Jeunes femmes à gauche, jeunes hommes à droite: le fossé se creuse entre les sexes


Anne-Sophie Poiré
Les jeunes Québécois et Québécoises semblent plus que jamais en désaccord d’un point de vue politique, selon le dernier sondage Léger. Les femmes de 18 à 34 ans ont l’intention de voter à gauche aux prochaines élections, tandis que les hommes de la même tranche d’âge comptent appuyer la droite.
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«L’analyse de cette cohorte est fascinante», affirme l’économiste et président fondateur de la firme de recherche marketing, Jean-Marc Léger.
Le coup de sonde de Léger publié dans les médias de Québecor le 5 février révélait que les 18-34 ans dans la province tendent à s’éloigner des partis plus à gauche de l’axe politique où ils votent traditionnellement.
Ce déplacement vers la droite et le centre-droit s’observe surtout chez les hommes que chez les femmes.
Les électrices de 18-24 ans sont «très à gauche», mais les électeurs du même âge sont «à droite», résume M. Léger.
Ce sont 61% des femmes de ce groupe d’âge qui comptent donner leur vote au Parti libéral du Canada (PLC), au Nouveau Parti démocratique (NPD) et au Parti vert lors des prochaines élections fédérales. Chez les jeunes hommes de 18 à 24 ans, ils sont 49% à vouloir soutenir le Parti conservateur du Canada (PCC) et le Parti populaire du Canada (PPC) de Maxime Bernier.

«Même constat si on compare les jeunes femmes de 18-34 ans qui sont à gauche (59%) comparativement aux jeunes hommes plus à droite (48%)», ajoute le sondeur.
La gauche perd du terrain
Le Québec emboiterait-il le pas à la tendance mondiale d’un glissement vers la droite de ses jeunes électeurs?
«Le constat est réel», affirme la co-porte-parole de Québec solidaire (QS), Ruba Ghazal, qui observe également un lien entre le sexe et l’orientation politique.

«Les jeunes hommes vont avoir tendance à voter plus à droite que les femmes du même âge. Le phénomène se remarque assez pour que des experts se penchent sur la question», fait valoir la députée de Mercier.
Avec 28% des intentions de vote, QS demeure le parti préféré des 18-34 ans, tout juste devant le PQ (27%). Les appuis à la formation de gauche ont toutefois fondu de huit points en un an, selon les données de Léger.
Comment expliquer ce virage vers la droite?
«On voit une transformation du discours dans l’espace public», note la professeure à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Joanie Bouchard.
«Les idées associées à la droite, voire à l’extrême droite, qui étaient auparavant cantonnées à des lieux plus spécifiques, sur le web, dans des espaces reclus, gagnent tranquillement de la visibilité dans l’espace public et de la tolérance de la part de l’électorat», détaille l’experte.
Le documentaire Alphas, paru en novembre dernier, fait état de la montée du discours masculiniste qui trouve écho chez de jeunes Québécois.
Plusieurs influenceurs comme Andrew Tate, particulièrement suivis par de jeunes hommes sur les réseaux sociaux, se présentent comme des coachs-entrepreneurs faisant la promotion d’idées conservatrices et d’un retour aux valeurs traditionnelles.
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«Les jeunes ne s’alimentent plus dans les médias traditionnels. Ils préfèrent s’informer sur les réseaux sociaux, qui poussent de plus en plus des idées d’extrême droite», rappelle Ruba Ghazal. «Et qui possède ces réseaux sociaux? Des hommes», dit-elle.
D’autres hypothèses que le sexe
La migration à droite des jeunes hommes ne peut toutefois pas expliquer à elle seule la perte de vitesse de Québec solidaire.
«QS a profité d’un vote générationnel des jeunes qui ont connu le printemps érable de 2012 et qui sont devenus adultes. Il semble que la génération suivante n’ait pas développé le même attachement au parti. L’avantage générationnel de QS est en train de s’affaiblir», souligne le professeur au Département de science politique de l’Université Laval et chercheur à la Chaire sur la démocratie et les institutions parlementaires, Marc André Bodet.
Il mentionne également l’effritement du vote de protestation qui profitait auparavant au parti.
En d’autres mots: le parti dirigé par Ruba Ghazal et Gabriel Nadeau-Debois est de moins en moins perçu comme une alternative aux vieux partis.
«QS est entré dans les normes parlementaires. Ça peut éloigner un électorat jeune qui souhaitait appuyer un parti de contestation. Le vote semble se déplacer vers le Parti conservateur du Québec, particulièrement pendant la pandémie en raison des mesures sanitaires en place», explique-t-il.
Le PLQ double chez les jeunes
Pendant que QS recule chez les jeunes, le Parti libéral du Québec (PLQ) progresse. En un an, il est passé du cinquième (9%) au troisième choix (18%) chez les jeunes dans les intentions de vote.
«Les plaques tectoniques bougent, lance le chef intérimaire du PLQ Marc Tanguay. Notre aspiration de devenir le gouvernement se fera avec le vote des 18-34 ans.»

Marc-André Bodet estime qu’un électorat naturel en croissance dans la province est en train de profiter au parti qui se situe au centre droit de l’échiquier politique.
«La jeunesse québécoise, particulièrement de Montréal et de ses banlieues, provient de plus en plus de parents ayant immigré au Québec. Les jeunes peuvent être attirés vers le message du Parti libéral qui est plus axé sur la valorisation de la diversité, les droits et libertés et l’attachement au Canada», analyse le professeur.
Marc Tanguay abonde dans le même sens.
«Les jeunes ne voient pas le fait de parler une autre langue que le français comme une menace et le discours anti-immigration ne correspond pas à leur vision. Les identités multiples sont plutôt perçues comme une richesse pour eux.»
Le député de la circonscription montréalaise de LaFontaine croit que l’élection de Donald Trump pourrait aussi jouer en faveur des libéraux québécois.
«L’importance de la force du marché économique canadien n’est plus à démontrer. Le Québec doit être un leader au sein de la fédération canadienne», conclut-il.