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Un TikTok ou une story comme preuve? Voici tout ce qu'il faut savoir sur la diffamation sur les réseaux sociaux

Illustration Marilyne Houde
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Photo portrait de Anne-Lovely Etienne

Anne-Lovely Etienne

2022-06-23T11:00:00Z
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On risque de voir de plus en plus de poursuites en diffamation liées aux réseaux sociaux. C’est donc important de bien comprendre ce que c’est exactement d’un point de vue légal!

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Les avocats Me Maryse Lapointe, fondatrice du cabinet Lapointe Legal et spécialisée en litige civil, et Me Fady Toban, avocat au sein du groupe litige chez Langlois Avocats, répondent à nos questions.  

Note : Les propos ont été édités et abrégés par souci de clarté. 

Diffamation 101   

C’est quoi de la diffamation, d’un point de vue légal? 

Me Maryse Lapointe : C’est une exception à la liberté d’expression. On a le droit de dire ce qu’on veut, mais pas si on diffame quelqu’un. Pour que quelque chose soit de la diffamation, il y a trois critères : 

1. Les propos doivent avoir été diffusés à un ou des tiers.

2. Il faut qu’on renvoie ce tiers-là à une image qui est inférieure à l’image que projette la personne qui est diffamée dans ses interactions sociales. 

3. Les propos doivent être fautifs : soit qu’ils peuvent être faux ou mensongers ou qu’il s’agit de propos qui ont l’intention de nuire. Ce sont des propos qui ont été diffusés dans le but de diminuer l’image que les tiers avaient de cette personne-là. 

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Me Fady Toban : C’est essentiellement la communication de propos qui font perdre de l’estime ou de la considération, qui peuvent affecter la réputation de quelqu’un. Il faut démontrer qu’il y a une faute, qu’on a souffert d’un dommage et qu’il y a un lien de causalité entre les deux.  

Est-ce que parler de quelqu’un (par exemple notre ex, ou une ancienne amie) dans son dos à nos amis peut constituer de la diffamation d’un point de vue légal? 

FT : Les cas les plus fréquents de diffamation sont lorsqu’on publie des propos diffamatoires dans un journal ou sur les réseaux sociaux. Mais techniquement, tout ce qu’une diffamation nécessite, c’est que les propos soient communiqués à une autre personne que la personne concernée. Légalement parlant, une conversation privée dans un restaurant peut être considérée comme de la diffamation.  

ML : Disons que nous deux lors d’un brunch, on parle dans le dos de quelqu’un et que cette conversation reste privée sans que l’on ne fasse rien plus avec les informations, j’aurais de la difficulté à voir comment ce serait de la diffamation. 

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On comprend que si on se défoule avec deux amies autour d’un brunch, c’est une chose, mais si on a 2000 close friends sur Instagram à qui on en parle, ça change la situation... 

FT : C’est au point de vue des dommages. Les tribunaux vont considérer l’étendue de la diffusion. On s’entend qu’il y a moins de dommages qui résultent d’une conversation privée entre deux ou trois personnes au restaurant versus une publication sur les réseaux sociaux avec 1 million d’abonnés.  

Illustration Marilyne Houde
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Est-ce que les règles sont différentes sur internet pour la diffamation, ou c’est les mêmes qu’ailleurs dans la société? 

ML : Il n’y a pas de règles particulières par rapport au web. Ce sont les mêmes règles de diffamation qui sont appliquées.  

Est-ce qu’on peut faire de la diffamation sans nommer explicitement une personne? 

FT : La jurisprudence a déjà considéré que les insinuations peuvent être considérées comme de la diffamation. Mais en ne nommant pas quelqu’un du tout, ce serait difficile de considérer que c’est de la diffamation.  

Et les personnes anonymes, peut-on les poursuivre en diffamation? 

ML : Ça peut se faire, mais c’est un niveau de complexité supplémentaire. Généralement on peut obtenir l’identité de quelqu’un derrière une page Facebook ou Instagram à partir de l’adresse IP qui y est liée, mais ça prend des ordonnances de cour.  

FT : C’est définitivement un défi avec les pages sur Instagram qui ont beaucoup d’abonnés où tout le monde utilise la plateforme pour publier des propos qui peuvent être diffamatoires. C’est quand même difficile de connaître l’identité des gens, mais on peut tenter par des injonctions ou des enquêteurs privés, mais on s’entend que c’est très coûteux. 

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Est-ce que les gens sont bien informés sur la diffamation en général? 

ML : Les gens ont l’alerte à la diffamation un peu rapide, surtout depuis la vague de dénonciations de l’été 2020. Il y a une quantité importante de mises en demeure qui ont été transmises. Mais je ne pense pas que les gens comprennent en quoi ça consiste. Ce n’est pas parce qu’on partage un vécu qui implique d’autres personnes que l’on diffame. 

FT : L’enjeu avec la diffamation, c’est qu’il y a deux concepts qui s’affrontent : le droit à la réputation de quelqu’un et la liberté d’expression. Et les gens ont tendance à penser que la liberté d’expression est absolue parce que c’est un droit fondamental, mais la réalité c’est qu’il y a des limites à la liberté d’expression. Ce n’est pas parce que tu as le droit de dire quelque chose que ce n’est pas considéré comme de la diffamation.  

Des captures d’écran comme preuves?  

Dans les causes liées à la diffamation sur les réseaux sociaux, les preuves déposées aux dossiers peuvent être des captures d’écran de commentaires sur Instagram, des vidéos TikTok, des stories éphémères... Ça fait étrange d’ouvrir un dossier au palais de justice et de se retrouver face à cela.  

Comment le système de justice s’assure-t-il que les preuves soient bien véridiques? 

FT : Les stories et les captures d’écran peuvent être définitivement être considérées comme de la preuve dans la mesure où on réussit à démontrer qu’elles ne sont pas altérées. En matière de diffamation, c’est très important de considérer qu’une preuve fiable, c’est de déposer l’entièreté du post ou de la story. On ne peut pas isoler un passage d’une publication juste pour faire l’affaire du demandeur. La preuve doit être prise dans son contexte global. 

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ML : Il y a une loi au Québec sur les preuves relatives à la technologie qui prévoit que techniquement, pour déposer en preuve une conversation sur Instagram ou des stories, il faudrait que je puisse déposer un élément qui peut prouver l’intégrité du support technologique. On peut déposer le fichier Instagram lui-même, ou avoir un expert qui vient confirmer que le fichier Instagram est bel et bien intact.  

ML : En pratique, il y a également une obligation de bonne foi dans les procédures judiciaires. À partir du moment où tout le monde a vu une story et que toutes les parties sont d’accord, c’est considéré comme une preuve conforme.  

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Est-ce que le nombre d’abonnés qui baisse peut être considéré comme une preuve pour démontrer un dommage? 

FT : Oui. C’est considéré comme une preuve. Mais la perte d’abonnés c’est difficile à prouver [comme dommage], car il peut y avoir plusieurs facteurs qui expliquent la perte d’abonnés. N’oublions pas qu’il faut prouver qu’il y a une corrélation directe entre les propos diffamatoires et la perte d’abonnés. C’est ultimement au juge de déterminer si effectivement la perte d’abonnés est liée aux propos diffamatoires.  

Illustration Marilyne Houde
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Que se passe-t-il si des avocats ou juges ne comprennent pas le fonctionnement et les codes d’une plateforme sur laquelle se serait produite la diffamation? 

ML : C’est sûr qu’on peut faire venir des experts pour expliquer des enjeux au besoin, mais il y a des coûts importants reliés à ça. Les tribunaux ne sont pas complètement déconnectés de la nouvelle réalité! TikTok c’est probablement le plus méconnu dans le milieu.  

FT : Si on veut faire une preuve très technique comme les algorithmes qui peuvent réagir aux propos diffamatoires d’une personnalité publique, il est fort probable qu’il faut mandater un expert qui va l’expliquer à la cour. Il y a de plus en plus d’experts en réseaux sociaux. 

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Le slang internet empêche-t-il les juges et avocats de bien comprendre les preuves? 

FT : Il y a de plus en plus de poursuites qui impliquent des propos qui ont été publiés sur les réseaux sociaux, et les tribunaux comprennent généralement bien ces enjeux. Les juges sont de plus en plus capables de comprendre et de lire ce type de preuves.

Quand sa réputation est son gagne-pain  

Pour les influenceurs, la confiance et la réputation doivent souvent être impeccables, sans quoi ils peuvent perdre des contrats payants. On comprend donc que les dommages causés par une diffamation sur les réseaux sociaux peuvent être plus néfastes pour eux que pour d’autres.  

Est-ce que la justice tient compte du statut des influenceurs quand elle analyse leurs cas? 

FT : Tout ce qui importe dans la jurisprudence c’est la nature des propos qui portent atteinte à la réputation de quelqu’un. Alors je ne pense pas qu’il y a une différence de standards entre monsieur et madame Tout-le-Monde ou une personnalité publique. Là où ça va vraiment se jouer, c’est au niveau des dommages. Plus il y a un lien entre ta réputation et tes revenus, plus les dommages seront élevés, car la diffamation va porter atteinte aux opportunités d’affaires. Et dans le cas d’un influenceur qui un gros bassin d’abonnés ou d’une vedette, ce sont les dommages qui font la différence.  

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Quelque chose de mineur pour la moyenne des gens pourrait être considéré comme de la diffamation envers eux puisque ça leur fait potentiellement perdre des contrats et abonnés? 

ML : Oui. Ça fait partie des choses qui sont souvent alléguées dans les poursuites en diffamation : j’ai perdu 1000 abonnées, à la suite de la publication X. Il faut bien sûr considérer les trois critères [énoncés en début de texte] pour que la Cour considère que ce soit de la diffamation.  

ML : Pour qu’il y ait des sommes octroyées, il faut qu’on fasse la preuve qu’il y a eu des conséquences financières. Par exemple, pour la perte du nombre d’abonnés, il faut qu’on fasse la preuve qu’il y a eu des conséquences financières.  

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