États-Unis : une approche plus constructive souhaitée dans les médias
Alexandre Kozminski Martin | Conseiller en communication
À partir des années 1970, entre autres à cause de la guerre du Vietnam et du scandale du Watergate, les journalistes américains ont adopté un ton de plus en plus critique à l’égard de leurs dirigeants politiques1.
Durant cette période, la diffusion de nouvelles négatives a augmenté de façon fulgurante (300% de 1960 à 19902) et faire preuve de cynisme envers le président a servi de norme pour les médias du pays de l’oncle Sam. À tel point que le public est devenu « incapable de déterminer si une nouvelle négative était vraiment une mauvaise nouvelle ou s’il s’agissait simplement de l’approche journalistique [négative] habituelle3 »...
De nombreux Américains ont perdu confiance en leurs médias, qui pourtant, au départ, ont voulu dévoiler les mensonges du gouvernement pour alerter les citoyens! Du même coup, nos voisins du Sud ont graduellement perdu confiance envers leurs institutions publiques.
Fake news
En 2017, quand Donald Trump a pris le contrôle du gouvernement, il lui a été facile de populariser l’expression « fake news » et de faire croire à ses électeurs que l’administration du pays était corrompue pour la bonne raison que différents médias avaient, en partie, préparé le terrain pour lui depuis des décennies. Et ça, c’est sans compter l’effet négatif sur l’opinion publique de campagnes de propagande élaborées par des entités opposées au gouvernement américain, comme la Russie.
1 Doing well and doing good, Patterson, 2000, p.9
2 Bad News. Period, Patterson, 1996, p.17
3 The Presidency in the Era of 24-Hour News, Cohen, 2008, p.15 [notre traduction]
Aujourd’hui, les États-Unis sont extrêmement divisés et les médias traditionnels, tout comme les médias sociaux, sont plus impliqués que jamais dans la politique de leur pays. CNN et Fox News, par exemple, présentent leurs informations à travers non pas des lecteurs ou lectrices de bulletins de nouvelles, mais des éditorialistes aux opinions bien tranchées (ces deux médias se critiquent mutuellement de façon régulière) tandis que Twitter et Facebook ont récemment décidé de censurer le président sortant.
L’arrivée de Joe Biden coïncide à un moment où la crise sociale qui secoue les É.-U. a atteint son paroxysme avec le mouvement, qualifié d’insurrectionnel, qui a conduit une foule à profaner le Capitole à Washington le 6 janvier dernier.
Le journalisme constructif
À l’heure où le nouveau président souhaite apaiser les tensions qui animent ses citoyens, les médias américains pourraient eux aussi jouer un rôle apaisant en adoptant une approche plus constructive dans la manière de produire leurs nouvelles.
Le journalisme constructif est un concept qui a été étudié par des chercheurs à partir de 20114. Différentes définitions lui ont été données, mais cette façon de rapporter l’information pourrait se résumer à quelques principes : exposer une problématique de façon complète, c’est-à-dire explorer des pistes de solutions et démontrer ce qui progresse en plus de parler des conflits et des problèmes, mener des entrevues en évitant d’agir uniquement comme un(e) détective et cadrer la nouvelle de façon à envisager l’amélioration du bien-être de la société, en présentant, par exemple, quelque chose qui engendre une meilleure collaboration entre différents groupes.
Selon Karen McIntyre, professeure américaine qui a été la première à rédiger une thèse de doctorat sur le journalisme constructif, « la recherche a montré que des reportages constructifs ou axés sur des solutions créent un engagement chez le public et lui procurent un sentiment d'espoir et la capacité à s'attaquer aux problèmes complexes de la société ». Elle croit également que c'est « maintenant le moment pour le public américain de collaborer afin de restaurer la confiance envers les médias et la démocratie ». Évidemment, les nouvelles négatives vont conserver leur attrait auprès de la population et il est difficile d’imaginer que tous les médias américains adoptent du jour au lendemain une approche journalistique plus constructive.
4 Gyldensted, 2011; McIntyre, 2015
Heureusement, quelques journaux comme le New York Times, le Seattle Times et le Washington Post empruntent déjà cette voie, à différentes échelles. Et puisque « this is the time to heal in America », comme l’a dit le président Joe Biden, on peut espérer que d’autres médias du pays emboîteront le pas afin de produire une couverture journalistique qui aura un effet dépolarisant sur une société qui en a vraiment besoin...
Alexandre Kozminski Martin, conseiller en communication