Une révolution venue de la Transcanadienne?
Denise Bombardier
C’est apeurant de voir un convoi de camions traversant le Canada depuis les Rocheuses avec comme objectif d’embouteiller Ottawa durant des jours.
Dans ces mastodontes, des mâles alpha confrontent le variant Omicron au nom de la défense des libertés. Les camionneurs antivax croient dur comme fer que l’on doit abolir toutes les mesures sanitaires, dont l’obligation du passeport vaccinal et l’application ArriveCAN quand on arrive au Canada.
Il est très inquiétant que des porte-parole auto-proclamés annoncent une « révolution », un « moment historique » si les camionneurs prennent le contrôle de la capitale fédérale.
Il y a un an, nous avons tous regardé avec horreur l’attaque du Capitole à Washington. À l’évidence, des participants à cet événement d’aujourd’hui dont on n’ose imaginer les dérives, bien qu’on les ait en tête, ont aussi la gueule de l’emploi et pourraient rêver d’envahir le parlement canadien.
Révolution
La chaîne Fox News s’intéresse grandement aux truckers canadiens. Sa journaliste vedette, Laura Ingraham, qui déploie habituellement un rictus moqueur quand elle parle des démocrates, a réussi cette fois à sourire lorsque son invité, un ex-joueur de hockey canadien, a déclaré que le Canada, un pays trop paisible à ses yeux, était en train de mettre en branle « une des plus grandes révolutions ». Comme d’autres camionneurs complotistes, Theo Fleury espère que Justin Trudeau va démissionner.
Le Devoir d’hier a rapporté que Donald Trump Jr, fils de l’ancien président américain, a qualifié, lui, les manifestants canadiens de « patriotes ».
Nous n’ignorons pas qu’en Alberta, l’extrême droite compte nombre d’adeptes, des complotistes et des fanatiques religieux. L’union de ces deux mouvements explique aussi la position intenable du chef du parti conservateur, Erin O’Toole, déjà dans l’eau bouillante depuis la dernière élection. Les événements de cette fin de semaine sont de mauvais augure pour lui.
Car les plus radicaux de ses députés considèrent l’occupation d’Ottawa par les camionneurs comme un acte libérateur, eux qui combattent les libéraux et n’ont que mépris pour Justin Trudeau, ardent défenseur des droits et libertés, dont le droit à l’avortement avant tout.
Gouvernement faible
Le Canada est déchiré par tous ces courants que l’on retrouve en Occident. La faiblesse de Justin Trudeau n’est pas de la science-fiction. Son incapacité à réussir à se faire réélire à la tête d’un gouvernement majoritaire le rend plus fragile.
La crise que traversent tous les gouvernements démocratiques, et que la pandémie a accentuée, ouvre la porte à toutes les outrances dont nous ne sommes pas à l’abri. Car la démocratie prête le flanc à des attaques comme celles que l’on s’apprête à affronter.
Le mélange de complotisme, de fondamentalisme religieux et d’aveuglement idéologique est un cocktail dangereux. Ajoutons à cela, l’état dépressif des citoyens tenus de respecter les contraintes sanitaires.
Et que dire du mot « liberté », interprété selon des définitions opposées, voire délirantes ? Où allons-nous ? Seuls des philosophes, des intellectuels et des sages courageux et altruistes peuvent nous éclairer en ces temps sombres et menaçants.