Un «taureau» parmi des loups
Louis-André Larivière
Non seulement Owen Beck connait-il un excellent camp d’entraînement, il s'impose comme étant le meilleur joueur de centre dans la meute de jeunes loups visant un poste avec les Canadiens de Montréal, dans un avenir proche.
Son entraîneur-chef chez les Steelheads de Mississauga, dans la Ligue de l’Ontario, a employé un terme plus viril dans le champ lexical animal : «c’est un taureau sur la glace!», a imagé James Richmond lors d’un entretien téléphonique avec le TVASports.ca, lundi.
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«Je ne peux vous dire assez de bien de lui. C'est un formidable jeune homme.»
Auteur de trois aides au match intraéquipe, dimanche, la 33e sélection au total du dernier repêchage de la LNH s’est démarquée dès la première joute préparatoire, le lendemain, en démontrant l’étendue de son talent d’un bout à l’autre de la patinoire face aux Devils du New Jersey. Sa vitesse, son positionnement et sa maturité déconcertante à 18 ans sautent aux yeux.
L’entraîneur-chef du Tricolore, Martin St-Louis, a vanté ses mérites après la divertissante défaite de 2-1, qualifiant le rendement du pivot droitier d’«impressionnant» et «le fun à voir».
«J’ai entendu de très belles choses à son sujet, a informé Richmond avant la rencontre au Centre Bell. Je ne l’ai pas vu jouer au camp. J’ai parlé aux Canadiens avant le repêchage pour leur dire ce que je pensais d’Owen.
«Il jouera au niveau professionnel bientôt. Tout dépendra de la formation et quand il la percera.»
Beck est-il en train de mêler les cartes au camp? La question se pose. Elle est certainement légitime : l'attaquant de 5 pieds 11 pouces a gagné des points chaque fois qu’il a été sous la loupe au cours des deux dernières semaines. Il est assez étonnant qu’un espoir fasse autant écarquiller les yeux seulement quelques mois après la conclusion de son année de recrue dans le junior.
«C’est un jeune homme mature, beaucoup plus mature que certains joueurs plus âgés que lui, fait valoir Richmond. Il ne fait pas beaucoup de bruit dans le vestiaire, mais il est fort physiquement et il déborde de confiance.»
Voyez ses meilleurs moments du match contre les Devils juste ici.
Dominant au centre
Pendant le camp des recrues, Beck a déclaré que Phillip Danault et Patrice Bergeron personnifient les modèles desquels il s’inspire pour forger son style de jeu. Face aux Devils, Beck a gagné 10 de ses 17 duels dans les cercles à rondelles pour une efficacité de 59% - ses réussites s’élevaient à 86% au premier tiers (six en sept).
Richmond, qui a déjà comparé l’actuel numéro 62 à Bo Horvat à ce chapitre, raconte que le jeune joueur de centre a travaillé ses mises au jeu avec acharnement et sans relâche tout au long de la dernière année. Ce n’est en rien un hasard, même comme recrue, s’il a dominé le circuit ontarien avec une efficacité de 60,6% (817 en 1348).
À titre de comparaison, le premier patineur au classement de la Centrale en 2022, Shane Wright, a cumulé un taux de succès de 49,9% (676 en 1355) à sa deuxième année dans le junior avec Kingston. Deux facteurs expliquent cet épatant rendement, selon Richmond, et on comprend rapidement que l’espoir de Port Hope possède un appétit insatiable pour le hockey.
«D’abord, son degré de compétitivité est incomparable (off the charts). Le gars veut ardemment te battre. Deuxièmement, je ne sais combien d’autres clubs le font, mais nous compilons les données des mises au jeu des autres équipes. Owen se documente et il étudie les documents dès qu’ils sont entre ses mains.
«C’est un jeune homme intelligent. Tous les jours, nous peaufinons les habiletés, les passes, les tirs et les remises du revers. Puis nous mettons une emphase sur les mises au jeu, car on ne peut gagner de matchs si on ne remporte pas nos mises au jeu. Il me demande constamment d’en faire plus et je lui dis "d’accord". Il travaille fort.
«Il se renseigne sur les rivaux qu’il affrontera à maintes reprises, à savoir comment ils tiennent leur bâton pour faire telle ou telle manoeuvre. Si certains ont de la difficulté à comprendre ces analyses, Owen est très intelligent. La première fois qu’il a mis ses leçons à exécution, il riait. Il savait à qui il avait affaire.»
Résultat, une enrichissante et prometteuse campagne 2021-2022 qui l’a vu terminer troisième pointeur des siens et après laquelle il s’est vu remettre le trophée Bobby Smith, qui récompense les performances ainsi que l’excellence académique dans la OHL. Il a de plus été nommé joueur-étudiant de l’année dans la Ligue Canadienne de hockey.
Ironiquement, en vue du repêchage, certains éclaireurs professionnels voyaient davantage Beck comme un ailier dans la LNH.
«Ma réfutation était qu’il venait de présenter les meilleures statistiques à vie pour les mises au jeu (dans l’OHL) pour un joueur de première année. Il déclassait les patineurs plus vieux que lui sur une base régulière. La LNH est un jeu de possession et c’est un joueur dominant sur les mises au jeu. Pourquoi ne pas l’employer ainsi?
«Peut-il jouer à l‘aile? Oui. Mais, il est plus efficace au centre.»
Comme un choix de 1er tour
Outre le fait qu’il visite régulièrement la métropole l’été, l’histoire d’amour entre Beck et Montréal a officiellement commencé le 8 juillet. Déçu de ne pas avoir trouvé preneur au premier tour du repêchage, il a été le premier joueur à entendre son nom au jour 2.
La déception du jeudi venait du fait qu’il figurait au 10e rang du classement final de la Centrale de recrutement de la LNH. Or, même si plusieurs équipes ont démontré de l’intérêt à son égard, il n’a pas trouvé preneur parmi les 32 premiers au Centre Bell. Preuve que seules les listes des équipes font foi de tout sur le parquet.
«J’étais surpris qu’il ne soit pas pris au premier tour, mais je ne suis qu’un "coach". Je sais ce qu’il apporte à l’aréna tous les jours. Il veut s’améliorer. Il veut appartenir à la LNH.
«C’était en quelque sorte une surprise qu’il ne parte pas au premier tour, mais il est parti premier au début du deuxième. En plus, il a été repêché par les Canadiens! Je sais qu’il y a 32 équipes dans la ligue, mais les Canadiens... "that’s pretty damn good!".»
Le jovial instructeur venait tout juste d’accompagner son fils à son siège. Dès qu’il s’est tourné pour aller retrouver son élève, son nom a été le premier à être prononcé au micro.
«J’ai couru en bas et je voyais qu’il me cherchait du regard. J’ai filé dans le corridor pour le prendre dans mes bras. Tout le monde était extatique!»
À écouter Richmond, qui chapeaute également la fonction de directeur général des Steelheads, Beck ne jurait que par le CH à partir de cet instant. Il n’anticipait rien de moins que de prouver sa valeur et épater la galerie dès que l'occasion s'offrait à lui.
«Il était très excité pendant l’été. Il avait hâte au camp. Il me posait des tonnes de questions et je lui ai dit "tu n’as qu’à te comporter de la façon dont tu comportes". On en a beaucoup discuté. Lorsqu’il est avec ses camarades sur la glace, il veut bien saisir et faire les choses.
«Il travaille jusqu’à ce qu’il maîtrise bien les exercices.»
Bientôt de retour?
Richmond ignore quelle sera sa formation de départ au premier match de la saison, jeudi, et encore moins si Beck y figurera. Les Steelheads ont présentement cinq joueurs dans des camps d’entraînement de la LNH, a-t-il expliqué.
L’instructeur en chef de 58 ans a indiqué qu’il n’avait eu aucun contact avec la direction du Bleu-blanc-rouge depuis le début du camp. Au moment de l’entrevue, il n’avait donc aucun indice quant aux intentions des décideurs, reconstruction ou non.
«On ne parle pas aux joueurs avant qu’ils soient prêts à revenir et, à Montréal, ils ne me parleront pas avant qu’ils se décident à le renvoyer. Ils me diront sur quelle facette de son jeu il doit se concentrer.»
En fait, il semble n’écarter aucun scénario, même s’il fait preuve de la plus grande prudence dans ses propos.
«C’est difficile de répondre, car chaque équipe a sa propre façon de gérer. Il connait un fort camp, donc ils pourraient le faire jouer un match, seulement un an après son année recrue dans le junior, pour ensuite lui dire "on veut que tu retournes travailler certains aspects de ton jeu à Mississauga".»
Si Kent Hughes se décidait à garder Beck dans l’entourage de l’équipe et qu’il lui offrait un premier contrat professionnel, il ne l’aura pas volé. Si tel est son destin, Richmond lui a déjà offert quelques conseils, comme ce fut le cas pour Owen Tippett à ses débuts avec les Panthers de la Floride, en 2017. Repêché au 10e rang au total l’été précédent, l’équipe l’avait retenu dans les parages jusqu’au mois de novembre afin qu’il «apprenne à devenir un athlète professionnel même lorsqu’il ne jouait pas».
«Je leur dis d’observer les joueurs dans le vestiaire, comment ils s’habillent pour aller à l’amphithéâtre, à quelle heure ils s’y présentent. Peu de jeunes ont l’occasion de devenir hockeyeur dans la LNH. Lorsque ça se présente, tu dois être prêt.»
Richmond espère de tout cœur que les efforts porteront leurs fruits. Même si ça implique que son protégé ne traverse pas la frontière ontarienne de sitôt.
«S’ils restent, c’est qu’on fait bien notre travail. Nous sommes ravis de voir nos jeunes dans des camps de la LNH.»