Départ d’entreprises de la Russie: une décision «difficilement réversible»
Agence France-Presse
Les entreprises occidentales sont de plus en plus nombreuses à annoncer vouloir quitter la Russie, une décision ensuite «difficilement réversible», notamment pour celles qui y disposent «d'investissements très lourds», prévient l'économiste Christophe Destais.
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Si les motifs sont multiples, «économiques, politiques ou éthiques», certaines de ces entreprises font «le calcul» qu'il n'y aura «pas de retour possible» sans un changement radical de situation politique dans ce pays, poursuit M. Destais, directeur adjoint du centre d'études prospectives et d'informations (CEPII).
Q: Quel aspect prédomine dans ces annonces de désengagement en Russie? Le financier? La logistique? La politique? L'éthique?
R: «La logique n'est certainement pas qu'économique, surtout pour les très grosses entreprises internationales qui ont un "capital réputationnel" à gérer. L'idée de se maintenir dans un pays qui est vu comme l'agresseur peut avoir des conséquences sérieuses».
«On peut imaginer que certains gouvernements aient encouragé les entreprises dans cette démarche... Mais, avec la tournure des évènements, les entreprises peuvent aussi estimer (d'elles-mêmes) que le degré d'incertitude pour leurs activités y est trop élevé - le prix à payer peut s'avérer rédhibitoire».
Du point de vue économique, «cela dépend des secteurs. Dans celui des biens de consommation, les investissements des entreprises internationales dans un pays où elles ne font que distribuer - c'est-à-dire où elles ne produisent pas - sont relativement minimes. Elles renoncent à leurs marchés, mais, si elles ne l'avaient pas fait, les conditions économiques ou le marché lui-même auraient pu renoncer à elles. La question est beaucoup plus complexe pour les entreprises à forte intensité capitalistique, dont celles du secteur de l'énergie, des biens intermédiaires et, dans le cas de la France, des entreprises automobiles et des grandes banques qui avaient investi. (...) Et tout dépend du calcul fait à la fois sur la durée de la crise, son issue et l'éventualité de retourner en Russie après».
Q: Pour les entreprises qui disent vouloir quitter le pays, est-ce une décision engageant nécessairement sur le long terme?
R: «S'agissant des entreprises avec des investissements très lourds, on parle d'années - les entreprises du secteur de l'énergie sont arrivées en Russie juste après la chute du Mur (de Berlin, en 1989) et n'ont été des acteurs significatifs qu'au moins une décennie plus tard. Un certain nombre de responsables de ces entreprises font le calcul qu'il n'y a pas de retour possible sans une situation politique qui changerait radicalement en Russie. On parle d'un processus difficilement réversible».
«Pour celles qui restent, indépendamment des considérations d'image et d'éthique, je pense qu'elles se disent "je vais essayer de maintenir le lien pour pouvoir tenter de les réactiver le moment venu"».
Q: C'est le cas des entreprises qui ont annoncé une simple suspension?
R: «Le gel des activités peut avoir un sens très différent selon les entreprises. Quand il s'agit de la fermeture de restaurants, ça n'est pas la même chose que l'exploration ou la production dans le grand nord sibérien. Plus largement, je pense que les entreprises occidentales aujourd'hui n'ont plus les capacités techniques d'opérer en Russie, donc elles n'ont pas d'autres choix que de geler a minima leurs opérations. Il y a des entraves, notamment financières, considérables».
Sur le sort des actifs locaux pour les entreprises en partance, «tout dépend du cadre juridique dans lequel elles fonctionnaient en Russie. Dans le cas de British Petroleum (BP), par exemple, c'est une participation dans une très grosse entreprise pétrolière russe (Rosfnet, NDLR). Techniquement, cette participation est à vendre et BP fait des provisions pour être en mesure de la vendre, avec des pertes comptables considérables».
«Le plus souvent, ces entreprises ont des réalités juridiques locales (...) et, à ce moment-là, soit vous trouvez un acheteur qui n'est pas dans le même état d'esprit que vous, soit vous fermez. Dans ce dernier cas, comme depuis Paris, Londres ou New York, on n'a pas de maîtrise sur ce qui se passe, de facto les actifs seront appropriés par les Russes - (Vladimir) Poutine a parlé d'une nationalisation de ces entreprises».