Critique Deathloop: une boucle temporelle à son meilleur
Plusieurs jeux des derniers mois nous demandent de revivre sans cesse la même boucle. Aucun ne le fait avec autant de brio que Deathloop, estime Maxime Johnson.


Maxime Johnson
Vivre, apprendre, mourir, recommencer: tout comme Bill Murray dans Le jour de la marmotte (ou Tom Cruise dans Un jour sans lendemain et Franka Potente dans Cours, Lola, cours, selon vos référents culturels), le capitaine Colt Vahn de Deathloop tente de briser une boucle temporelle et d’arrêter de vivre sans cesse la même journée.
Le concept vous dit quelque chose? Pas très étonnant. Bien qu’ils soient diamétralement opposés, au moins trois autres jeux acclamés par la critique et lancés dans les derniers mois offrent une variation sur un thème similaire, soit 12 minutes, Returnal et Hades.
Du lot, c’est Deathloop qui exploite le mieux cette mécanique et qui, je dois l’avouer, est mon préféré. Voici pourquoi.
Deathloop n’a pas la redondance de 12 minutes

Dans Deathloop, on incarne Colt, un sympathique militaire amnésique qui se réveille tous les matins sur une île pour revivre la même journée. L’histoire est plus complexe, mais en gros, Colt doit tuer ses huit ennemis en une seule journée pour briser cette boucle temporelle. Mais il n’a pas assez de 24 heures pour simplement les éliminer les uns après les autres. Il doit donc découvrir les secrets de l’île, et influencer les événements pour rassembler ses adversaires et les faire tomber en groupe.
Colt apprend par exemple au fil de ses explorations qu’un de ses ennemis devait se rendre à une fête avec un autre, mais qu’il a finalement changé d’idée après avoir réussi une expérience scientifique importante le matin. En bousillant cette expérience en début de journée, Colt s’assure que ses deux ennemis seront réunis le soir venu.
Cette idée de boucle parfaite rappelle 12 minutes, du développeur Luís António. Ce jeu indépendant paru sur Xbox et Windows en août est évidemment plus simple, et ce n’est pas un jeu d’action, mais le concept est un peu le même. On y revit sans cesse les mêmes 12 minutes, qui finissent généralement en un bain de sang, et on tente de briser cette boucle temporelle. Ici aussi, on accumule de l’information, puis on s’en sert pour influencer l’histoire. On peut par exemple fouiller le téléphone de celui qui vient nous assassiner une fois, apprendre le numéro de sa fille et l’appeler la prochaine fois qu’on recommence la boucle.

12 minutes nous fait toutefois répéter constamment les mêmes mécaniques, et le jeu avance au compte-gouttes. On doit souvent refaire sans cesse la même boucle, avec seulement de minuscules différences à chaque fois. Et quand on débloque un nouvel embranchement, on n’a généralement pas grand -chose à se mettre sous la dent. 12 minutes est un bon jeu, avec une histoire mémorable, mais qui peut aussi devenir pénible.
Dans Deathloop, au contraire, chaque journée est généralement variée. Et quand on débloque une nouvelle piste, on ajoute une multitude d’embranchements et d’options à suivre.
Non seulement du contenu s’ajoute sans cesse, mais chaque objectif peut aussi être atteint de différentes façons. Vous avez pensé à une meilleure façon de tuer Charlie Montague? Vous n’aurez qu’à la réessayer la prochaine fois que vous le croiserez.
On revit peut-être constamment la même journée, mais le jeu n’est à peu près jamais redondant, ce qui est pourtant, un peu par définition, le propre des boucles temporelles.
Deathloop est plus accessible que Returnal

Le studio Arkane Lyon (Dishonored 2) a visiblement mis beaucoup d’efforts pour que Deathloop soit un jeu le plus accessible possible, sans être trop facile pour autant.
On peut mourir deux fois avant de devoir recommencer la journée, et lorsqu’un ennemi vient à bout de nous, ce n’est jamais très grave, notamment parce que le monde est assez petit et qu’on n’est jamais très loin de notre objectif.
On peut aussi autant jouer d’une façon furtive qu’en fonçant avec nos armes et nos pouvoirs, selon le style de jeu qui nous convient.
À cause de la façon dont le jeu est conçu, les séances peuvent aussi être courtes, si c’est ce que l’on souhaite. Les journées sont séparées en quatre moments (matin, midi, après-midi et soir), et on ne peut visiter qu’une section de l’île à la fois. Souvent, nos tâches à accomplir peuvent être terminées en une quinzaine de minutes environ.
Tout comme Deathloop, Returnal lancé plus tôt cette année pour la PS5 est aussi un jeu de tir (à la troisième personne toutefois). Les similitudes entre les deux sont grandes, mais les différences le sont aussi. Deathloop est un jeu qui pardonne. Returnal, qui ne nous permet même pas de sauvegarder notre partie pendant nos boucles, est beaucoup moins généreux de ce côté.

La difficulté est propre aux jeux qui nous font revivre une boucle (comme les jeux de type Rogue). Sinon, le joueur terminerait l’aventure trop rapidement. En évitant d’axer la progression du jeu seulement sur le simple niveau du joueur ou du personnage, Deathloop convient à un public plus large.
L’accessibilité de Deathloop se fait parfois au détriment des joueurs plus expérimentés, cela dit. Le titre est en quelque sorte une longue enquête, par exemple, mais tire automatiquement les conclusions pour nous lorsque l’on découvre des indices, et il nous rappelle ce dont nous avons besoin de nous rappeler.
Je crois que c’était la bonne option pour la majorité des joueurs (incluant pour moi), mais le jeu aurait quand même bénéficié d’un mode difficile, où la difficulté aurait été associée non pas aux combats, comme c’est habituellement le cas, mais à l’enquête elle-même.
Il n’y a pas beaucoup de jeux qui encouragent les joueurs à faire eux-mêmes les liens dans leur tête et à prendre des notes manuscrites. Deathloop, qui est une simulation où les agents réagissent à nos actions au fil de la journée, aurait assez facilement pu devenir le porte-étendard du genre (un développeur s’en inspirera d’ailleurs surement, et je m’attends à ce qu’un tel jeu voit le jour d’ici quelques années).
Deathloop est plus riche que Hades

Est-ce qu’un jeu a été aussi universellement apprécié que Hades au cours des dernières années? J’en doute.
Ce jeu indépendant de type Rogue aux accents de mythologie grecque a gagné à peu près tous les prix de jeux de l’année en 2020, et vous aurez de la difficulté à trouver une critique qui n’est pas dithyrambique à son sujet.
J’ai une confession à vous faire. Je ne suis pas son plus grand amateur.
Oh, je reconnais ses forces: la façon de développer des personnages dans un concept qui aurait facilement pu être redondant, les armes et les pouvoirs que l’on combine pour devenir plus puissant, l’évolution des monstres au fil des parties, l’humour et beaucoup plus. Mais tous les goûts sont dans la nature, et Hades ne m’a pas particulièrement accroché.
C’est une question de goûts, mais la science-fiction, les voyages dans le temps et le design psychédélique de Deathloop me parlent tout simplement plus que la mythologie grecque de Hades. « Ce n’est pas toi, c’est moi », comme le veut l’expression.
Tout comme avec 12 minutes, la comparaison entre les deux jeux est un peu injuste. Hades a été produit par une petite équipe de 20 personnes. Deathloop est un jeu AAA produit par un studio majeur. =

Hades n’est pas non plus une véritable boucle temporelle, comme le feront remarquer les plus pointilleux, mais le résultat est le même. Ici aussi, les similitudes entre les deux sont évidentes. La façon dont Colt discute avec Julianna (le seul autre personnage de l’île qui se souvient de ses journées précédentes et le huitième ennemi à assassiner) au début de chaque mission, par exemple, rappelle les conversations de Hades. Les deux jeux permettent aussi d’acquérir des armes et des pouvoirs et de les combiner pour développer de nouvelles stratégies de combat.
Deathloop a toutefois un peu plus à offrir. C’est un jeu de combat, mais aussi un jeu de furtivité, d’enquête et d’exploration. Il y a même un mode en ligne, où on incarne Julianna qui doit déranger les véritables parties d’autres joueurs (un mode dont le jeu aurait très bien pu se passer, cela dit, et qui me rappelle l’époque où les studios tenaient à insérer du multijoueur dans des jeux solos, comme Assassin’s Creed et Uncharted).
La profondeur de Deathloop ressort particulièrement dans l’amalgame entre le design de niveau, le design de jeu et le design de missions. La façon dont les personnages s’entrecroisent, dont le temps devient une arme, comment chaque coin de la carte peut avoir son rôle à jouer dans plusieurs histoires et comment les événements dans une section de l’île le matin peuvent influencer une autre l’après-midi est tout simplement exceptionnelle.
Deathloop évite les principaux pièges des jeux avec boucles temporelles: il n’est pas redondant, il évite d’utiliser la difficulté comme une béquille et il parvient à offrir une expérience riche, malgré un format qui appelle pourtant à la répétition.
The Legend of Zelda: Majora’s Mask, Outer Wilds, 12 minutes, Returnal, Hades : les boucles temporelles nous ont donné plusieurs excellents jeux vidéo au fil des ans (et particulièrement dans la dernière année). Deathloop représente maintenant la barre à atteindre pour les jeux du genre.