Un jubilé historique de la reine... et une succession de scandales
Hugo Duchaine | Journal de Montréal
La reine Elizabeth II célèbre aujourd’hui 70 ans sur le trône, le plus long règne britannique et canadien. Mais cet anniversaire historique survient au moment où la monarchie est sans cesse écorchée par des scandales, qui remettent en question sa pertinence.
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Un fils accusé d’agression sexuelle sur une mineure, un petit-fils qui claque la porte du palais de Buckingham et un intérêt ravivé pour les tourments imposés par sa famille à l’adulée princesse Diana dans la culture populaire : l’image de la reine a été durement ternie depuis deux ans.
L’an dernier, la souveraine de 95 ans a aussi encaissé le deuil de son époux des 70 dernières années, le prince Philip.
« Ce furent des années en dents de scie pour la reine », remarque l’éditeur du Majesty Magazine à Londres, Joe Little. Des turbulences qui rappellent celles des années 1990.
Jubilé de platine
La reine Elizabeth II a accédé au trône le 6 février 1952 et fêtera ce printemps un jubilé de platine pour souligner cet anniversaire, qu’aucun autre souverain britannique n’a atteint.
L’historien britannique James Jackson se souvient encore des célébrations entourant le couronnement de la reine en juin 1953, même s’il n’avait que cinq ans.
Il s’attend au même faste 70 ans plus tard, car « les Anglais adorent ça, ces festivités, c’est ce que la royauté apporte », souligne-t-il.
N’empêche, il estime que la poursuite civile contre le prince Andrew pour agression sexuelle sur une mineure, qui a récemment reçu l’aval d’un juge américain, va « noircir toutes les célébrations ».
Sur la sellette depuis des années pour son amitié avec le pédophile milliardaire Jeffrey Epstein, le prince a été déchu de tous ses titres militaires. Retiré de la vie publique, le duc d’York n’utilise plus l’appellation « Altesse Royale ».
Il sera invisible à la célébration du jubilé.
Écoutez l'entrevue de Sophie Durocher avec James Jackson sur QUB radio :
Coupe les branches
« On coupe les branches qui menacent le trône », tranche l’auteur et avocat constitutionnaliste André Binette. Mais pour le porte-parole québécois de la Ligue monarchiste du Canada, Karim Al-Dahdah, une pomme pourrie « ne veut pas dire que le système tout entier est mauvais ».
C’est la même chose au Canada, où les frasques de l’ex-gouverneure générale du Canada, Julie Payette, ont aussi entaché la fonction du représentant de la reine au pays.
« Une personne ne fait pas l’institution », poursuit M. Al-Dahdah, qui aimerait d’ailleurs plus de visibilité et d’éclat autour de la fonction.
Pour Joe Little, le départ du prince Harry et de son épouse Meghan est aussi une « occasion manquée » pour la monarchie. Vraisemblablement étouffé par les protocoles à respecter et attaqué par les tabloïds, le couple a préféré se consacrer à la philanthropie aux États-Unis.
Le vent de fraîcheur qu’ils insufflaient à la monarchie est tombé avec leur départ.
« J’ai bien l’impression que pour les prochaines années, la reine va vivre encore des moments extrêmement difficiles », estime à son tour Estelle Bouthillier, analyste de la monarchie britannique.
1,55 $ par Canadien
Au Canada, la Couronne a coûté un peu plus de 58 millions $ en 2019-2020, soit 1,55 $ par Canadien, selon les calculs de la Ligue monarchiste du Canada.
Les visites au pays par les membres de la famille royale sont aussi faites entièrement aux frais des contribuables canadiens. L’an dernier, le Bureau d’enquête a calculé que, dans les quatre dernières années, il en a coûté 4,4 millions $ pour accueillir les têtes couronnées britanniques.
La reine Elizabeth II a foulé 22 fois le sol du Canada depuis le début de son long règne, mais elle n’a pas mis les pieds au Québec depuis 1987.
Des appuis en hausse
L’abolition de la monarchie n’est aucunement envisagée au Royaume-Uni, mais au Canada, l’idée gagne de plus en plus d’appuis.
Selon un sondage Léger réalisé pour Le Journal l’an dernier, les trois quarts des Québécois souhaitent l’abolition pure et simple de la présence de la monarchie. Au Canada anglais, traditionnellement plus attaché à la reine, c’est désormais plus de la moitié des gens qui sont prêts à lui tourner le dos, selon un autre sondage.
« C’était un sujet tabou, mais ça ne l’est plus », remarque André Binette, qui a notamment écrit un livre en faveur d’une république au Québec.
Un « nid de crabes »
« [Abolir la monarchie] n’est jamais une priorité pour un gouvernement fédéral, car c’est se mettre les mains dans un nid de crabes », affirme Estelle Bouthillier.
André Binette ajoute que « paradoxalement, il est plus facile d’abolir la monarchie en Angleterre qu’au Canada », où le Parlement devrait rouvrir la Constitution et obtenir l’accord unanime des 10 provinces pour aller de l’avant.
Ce serait alors également l’occasion pour les provinces de faire toutes sortes de demandes à Ottawa, notamment pour plus d’autonomie, en échange d’un vote pour l’abolition, par exemple.
Jubilé de platine
- Un jubilé de platine est célébré pour souligner 70 ans de règne. Les célébrations auront lieu du 2 au 5 juin.
- Il s’agit du tout premier à être fêté au Royaume-Uni, puisque la reine Elizabeth II est déjà la souveraine à avoir porté le plus longtemps la couronne.
- Elle a détrôné la reine Victoria en 2015.
- Elle a accédé au trône le 6 février 1952 à 25 ans, après le décès de son père, le roi George VI. Son couronnement officiel a cependant eu lieu en juin 1953.
- Il s’agissait alors du premier événement d’envergure internationale à être télé-diffusé. Des avions ont notamment fait l’aller-retour entre Londres et Montréal pour que les bandes vidéo puissent apparaître au petit écran canadien.
- En raison de ses 95 ans, la reine pourrait être moins visible que lors des jubilés précédents, laissant plus de place à ses héritiers, croit Joe Little, du Majesty Magazine. La pandémie pourrait aussi freiner les foules, mais aucune mesure spéciale n’a été annoncée.
- Si elle reste reine encore trois ans, Elizabeth II dépassera le roi de France Louis XIV, à titre de monarque au plus long règne.
- En tant que reine, elle a vu passer 15 premiers ministres britanniques, de Winston Churchill à Boris Johnson. Au Canada, son règne a été témoin de 13 premiers ministres, de Louis St-Laurent à Justin Trudeau.
- Lors d’un discours pour son jubilé de rubis en 1992, la reine avait qualifié la dernière année d’annus horribilis (année horrible). Plusieurs de ses enfants avaient alors divorcé et les infidélités du prince Charles envers la princesse Diana faisaient les manchettes.
- Lors de la mort de la princesse Diana en 1997, elle avait été aussi fortement critiquée pour son mutisme. Estelle Bouthillier souligne que la reine respectait alors les protocoles monarchiques, mais le peuple britannique réclamait qu’elle vive son deuil plus publiquement.
La Barbade pourrait inspirer d’autres pays dans le Commonwealth
La petite île de la Barbade, dans les Antilles, est devenue l’an dernier la plus récente république du Commonwealth. Une rupture avec la monarchie qui pourrait faire des petits, croient des experts.
« Ça semble inévitable que le prince Charles soit roi de moins de pays que sa mère », fait valoir l’éditeur britannique Joe Little.
À l’occasion du 55e anniversaire de son indépendance, la Barbade a choisi de rompre avec son passé colonial. Plutôt que d’admirer une reine, le pays a même élevé la chanteuse et femme d’affaires Rihanna à titre de « héros national ».
L’indépendance a été obtenue en passant un projet de loi pour amender la constitution du pays, créant le rôle de président du pays pour remplacer la reine.
C’est l’ex-gouverneure générale, Sandra Mason, qui été élue à la présidence par les membres du Parlement de la Barbade. Le prince Charles a assisté à son assermentation.
Parmi les 54 pays membres du Commonwealth, seulement 15 ont encore la Couronne britannique comme chef d’État.
Selon l’auteur et avocat constitutionnaliste André Binette, d’autres îles des Antilles, comme la Jamaïque, risquent fort d’emboîter le pas à la Barbade.
Pour ces pays, la conquête britannique est aussi synonyme d’un passé sanglant de traite d’esclaves.
Situation gênante
Si cela se concrétise, le Canada deviendrait alors la seule monarchie de toute l’Amérique.
« Ça va être gênant à un moment donné », croit M. Binette.
C’est sans compter que l’Australie parle de devenir une république depuis de nombreuses années. Certains, comme Joe Little, croient que la mort de la reine Elizabeth II, âgée de 95 ans, pourrait être l’élément déclencheur d’une rupture avec la monarchie.
Cette dernière a toujours été le membre le plus populaire de la famille royale, rappelle-t-il.