Un projet de construction qui tourne au cauchemar pour de jeunes propriétaires
Pierre-Antoine Gosselin | TVA Nouvelles
Entreprendre la construction d’une première maison représente pour bien des Québécois le début d’un beau projet de vie, mais c’est tout le contraire qui est arrivé à une jeune famille de Québec pour qui le rêve a tourné au cauchemar.
Échéanciers de travaux non respectés, entrepreneur à l’abri de ses créanciers et en litige avec la Régie du bâtiment du Québec, le couple a investi des milliers de dollars dont il ne reverra jamais la couleur et aujourd’hui, cette famille se fait montrer la porte de ce qu’elle croyait être son chez-soi.
Le tout a débuté en avril 2022 pour Mathieu Dugas et Stéphanie Gilbert alors qu’ils attendaient leur deuxième enfant. Ils ont donc signé un contrat avec un entrepreneur pour la construction d’une maison dans le nouveau lotissement de Val-Bélair. Plusieurs semaines plus tard, les premiers problèmes sont arrivés.
«Le bébé était là et on commençait à avoir des questionnements. Il y avait des choses de pas clair. On commençait à stresser de la date de livraison de la maison», s’est rappelée Mathieu Dugas.
À l’approche de la prise de possession pour octobre, ils ont eu une mauvaise surprise. Le projet clé en main est loin d’être prêt. Selon le couple, des sous-traitants ont refusé d’effectuer le travail. Il a proposé de financer le reste des travaux d’intérieurs, avec l’accord de l’entrepreneur principal. Ils emménageront finalement le 24 septembre, sans avoir signé d’acte notarié.
«On a fait affaire avec ses sous-traitants. On n’est pas allé magasiner nos sous-traitants. On a juste fait affaire avec les gens avec qui il faisait affaire normalement. On a avancé les travaux pour le bien de notre famille», a ajouté M. Dugas.
L’entrepreneur, Constructions Alliance 2016, éprouve au même moment des difficultés majeures avec son fournisseur de garanties. L’entreprise est administrée par les hommes d’affaires Éric Bellefeuille et Ghislain Carrier.
«L’entreprise a 35 dossiers de réclamations reconnues. Il y en a cinq également qui sont en cours de traitement. On peut dire sans se tromper que c’est un gros dossier pour GCR», a expliqué François-William Simard, vice-président Communications et Relations partenaires chez Garantie de construction résidentielle.
«Il y a eu des retards importants de fournisseurs. On a les courriels à l’appui, on doit faire la preuve justement devant la Régie du bâtiment, comme quoi ce n’est pas imputable seulement à Constructions Alliance», a soutenu l’avocate de l’entreprise, Me Stéphane Harvey.
En septembre dernier, la compagnie a fini par perdre son accréditation GCR, la Garantie de construction résidentielle, l’empêchant ainsi de travailler sur des constructions neuves. Moins d’un mois plus tard, elle a déposé un avis d’intention de faillite. Sa dette est évaluée à l’époque à plus de 4,2 M$.
Ce n’est pas tout. «Les inspecteurs de la Ville ont découvert qu’il y avait eu des constructions qui avaient été faites sans l’obtention d’un permis», a soutenu Bianca Dussault, conseillère municipale de Val-Bélair, appelée à commenter le dossier.
Six constats d’infraction sont donnés par la Ville de Québec.
«C’est une question d’erreur. Sur un ensemble de dizaines d’unités, il peut y arriver une ou deux erreurs, soit le permis n’a pas été accordé, ou bien la Ville devait l’accorder et ne l’a pas fait. Mais c’est limité. C’est un problème très limité», a expliqué Me Stéphane Harvey.
La Régie du bâtiment du Québec mène en ce moment même des audiences où les licences des entrepreneurs pourraient être en jeu. Pour Mathieu et Stéphanie, ce n’est que la pointe de l’iceberg.
«Le bâtiment a été récupéré par un créancier. Un investisseur privé qui avait prêté de l’argent pour le bâtiment. Il a obtenu un jugement pour récupérer le bâtiment. À ce moment-là, il a décidé de louer les bâtiments, donc nous, on devait quitter immédiatement. Il nous laisse jusqu’au 19 juin», a déploré Stéphanie Gilbert.
Le couple et ses deux enfants sont forcés de quitter les lieux. Ils retrouvent leur mise de fonds de 18 000$, mais impossible de récupérer l’argent investi dans les travaux, selon GCR. Une valeur d’environ 45 000$, estiment les jeunes parents.
«Donc ce qu’on se fait dire par l’entité qui est censée protéger les acheteurs, ben c’est “too bad”. Quittez votre résidence, repartez à zéro avec vos enfants, moins plusieurs milliers de dollars dans vos poches », a indiqué Mathieu Dugas.
«On a trente ans, on a investi les économies d’une vie dans une maison qu’on croyait être la nôtre. On a investi temps argent, on a deux enfants et on perd absolument tout. On se ramasse à la rue avec deux jeunes enfants de 5 ans et 10 mois, plus d’argent », a ajouté sa conjointe.
«Évidemment pour que le parachèvement soit possible, il faut absolument que les consommateurs soient détenteurs des titres de propriété ou qu’ils soient en voie de l’être», a expliqué François-William Simard de GCR.
Il s’agit donc d’un véritable cauchemar, dont les traces laissées dépassent le gouffre financier.
«De vivre ce genre de situation là, ça nous a rentré dedans, on a vécu une année d’enfer. Ça a été extrêmement difficile pour notre couple également. On ne vous cachera pas qu’on est épuisé», a conclu Stéphanie Gilbert.
Quant aux entrepreneurs Éric Bellefeuille et Ghislain Carrier, ils sont toujours en opération. Il leur est actuellement interdit d’entreprendre quelconque construction neuve.