Un harceleur criminel a aidé l'Agence de santé... de sa cellule
Jules Richer | Bureau d'enquête
Un scientifique québécois a pu continuer à travailler à la lutte contre la COVID-19 avec l’Agence de la santé publique du Canada alors qu’il était en prison pour le harcèlement de sa conjointe. Il a même reçu une lettre d’appui d’une haute fonctionnaire pour être libéré plus rapidement.
Au moment où il purgeait une peine de 14 mois, Simon Roy a gardé contact par téléphone avec le Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg, où s’effectuaient des travaux de séquençage du virus. Il avait plaidé coupable à des accusations de harcèlement criminel contre son ex-conjointe.
Malgré tout, une des responsables du laboratoire, Morag Graham, a écrit une lettre de référence dont il s’est servi pour tenter d’obtenir une libération anticipée. Cette requête lui a été refusée et il n’a été libéré qu’aux deux tiers de sa peine.
Simon Roy n’en était pas à ses premiers démêlés avec la justice. Il avait déjà été incarcéré en 2017 dans une affaire de trafic de drogue, avant de se retrouver derrière les barreaux en 2020.
En prononçant sa sentence dans ce dernier dossier, le juge a eu des mots durs à son endroit. Il n’a pas hésité à dire que Roy avait fait preuve d’un « perpétuel harcèlement et [d’une] perpétuelle violence morale et psychologique » contre son ex-conjointe ainsi que d’un manque considérable d’empathie pour elle.
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Belle collaboration de sa cellule
Depuis le début de la crise sanitaire, l’entreprise de Roy, Civic Bioscience ltée, a obtenu des commandes totalisant environ 100 000 $ de la part du laboratoire national de Winnipeg dans le cadre des efforts pour lutter contre la COVID-19. La compagnie se spécialise dans les « réactifs biologiques ».
En entrevue, Roy a expliqué que, même en prison, il continuait à communiquer par téléphone avec des chercheurs fédéraux pour les aider à utiliser les réactifs qu’il fournissait.
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« Je n’avais pas accès à un ordinateur. On m’imprimait les documents et je travaillais au téléphone avec eux », dit-il.
« Pas de commentaires »
Jointe à Winnipeg, Mme Graham n’a pas voulu discuter de sa relation avec Roy.
« Je ne ferai pas de commentaires, parce que ce n’est pas une question publique. C’était une question civile », a-t-elle dit.
Il a été impossible d’obtenir copie de la lettre de recommandation rédigée pour tenter d’obtenir sa libération conditionnelle.
Toutefois, dans une autre lettre, de juillet 2020, publiée sur le compte LinkedIn de Roy, Mme Graham témoigne son « immense appréciation » envers lui, pour son aide aux efforts de séquençage d’échantillons difficiles à analyser du virus de la COVID-19.
« Ce n’est même pas une exagération de dire que la santé des Canadiens et notre économie ont [...] besoin de vous », ajoute-t-elle.
Un lourd dossier
2015
4 chefs d’accusation de trafic de substances
1 chef de possession en vue du trafic
1 chef de possession de substance
Il plaide coupable et écope de six mois de prison
2019
6 chefs d’accusation pour omission de se conformer à une ordonnance
2 chefs pour omission de se conformer à une promesse
1 chef d’entrave à la justice
1 chef de harcèlement criminel
1 chef d’accusation pour communication harcelante
Il plaide coupable et écope de 14 mois de prison
Source : SOQUIJ, plumitif criminel
Silence radio à l’Agence
Ottawa a refusé de commenter les liens étroits qui se sont créés entre la compagnie de Simon Roy et le Laboratoire national de microbiologie.
« L’Agence de santé publique du Canada (ASPC) n’est pas en mesure d’offrir de commentaire à propos de ces allégations pour des raisons de protection de renseignements personnels », nous écrit-on.
Dans sa réaction, l’Agence se borne à reprendre des extraits du code de conduite des fonctionnaires fédéraux, dont celui-ci :
« [Le fonctionnaire doit] prendre toutes les mesures possibles pour reconnaître, prévenir, signaler et régler tout conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel entre ses responsabilités officielles et ses intérêts personnels. »
Vie privée
Notons que cette règle ne veut pas dire explicitement que Mme Morag Graham aurait dû éviter d’intervenir en faveur de Simon Roy alors qu’il était en prison, mais rappelle quand même que les fonctionnaires doivent éviter les conflits d’intérêts entre leurs responsabilités et leur vie privée.
L’Agence confirme que Civic Bioscience a fourni des produits de séquençage pour la COVID-19 et un « support technique » à son équipe de génomique, mais refuse d’en préciser la valeur totale.
« L’ASPC n’a octroyé aucun contrat de plus de 10 000 $ à la compagnie depuis 2016-2017 », indique-t-on.
En vertu de règles existantes, Ottawa n’a pas à dévoiler les détails des contrats inférieurs à 10 000 $.