Un aveu de douceur, par Juliette Bélanger-Charpentier
Juliette Bélanger-Charpentier
Expériences marquantes, réflexions, fantasmes... 10 plumes de chez nous racontent dans leurs mots comment s’est forgée — et continue d’évoluer — leur perception de la beauté.
Un aveu de douceur, par Juliette Bélanger Charpentier
Je me suis rapidement imposé cette conception que la beauté, c’était le luxe des autres. Je connaissais la beauté du talent, de la gentillesse, de l’élégance et de l’émotion, mais la beauté de l’apparence, elle, je la réservais à n’importe qui d’autre qu'à moi. Je portais le corps de l’exception; celui des jeunes filles qui grandissent toujours plus vite qu’elles ne vieillissent, incapables de justifier leur poitrine déjà ronde tandis qu’elles coiffent les cheveux bouclés de leurs poupées.
On observait avec confiance ce développement hâtif; on admirait presque ce corps de femme qui poussait en moi avant que je ne sois prête à le rejoindre. Loin du confort familial, lorsque je devenais vulnérable aux imprudences ordinaires, on me répétait que j’étais «faite forte pour mon âge», une maladresse que j’attribue aujourd’hui à une tentative affectueuse de valorisation. Une remarque qui, je l’admets, m’a au moins permis de mieux comprendre les effets de la permanence lorsque les mots s’autorisent l’intrusion.
Tandis qu’on devinait l’impatiente puberté qui se dessinait sur ma peau, je chérissais comme unique rêve de ressembler à tout le monde et, surtout, à personne. Je me voulais conforme, invisible presque; ni différente ni même belle. Faire taire ce qui transformait mon apparence à une vitesse que je refusais de tout mon être. Cette perte de contrôle creusait avec puissance l’écart entre l’amour et la haine que je portais à ce corps, que je souhaitais déjà différent. Le temps trichait contre moi comme un traître assumé. Plus tard, cette relation s’est transformée en chorégraphie d’évitement: éviter le regard de l’autre, et tout particulièrement le mien.
Un jeu sans plaisir qui n’a gagné qu’à éreinter la perdante – moi – un peu plus chaque jour. Si le temps peut nous faire oublier ce qui abîme, le corps, lui, ne s’habitue jamais à la violence qu’est celle de vouloir l’effacer.
Un jour, je me suis épuisée de la honte, de la distance.
Aujourd’hui, avec les yeux de l’âge que j’ai vraiment lorsque je me regarde, je ne m’en veux plus de ne pas avoir su aimer mon reflet plus tôt. C’est d’habiter le corps que j’ai maintenant qui me permet une certaine réparation. Me permet l’admiration, le retour. Je ne me voyais pas complètement, à l’époque. Mais aujourd’hui, j’y arrive. Ce n’est pas parfait, mais c’est mieux. Je me vois sur les photos d’autrefois, le corps fragile, fuyant, mais puissant d’être vivant. Je nous vois. Je nous comprends. C’est l’important.
Désormais, il m’arrive de lui faire des aveux de douceur, à ce corps, et de le rencontrer souvent, aussi imparfaite soit la réunion. J’ose désormais croire qu’être faite forte, c’est peut-être aussi d’avoir le courage qu’il faut pour refuser la transparence et se pardonner de l’avoir un jour voulue. Ce bagage me fait définir la beauté autrement, en la plaçant au cœur de ce qui émane des détours qu’il faut parfois prendre, afin de se reconnaître vraiment.
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