Ukraine: un an après la libération de Kherson, les civils toujours sous les bombes russes
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Agence France Presse
Au pied d'un immeuble, des policiers et militaires ukrainiens s'agitent autour d'un tube de métal. Neuf étages au-dessus, les murs calcinés d'un appartement apparaissent à travers un trou béant.
Le tube est une roquette de lanceur multiple GRAD qui vient de s'abattre sur un quartier résidentiel de Kherson, grande ville du sud de l'Ukraine qui vit dans la terreur des bombardements russes quasi-quotidiens un an après sa libération par l'armée ukrainienne.
Dans les couloirs carbonisés du bâtiment, Natalia, 58 ans, pleure sa mère tuée dans l'explosion. «C'est sous cette dalle qu'on l'a retrouvée», dit-elle dans un sanglot, montrant d'une main un énorme bloc de béton, et serrant de l'autre son peignoir blanc.
Sous ses pieds, les cendres de ce qui devait être la cuisine, que l'on devine à un amalgame de pâtes carbonisés et de casseroles fondues.
Dans l'appartement voisin, une jeune femme pénètre dans ce qu'il reste de son salon. Devant les dégâts, elle plaque ses mains sur sa bouche puis les lève vers une icône religieuse encore accrochée au mur. «Mon Dieu ! Pourquoi m'as-tu fait ça ?», lâche-t-elle avant de fondre en larmes.
Kherson avait été la première grande ville et la seule capitale régionale à tomber aux mains des Russes au début de leur invasion déclenchée en février 2022.
La cité portuaire a connu huit mois d'occupation avant d'être libérée le 11 novembre.
Aux scènes de joie et embrassades des soldats avec les habitants ont très vite succédé les bombardements de l'armée russe, retirée sur la rive gauche du fleuve Dniepr qui borde Kherson et est devenu la ligne de front dans cette zone.
9 500 frappes
En un an, près de 9 500 frappes ont touché la ville et son agglomération, tuant près de 200 civils, a indiqué à l'AFP l'administration régionale. Selon l'ONG Médecins sans frontières, 80% des structures de soin dans la région de Kherson sont détruites ou endommagées.
Les autorités estiment à 60 000 la population actuelle de la ville de Kherson, loin des 300 000 d'avant la guerre.
Sur les façades des immeubles de la ville, dont la plupart des fenêtres sont soufflées, des traces de l'occupation sont encore visibles, comme ces rubans jaune et bleu - les couleurs de l'Ukraine - tagués à l'époque par un mouvement de résistance.
À la périphérie de Kherson, les centres commerciaux sont dévastés. Dans le centre, certaines boutiques restent encore ouvertes: quelque épiceries, drogueries et pharmacies. Les derniers habitants qui n'ont pas fui s'y pressent sans jamais rester dehors le soir.
Sur la centaine d'échoppes du marché central, seules quelques personnes âgées continuent de sortir leurs étals. «C'est déconseillé par la mairie, ils disent que c'est trop dangereux», explique Borys, l'administrateur du site.
«Les jeunes partent au front, nous, les vieux, devons travailler», dit cet homme de 70 ans à la moustache blanche. Il fait le tour des lieux en pointant du doigt chaque trou causé par les éclats d'une roquette, tombée deux jours plus tôt. «Dans cette boutique, un tailleur a fait un arrêt cardiaque à cause de l'explosion. On l'a enterré hier», précise-t-il.
«Ville grise»
Borys vit maintenant dans le centre de Kherson après avoir quitté sa maison située de l'autre côté du fleuve Dniepr, rive gauche. Il raconte s'être enfui pendant l'occupation, sur une embarcation, de nuit. «Nous étions des dizaines sur ces barques. Les Russes avaient coupé l'accès au pont», explique-il.
Depuis, il prend régulièrement des nouvelles par le biais de ses voisins restés sur place. «Les Russes ont tout volé dans ma maison, même ma voiture», dit le vieux. «Ma maison me manque tellement».
Chacun ici a son récit sur l'occupation et la libération, à l'instar d'Olena Danyliouk qui avait fui la ville occupée.
«Les Russes cherchaient à mobiliser les jeunes de plus de 18 ans, et comme notre fils venait de les avoir, mon mari à dit qu'il fallait s'enfuir, on n'a pas eu le choix», relate cette femme de 44 ans.
Embarqués dans une voiture avec le minium d'affaires, un drap blanc accroché à la vitre, la famille a dû franchir 13 checkpoints russes. «Ils étaient tous tenus par des Tchétchènes. Mais au dernier, c'étaient des Russes qui parlaient ukrainien, pour nous piéger. Mais on a quand même réussi à s'enfuir, faisant croire que j'allais voir ma sœur enceinte», raconte-t-elle.
Olena est revenue à Kherson cinq jours après la libération pour retrouver sa maison.
Le retour a été un choc. «J'ai découvert que ma ville, d'habitude si colorée, est devenue grise. Les gens étaient tous habillés terne. Même les enfants de mes amis ne souriaient plus, ils étaient sans émotion», se souvient-elle.
Olena Danyliouk fait aujourd'hui du bénévolat pour une fondation distribuant l'aide humanitaire. «Les gens en ont besoin ici», dit-elle.