On a passé une journée dans un centre de réadaptation en toxicomanie pour jeunes
«La consommation m’a fait perdre mon adolescence», admet Tanya, 21 ans, qui nous a fait entrer dans son quotidien.
Julien Lamoureux
Depuis un an, le Portage Saint-Malachie, un centre de réadaptation en toxicomanie de Chaudière-Appalaches, a intégré les adultes de 18 à 21 ans à ses activités jusque-là réservées aux adolescents, une première au Québec. Tanya, 21 ans, a accepté de nous expliquer en quoi une thérapie avec des filles plus jeunes l’a aidée.
*Nous utilisons seulement les prénoms des résidentes pour protéger leur identité.
«Ça m’a [permis] de retrouver mon cœur d’adolescente [...], mais aussi mon cœur d’enfant», révèle celle qui a été admise au Portage il y a près de neuf mois. «La consommation m’a fait perdre toute mon adolescence, parce que j’étais déjà dans une vie d’adulte.»
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Tanya dit qu’elle a été admise au Portage après que plusieurs de ses amis soient décédés à cause de leur consommation de drogues. «Je me suis dit : “OK, là, c’est ta dernière chance. C’est soit tu meurs, soit tu restes en vie.”»
Dans les autres centres de désintoxication de la province, la norme est que tous les résidents de plus de 18 ans font leur thérapie ensemble. Tanya aurait donc pu se retrouver avec des personnes ayant le double, voire le triple de son âge.
Pour obtenir de l’aide concernant la consommation de substances, vous pouvez contacter le service Drogue, aide et référence au 1-800-265-2626.
Cindy Chabot, directrice du Portage Saint-Malachie, affirme que l’idée d’intégrer les 18 à 21 ans au groupe déjà existant des 14 à 17 ans vient d’une demande des centres de santé de l’est du Québec, la région que dessert son centre.
«De plus en plus, les jeunes qu’ils avaient dans leur service [étaient âgés de] 18, 19 ou 20 ans, mais ne cadraient pas nécessairement dans les programmes pour adultes, au niveau du vécu, du réel, de la maturité émotionnelle», a-t-elle expliqué pendant la visite du 24 heures.
Le Portage de Cassidy Lake, au Nouveau-Brunswick, a intégré les jeunes adultes aux ados il y a plus de 20 ans. L’institution de Saint-Malachie avait donc un modèle sur lequel se baser.
La chimie opère
De mars à décembre 2021, environ la moitié des références reçues par Portage pour des admissions concernaient des jeunes hommes et femmes de 18 à 21 ans. «Je pense qu’on répond réellement à un besoin», se réjouit Cindy Chabot.
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Et «c’est un bon match» entre les plus jeunes et les plus vieilles, assure la directrice du centre. «Au niveau de l’échange, de la dynamique, de la réalité qu’elles ont vécue avant d’arriver... [Elles] développent un sentiment d’appartenance, et c’est ce qui est souhaité.»
Les services de Portage sont offerts gratuitement grâce à des subventions gouvernementales et à des dons. Les résidents doivent uniquement payer certaines dépenses personnelles (carte d’appel, produits personnels, billets d’autobus pour des sorties, etc.).
Après des mois au centre, Tanya arrive au terme de sa thérapie et prend de plus en plus de responsabilités sur ses épaules. Au sein du groupe de résidentes et parmi le personnel, on la perçoit comme une leader.
«C’est elle qui m’a fait faire la visite ici», se souvient Victoria, 20 ans. «On se rejoignait déjà sur certaines expériences qu’on avait vécues les deux. [...] C’est ma grande sœur de thérapie pis ça va être mon amie plus tard.»
«En étant toxicomanes, mes relations dans le passé ont été plutôt malsaines. Donc avoir des relations saines comme ça, avec des gens à jeun, je pense que ça nous aide à avoir confiance en d’autres personnes», analyse de son côté Tanya.
Une journée au Portage
En décembre dernier, le 24 heures a pu passer une journée avec les résidentes du Portage Saint-Malachie pour voir comment se déroulait leur quotidien. Voici quelques moments qui ont ponctué notre visite.
L’anniversaire de Richard
Pendant le dîner, on célèbre l’anniversaire de Richard Hunter, 54 ans, préposé à la maintenance du centre. Les résidents et les résidentes lui chantent « bonne fête » et lui apportent un gâteau.
«Je trouve que c’est assez important que les gens se sentent aimés dans leur environnement de travail, dit Tanya. Nous aussi, en étant résidents, à notre fête, on a droit à un gâteau.» Elle souligne que plusieurs personnes avec qui elle réside depuis des mois n’ont pas eu la chance de célébrer leur anniversaire souvent dans le passé.
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«Les membres du personnel, c’est une famille», renchérit Richard, qui travaille à Portage depuis 16 ans. «Maryse, la cuisinière, puis moi, on a parfois un jeune qui va venir nous aider à travailler.»
«Ils prennent de l’expérience. Ils vont chercher de la confiance en eux autres. Puis, quand je leur parle de moi, ils se sentent plus à l’aise... C’est ce que j’aime le plus [dans mon travail]», ajoute celui qui a déjà fréquenté un centre Portage en tant que résident.
Un horaire chargé
Une journée à Portage, c’est un horaire bien rempli et routinier, ponctué d’une panoplie de conventions qui, pour l’œil extérieur, semblent bien rigides.
Chaque intervention devant le groupe commence par un «Salut la famille!», une manière de demander le silence. Le matin, il y a la prière de Portage. Les périodes de ménage sont omniprésentes et inscrites à l’horaire.
Victoria explique comment elle perçoit la structure de Portage. «Au début, on dirait une secte, mais tu te rends compte qu’il y a des gains à être ici. La routine de vie et la stabilité, les besoins essentiels...»
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«Quand t’es dans la consommation, c’est souvent des choses qui prennent le bord assez rapidement : dodo, hygiène personnelle, alimentation... Ici, tu te poses pas la question si tu vas l’avoir ou pas, tu peux te concentrer sur tes blessures.»
Cindy Chabot croit que la structure est une manière d’avoir toujours quelque chose à faire, tout en laissant une certaine liberté aux résidents.
«Il y a une heure de début, il y a une heure de fin, mais à l’intérieur d’une activité, ils ont toujours une certaine marge de manœuvre pour pouvoir discuter des besoins dont ils ont envie, d’exprimer leurs émotions, de résoudre des conflits...»
Phase finale
Tout le monde le savait, sauf la principale intéressée : en début d’après-midi, Tanya est passée en «phase six», c’est-à-dire la dernière étape de la thérapie, qui annonce son départ imminent.
«Je suis vraiment fière d’elle. Pour moi, c’est clairement une inspiration», confie Victoria, des étoiles dans les yeux.
«Elle m’a parlé de plusieurs relations, des relations très toxiques. C’est fou, elle est arrivée ici, elle était vidée complètement [à cause de] tout ça, et elle ressort comme une grande femme, une grande personne.»
Tanya s’est dite émue d’enfin est rendue à la «phase six». «Quand tu rentres ici, t’as pas l’impression que tu vas pouvoir y arriver un jour. J’y crois pas encore, mais je trouve ça vraiment beau.»
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