Une pétrolière a prédit avec précision le réchauffement climatique... dans les années 1980
AFP
Dès les années 1980, le grand groupe pétrolier ExxonMobil disposait de prédictions d’une justesse remarquable sur le réchauffement climatique, réalisées par ses propres scientifiques, et qui se sont révélées être précisément ce qui s’est produit plusieurs décennies plus tard, a confirmé une nouvelle étude parue jeudi.
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Malgré cela, l’entreprise a, durant des années, publiquement jeté le doute sur l’état des connaissances scientifiques en la matière, a-t-on souligné dans l'étude publiée dans la revue Science.
ExxonMobil, l’un des plus gros groupes pétroliers du monde, a «modélisé et prédit le réchauffement de la planète avec une exactitude troublante, pour finir par passer les décennies suivantes à nier cette même science climatique», a déclaré à l’AFP Geoffrey Supran, co-auteur de ces travaux.
Depuis plusieurs années déjà, ExxonMobil est accusé d’avoir tenu un double discours sur le changement climatique, provoqué par les immenses quantités de gaz à effet de serre rejetées par l’humanité dans l’atmosphère, notamment via la combustion de charbon ou de pétrole pour produire de l’énergie.
Plusieurs procédures juridiques ont même été lancées contre l’entreprise aux États-Unis, dont certaines sont toujours en cours. Des auditions ont été organisées au Parlement européen et au Congrès américain.
Mais c’est la première fois que les projections réalisées par les scientifiques du groupe sont analysées de façon systématique et comparées à celles d’autres chercheurs de l’époque, ainsi qu’au réchauffement effectivement observé par la suite.
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Le point de départ, ce sont des documents — archives publiques et publications scientifiques — révélés en 2015 par des journalistes d’Inside Climate News et du Los Angeles Times, où on montre que l’entreprise savait depuis longtemps que le changement climatique était réel et causé par les activités humaines.
Une première étude scientifique, réalisée en 2017 par les mêmes chercheurs que celle publiée jeudi, avait prolongé cette enquête journalistique en analysant précisément le langage utilisé par l’entreprise d’abord dans ces documents, puis publiquement.
«Mais même si par le passé, nous nous étions focalisés sur le langage et la rhétorique contenus dans ces documents, soudainement, nous avons réalisé qu’il y avait [...] tous ces graphiques et tableaux sur lesquels personne ne s’était jamais penché», a expliqué Geoffrey Supran.
«Excellents scientifiques»
«Cette question a fait plusieurs fois surface ces dernières années», a déclaré à l’AFP un porte-parole de la compagnie. «Chaque fois, notre réponse est la même: ceux qui évoquent ce que Exxon savait ont [tout] faux dans leurs conclusions.» ExxonMobil n’a jamais nié l’authenticité des documents en question.
Au total, les chercheurs ont analysé 32 documents internes produits par des scientifiques chez ExxonMobil entre 1977 et 2002, et 72 publications scientifiques dont ils étaient les co-auteurs entre 1982 et 2014.
Ces documents contiennent 16 projections de températures. «Dix d’entre elles sont cohérentes avec les observations» réalisées par la suite, note-t-on dans l’étude. Parmi les six autres, dans deux d'entre elles, on prédisait un réchauffement encore supérieur.
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En moyenne, on y prédisait un réchauffement d’environ 0,2°C par décennie, ce qui correspond effectivement au rythme actuel. Et les prédictions formulées par d’autres chercheurs de l’époque étaient plus ou moins similaires.
ExxonMobil «ne savait pas juste vaguement quelque chose à propos du changement climatique, il y a des décennies», a souligné Geoffrey Supran, professeur actuellement à l’Université de Miami, ayant cependant mené ces travaux à Harvard. «Ils en savaient autant que les scientifiques indépendants et gouvernementaux, et vraisemblablement assez pour prendre des mesures et alerter le public.»
Or, les responsables du groupe ont fait tout le contraire, martèle-t-on dans l’étude, où on cite les propos de Lee Raymond, ancien PDG d’ExxonMobil en 2000: «Nous n’avons pas une compréhension scientifique suffisante du changement climatique pour faire des prédictions raisonnables.»
En 2013, le PDG d’alors, Rex Tillerson, déclarait qu’il existait des «incertitudes» autour des «principaux facteurs du changement climatique».
Certains des chercheurs employés par la compagnie ont témoigné devant le Congrès américain. L’un d’eux, Martin Hoffert, interrogé en 2019 par l’élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez qui soulignait à quel point ses prédictions s’étaient révélées exactes, avait alors simplement répondu: «Nous étions d’excellents scientifiques».
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Jeudi, l’Organisation météorologique mondiale a confirmé que les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées.
Lors d’une conférence de presse portant sur ces rapports annuels de température (lors de laquelle l’étude n’a pas été évoquée), le climatologue de la Nasa Gavin Schmidt a estimé que «dénoncer et faire honte» à des compagnies individuelles «n’aidait pas beaucoup» à trouver les solutions adéquates pour se passer des énergies fossiles.
«Ce n’est pas comme si nous pouvions dire, “ExxonMobil, arrête de produire des énergies fossiles”, et avoir ainsi réglé le problème», a-t-il souligné. «Tous ces produits sont utilisés par les gens.»