Publicité
L'article provient de 24 heures

Une soirée dans un rave pour analyser des drogues

À Montréal, il existe une nouvelle façon de prévenir les surdoses

Partager
Photo portrait de Julien Lamoureux

Julien Lamoureux

2022-05-05T10:00:00Z
Partager

Le dépistage de substances est de plus en plus utilisé au Canada pour réduire les risques associés à la consommation de drogues. L’objectif: que les consommateurs sachent ce que contient la drogue qu’ils s’apprêtent à prendre. Le 24 heures a accompagné dans une soirée rave un organisme montréalais qui offre ce service.

Il est presque 23h lorsque la fourgonnette du Groupe de recherche et d’intervention psychosociale (GRIP) se stationne devant le Livart, rue Saint-Denis, dans Le Plateau-Mont-Royal. À bord, sous l’éclairage doux des bandes de lumières LED, on se prépare à recevoir des fêtards qui voudraient en savoir plus sur la substance contenue dans le sachet de plastique qu’ils traînent dans leur poche.

La fourgonnette du GRIP
La fourgonnette du GRIP 24 heures/Jean Balthazard

Comme c’est habituellement le cas lors de raves de musique électronique, à cette heure, il y a peu de gens sur place. Vers minuit, des fêtards commencent à arriver, mais il faudra attendre 2 ou 3h du matin, lorsque la plupart des bars de la ville sont sur le point de fermer, pour que la salle se remplisse. 

Trop tôt, donc, pour savoir si les services du GRIP seront requis ce soir. 

Une DJ pendant l'événement au Livart
Une DJ pendant l'événement au Livart 24 heures/Jean Balthazard

Si plusieurs fêtards risquent d’arriver en possession d'une ou plusieurs substances qui leur permettront de rester éveillés et de danser jusqu’au lever du soleil, ce n’est pas tout le monde qui est prêt à monter dans un véhicule pour vérifier la qualité de la drogue.

Publicité

Le GRIP est l’un des deux organismes de Montréal à qui Santé Canada permet de manipuler et tester en toute légalité des produits illicites. Et ça ne fait pas très longtemps: l'exemption leur a été accordée l’automne dernier.

D’ailleurs, les passants qui déambulent rue Saint-Denis et les gens qui se mettent en file pour entrer au Livart sont d’abord surpris qu’une équipe leur propose d’analyser la drogue qu’ils ont en leur possession pour savoir si elle contient du fentanyl ou s’il s’agit bel et bien de coke ou de MDMA.

«Il n’y a pas beaucoup d’endroits, à Montréal ou en général, où les personnes peuvent parler ouvertement de leur consommation», remarque Kathryn Balind, agente de recherche et de développement pour le GRIP.

L’intervention

Une fois la surprise passée, Anthony* décide de faire un détour par la fourgonnette avant d’entrer au Livart. 

On ferme les portes arrière du véhicule. Un employé du GRIP prend une toute petite portion de la poudre blanchâtre apportée par Anthony, puis la remet à Kathryn, qui la place dans le FTIR, un spectromètre à infrarouge. 

24 heures/Jean Balthazard
24 heures/Jean Balthazard

Rapidement, une courbe apparaît sur l’ordinateur qui est branché à l’appareil. C’est en quelque sorte l’empreinte digitale de la substance. L’ordinateur compare cette empreinte aux milliers d'autres qui sont stockées dans une base de données. Outre des drogues, des produits de la vie de tous les jours, comme du sucre, du café ou du bicarbonate de soude sont enregistrés dans cette même base de données. 

• À lire aussi: Ce qu'il faut savoir sur les «sels de bain», cette drogue retrouvée dans de la coke à Montréal

Publicité

«Dans sa MDMA, on a effectivement trouvé de la MDMA, confirme Kathryn après l’intervention. C’est la seule conclusion qu’on peut tirer, parce que la machine a des limites.» 

Elle nous explique ensuite qu'une substance représentant moins de 5% de ce qui est analysé ne peut être détectée. «Donc, on ne peut pas dire qu’il n’y a rien d’autre.»

Kathryn place la poudre sur la surface du FTIR.
Kathryn place la poudre sur la surface du FTIR. 24 heures/Jean Balthazard

À cet égard, on offre à Anthony d’utiliser une bandelette de fentanyl pour voir si sa drogue contient ce puissant opioïde associé à des milliers de cas de surdose accidentelle au Canada depuis quelques années. Le résultat est négatif, mais, encore là, le test n’est pas parfait.

«On a seulement testé une petite quantité de sa substance, alors on ne peut pas dire que le résultat s’applique [à tout le contenu de son sachet]», précise Kathryn. 

Bien qu’imparfaits, ces tests permettent d’y voir un peu plus clair, et Anthony semble apprécier l’expérience. Les employés du GRIP lui offrent même de repartir avec des bandelettes de dépistage de fentanyl et un kit de naloxone, l’antidote aux opioïdes, qui permet de stabiliser une personne qui fait une surdose assez longtemps pour l’amener à l’urgence.

On teste la substance pour tenter de déterminer, entre autres, si elle contient du fentanyl.
On teste la substance pour tenter de déterminer, entre autres, si elle contient du fentanyl. 24 heures/Jean Balthazard

Avant de partir, Anthony se confie sur son passé. En France, il consommait beaucoup, si bien que la direction de son école lui avait fait comprendre qu’il devait se reprendre en main pour ne pas être renvoyé. «J’ai tout arrêté et j’ai eu trois semaines de sueurs froides. Je me réveillais le matin, j’avais l’impression de sortir d’une piscine», se souvient-il. 

Publicité

Des usagers sont plus bavards, d’autres moins. «Des fois, une personne a vraiment besoin de jaser de ses expériences. On veut toujours accueillir tout le monde et rester ouverts», mentionne Kathryn.

• À lire aussi: On a passé une journée dans un centre de réadaptation en toxicomanie pour jeunes

Accompagner les consommateurs

Le GRIP a une approche de la consommation basée sur la réduction des méfaits. 

«C’est l’idée que les gens vont avoir un comportement, peu importe ce qu’on en pense. On leur donne donc les outils pour le faire de façon sécuritaire et les informations pour prendre eux-mêmes les décisions par rapport à ça», explique Roxanne Hallal, coordonnatrice du service d’analyse de substance.

C’est un peu le principe de promouvoir l’utilisation du condom plutôt que l’abstinence sexuelle pour minimiser le risque de transmission des ITS, ajoute-t-elle.

• À lire aussi: Sur le terrain: 10 surdoses de drogue mortelles chaque semaine au Québec

La crise des opioïdes continue de faire rage. À la grandeur du Québec, 450 personnes sont mortes d’une surdose accidentelle en 2021. Des organismes, parmi lesquels le GRIP, estiment que la réduction des méfaits est une des meilleures façons de renverser cette tendance.

«Au Québec, il y a d’autres organismes qui font des demandes [pour avoir l’exemption de Santé Canada] et d’autres régions [que Montréal] vont avoir accès à des services comme ça prochainement», prédit Roxanne Hallal.

* Nous avons modifié le nom de cette personne pour protéger son identité.

SI VOUS AVEZ BESOIN D’AIDE   

Drogue: aide et référence – www.aidedrogue.ca – 1 800 265-2626 

Publicité
Publicité