Interventions musclées à Québec: agent soupçonné de gestes criminels
Le policier impliqué dans deux interventions controversées demeure suspendu avec solde
Dominique Lelièvre
Empêtrée dans une crise majeure depuis la semaine dernière, la police de Québec a reconnu lundi qu’un de ses agents pourrait avoir commis des infractions criminelles lors de deux interventions musclées qui ont soulevé la controverse.
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« À la suite d’éléments recueillis au cours des derniers jours, nous confirmons que dans deux événements distincts, les enquêteurs du Module des normes professionnelles ont des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle aurait été commise de la part d’un policier », a annoncé le corps de police par communiqué.
Ces faits ont été portés à l’attention de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, qui a demandé au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) d’examiner les deux allégations. Celles-ci visent un seul et même policier.
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Les deux interventions ont en commun le fait de mettre en scène un agent poussant avec force un suspect et d’être devenues virales après la diffusion d’extraits vidéo.
Le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) et le BEI n’ont toutefois pas précisé pour le moment quelle était la nature des manquements suspectés.
Le premier événement a eu lieu au District Saint-Joseph, un restaurant-bar de la Basse-Ville de Québec, le 17 octobre dernier. L’homme interpellé aurait été blessé à la tête et il aurait souffert d’une commotion cérébrale, selon son récit.
L’autre remonte au 20 novembre 2021 dans le secteur de la Grande Allée.
Interventions « Questionnables »
Pour l’ancien inspecteur du Service de police de la Ville de Montréal Guy Ryan, les deux interventions « sont questionnables sur l’utilisation de la force nécessaire », même s’il faut se souvenir « qu’on ne voit pas l’entièreté de l’opération ».
« Est-ce que c’était réellement nécessaire de pousser abruptement ces gens-là ? [...] Si la police de Québec a décidé d’envoyer ça au BEI, c’est parce qu’eux constatent [...] des anomalies », soulève-t-il.
Le @SPVQ_police m’a informée d’allégations relatives à des infractions criminelles possibles dans deux vidéos qui ont circulé. J’ai demandé au @BEIQc de les examiner, tel que prévu à la Loi sur la police. Les enquêtes du Commissaire à la déontologie policière se poursuivent.
— Geneviève Guilbault (@GGuilbaultCAQ) December 6, 2021
D’autre part, il est rassurant qu’une entité indépendante prenne la relève de l’enquête, car le SPVQ ne peut pas être « juge et partie », ajoute l’analyste.
Si la force employée est jugée déraisonnable, un agent de la paix peut être reconnu coupable de voies de fait simples ou même de voies de fait causant des lésions. Au Code criminel, ces infractions sont passibles d’une peine d’emprisonnement allant respectivement jusqu’à cinq et dix ans.
Le BEI prend la responsabilité de deux enquêtes sur des allégations visant un policier du Service de police de la Ville de Québec https://t.co/4bOYkzjqTn
— BEI Québec (@BEIQc) December 6, 2021
Suspendu avec solde
Selon ce qu’il a été possible d’apprendre, le policier faisant l’objet des allégations n’a subi aucune arrestation et n’a fait l’objet d’aucune accusation formelle à ce jour.
Il est l’un des cinq policiers qui avaient été suspendus avec solde la semaine dernière, et il le demeure.
La ministre Geneviève Guilbault a dit avoir agi pour s’assurer de maintenir « un lien de confiance fort entre nos citoyens et nos policiers » tout en soulignant « la célérité et la rigueur » dont a fait preuve le SPVQ, selon elle, dans l’étude de ce dossier.
Le BEI, une organisation indépendante parfois surnommée « la police des polices », a invité les témoins des deux affaires à communiquer avec lui à l’adresse bei_allegations@bei.gouv.qc.ca.
Selon l’évolution de son enquête, il pourrait transmettre ses observations au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui, lui, portera des accusations s’il le juge opportun.
Enquête interne
De son côté, le SPVQ va poursuivre son enquête interne sur les autres dénonciations reçues, en lien avec les interventions près du Dagobert et au Portofino de Sainte-Foy, dans la nuit du 26 au 27 novembre derniers.
Jeudi dernier, le chef de police Denis Turcotte a promis d’aller au « fond des choses ». Il s’était dit préoccupé par ce que l’on pouvait voir dans les vidéos rendues publiques, tout en signalant qu’elles ne racontent qu’une partie de l’histoire.
Deux événements sous la loupe des enquêteurs du BEI
Date : 17 octobre 2021
Restaurant-bar District Saint-Joseph
Une caméra de surveillance a filmé un agent de police poser ses deux mains sur le torse d’un client et le repousser avec force contre un mur dans un corridor de l’établissement. L’homme se frappe la tête contre le mur et s’effondre puis est menotté par trois policiers. L’homme trentenaire se serait fendu la tête et aurait souffert d’une commotion cérébrale, selon ce que lui et sa conjointe ont affirmé en entrevue au Journal. Il a reçu une contravention de 255 $ pour avoir troublé la paix. Le couple a dénoncé une conduite démesurée de la part des forces de l’ordre tout en reconnaissant avoir contrevenu aux règles sanitaires en dansant sans porter de masque durant la soirée.
Date : 20 novembre 2021
Secteur de la Grande Allée et de la rue De la Chevrotière
Une vidéo amateur de 15 secondes montre un policier dire à un homme : « Veux-tu que je te gaze, mon ostie ? » avant de le projeter violemment contre une autopatrouille du Service de police de la Ville de Québec. Aucune autre information n’a filtré sur les circonstances entourant l’intervention policière, qui s’est déroulée en présence de plusieurs individus.