«Une récession avec un "r" minuscule»: quels seront les enjeux économiques à suivre en 2024?
Cinq enjeux à suivre: les travailleurs en forte demande, des faillites à prévoir, pas de répit à l’épicerie... mais un répit à la pompe, et enfin une baisse des taux d'intérêt
David Descôteaux
Malgré les difficultés qu’éprouvent les ménages et les entreprises en ce moment, une crise économique ou un effondrement immobilier ne figurent pas au menu de 2024.
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La question est sur toutes les lèvres: de quelle ampleur sera la récession au Québec? Les avis divergent. Mais si certains craignent l’apocalypse, ce n’est pas le cas de Sébastien Mc Mahon, stratège en chef et économiste senior chez iA Groupe financier.
«Probablement qu'on va avoir une récession en 2024, mais une récession avec un “r” minuscule. Le marché du travail demeure tellement serré encore, ça va être difficile d'avoir une récession avec des mises à pied massives», dit-il.
Ce qu'on voit en ce moment, c'est une économie qui stagne parce que les taux d'intérêt pèsent sur l'économie et le pouvoir d’achat des ménages, poursuit-il. Il faudra finir de digérer tout ça.
«Probablement qu'on va avoir une récession douce qui va durer un an et ensuite on va repartir sur de nouvelles bases. Je serais très surpris qu'on arrive à un moment où on commence à voir des licenciements de masse. Les entreprises ne peuvent pas se le permettre.»
Une inflation collante
En 2024, en aura-t-on enfin fini avec cette inflation qui gruge notre portefeuille?
«L'inflation qui monte rapidement à cause des facteurs internationaux, les ménages qui dépensent beaucoup à cause des chèques de pandémie, tout ça, c'est derrière nous. Mais ramener l'inflation à la cible habituelle de 2% va être difficile. C'était plus facile de la ramener de 8% à 3%, que de passer de 3% à 2%. Parce que, là, on tombe dans la partie où les pressions salariales demeurent fortes», explique l’économiste.
«Penser que l'inflation retournera à 2% et qu'on n’en parlera plus, ce sera peut-être l’histoire de 2025 ou 2026. À la fin 2024, j'ai l'impression qu'on va être encore aux alentours de 3%.»
La «bombe hypothécaire» explosera-t-elle?
Le renouvellement massif de prêts hypothécaires contractés durant la pandémie mènera à la possible mise en vente de propriétés, avance Philippe Lecoq, président de la bannière Proprio Direct.
Selon la RBC, 60% des prêts hypothécaires au pays devront être renouvelés au cours des trois prochaines années. En 2024, c’est environ 20% des hypothèques qui devront être renouvelées, et cela montera à 40% en 2025, souligne-t-il. «On peut donc prévoir le retour à un marché actif, qui calibrera le déséquilibre actuel sérieux entre l’offre et la demande.»
Mais un facteur joue en faveur du marché immobilier au Québec: le taux d’épargne. Malgré l’inflation et la montée importante des taux d’intérêt cette année, le taux d’épargne des Canadiens, et surtout des Québécois, demeure important. On estime à 8,6% le taux d’épargne au Québec, contre 5,7% au Canada, dit-il.
«Même si ces habitudes en épargne sont mises à mal avec la conjoncture économique actuelle, ce sont des sous que beaucoup d’épargnants réservent dans le but de se procurer un bien immobilier dès que les taux seront plus avantageux, ce qui risque d'arriver l’année prochaine», conclut Philippe Lecoq.
5 enjeux à suivre
Après l’éprouvante année 2023 pour les consommateurs et les propriétaires de maisons, 2024 marquera une transition. S’il demeure difficile de prévoir l’ampleur de la récession qui s’annonce, les chercheurs d’emplois continueront d’avoir le gros bout du bâton et les employeurs continueront de s’arracher les meilleurs talents. La fin des programmes d’aide liés à la pandémie – et la difficulté pour plusieurs PME de les rembourser – va contribuer à ce que le nombre de faillites d’entreprises se multiplie dans la province. La nourriture va continuer d’être de plus en plus chère au supermarché. Un répit s’annonce, toutefois: enfin les taux d’intérêt vont diminuer, donnant un répit bien mérité aux détenteurs d’hypothèques et autres dettes, et le prix de l'essence va poursuivre sa descente.
Les employés toujours en forte demande
«Plus de 40% des gens qui changeront d’emploi le feront pour un meilleur équilibre travail-vie personnelle», prévoit Marie-Pier Bédard, vice-présidente exécutive chez Randstad Canada. Les candidats privilégieront cet équilibre avant l’argent, selon elle. Même s’il y avait 175 600 postes vacants au troisième trimestre (en baisse de près de 70 600, de 28,7%), les chercheurs d’emplois continueront d’avoir le gros bout du bâton, d’après Marie-Pier Bédard. «On s’arrache encore les meilleurs employés sur le marché. On a aussi de plus en plus d’employeurs qui se demanderont si leurs employés actuels ont encore les compétences requises en automatisation», résume-t-elle.
Encore beaucoup de faillites à prévoir
Juliette et chocolat, Agatha Boutique, Tero, BBQ Québec, Airmedic, Stornoway, Tergeo, Mamzells, Transbroue, Duvaltex, Pharmalab, Forex... La hausse des taux d’intérêt et la fin des programmes d’aide liés à la pandémie ont frappé dur. Au cours de la période de 12 mois ayant pris fin le 31 octobre, plus de 2600 entreprises québécoises se sont retrouvées en situation d’insolvabilité, soit 40% de plus que pendant la période correspondante de l’an dernier. La plupart des experts du domaine s’attendent à ce que cette tendance se poursuive en 2024.
Pas de répit à l’épicerie...
On va continuer à courir les rabais, en 2024, alors que le prix de la bouffe va augmenter de 2,5% à 4,5%, selon un rapport. Il faudra aussi faire attention aux plans de paiement de toutes sortes: même Walmart offre maintenant Klarna, pour les achats en ligne. Il s’agit d’un service qui sépare les achats en quatre paiements sans intérêt sur une période de six semaines. La Charte des voyageurs fédérale sera modifiée afin d’obliger les compagnies aériennes à s’occuper de leurs clients si le vol ne décolle pas.
...Mais un répit à la pompe
Les prix de l’essence ont surpris un peu tout le monde en 2023 en diminuant. Et la tendance devrait se poursuivre en 2024 selon Dan Mc Teague, président des Canadians for Affordable Energy. «Les prix vont continuer de baisser de 3 ou 4 sous le litre d'ici au jour de l'An et ça va se poursuivre en 2024 dans la première partie de l'année. Les investisseurs et les spéculateurs font fi des données fondamentales comme la situation géopolitique, l'OPEP qui réduit sa production ou la demande qui demeure élevée. C'est un peu irrationnel, mais ça va se poursuivre pour quelques mois encore. Dans la deuxième partie de 2024, je m'attends toutefois à ce que les prix remontent et que le marché redevienne un peu plus rationnel», dit celui qui est connu pour ses prédictions sur le prix de l’essence.
Enfin une baisse de taux en 2024
La question est sur toutes les lèvres: quand la Banque du Canada (BdC) commencera-t-elle à abaisser le taux directeur? La plupart des économistes anticipent l’amorce d’un début de détente en 2024. Des progrès sur le front de l’inflation et un contexte économique qui demeurera difficile toute l’année militent en faveur d’un tel scénario. Tandis que Desjardins s’attend à une réduction de taux vers la mi-année, la Banque Nationale (BNC) se montre plus optimiste avec une baisse de taux dès avril. Reste à voir avec quelle vitesse Tiff Macklem, gouverneur de la BdC, choisira de réduire la pression sur les titulaires d’hypothèques. Cette baisse sera-t-elle aussi rapide que fut la croissance des taux? L’économiste Robert Kavcic, de BMO, prévoit une réduction de 100 points de base (pdb) en 2024. L’économiste Matthieu Arsenault, de BNC, table pour sa part sur une baisse plus rapide pouvant totaliser en 2024 les 175 pdb. Chez nos voisins du Sud, la firme ING Economics prévoit que la Réserve fédérale réduira ses taux d'intérêt à six reprises en 2024...
Avec la collaboration de Martin Jolicoeur, Le Journal de Montréal
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