
À l’échelle du pays, le parti a obtenu 47 861 votes et 0,3 % des voix, le plaçant en septième place, tout juste derrière le parti Vert.
Prendre la parole
«Ils savaient très bien qu’ils gagneraient pas, alors ils ont simplement profité de la campagne électorale pour prendre la parole et expliquer leurs fantasmes», souligne le politicologue André Lamoureux, qualifiant le parti de «sectaire» et de «farfelu».
Gilles Brodeur, lui, a recueilli 733 votes, soit 1,3%, même sans avoir fait de campagne digne de ce nom.
Le PLC lui a retiré tous ses accès aux plateformes du parti le jour de l’élection, suite à un désaccord. Ni le chef du parti, ni son directeur général n’ont répondu aux messages du Journal. L’agence des communications du parti nous a référé à son site web.
De son côté, la porte-parole du Bureau du commissaire aux élections fédérales, Véronique Aupry, rappelle que « la Loi électorale du Canada ne règlemente pas les motifs pour se présenter comme candidat».
Gilles Brodeur se présente maintenant à la mairie de Trois-Rivières, sous sa vraie identité.