Ukraine: faut-il vraiment suivre les Américains?
Mathieu Bock-Côté
La place prise par la question ukrainienne au cœur de l’actualité internationale pourrait faire croire que nous sommes replongés en pleine guerre froide.
D’un côté, les Russes jouent le rôle de grands méchants : on les soupçonne de vouloir reconstituer l’URSS sous un autre nom. L’invasion annoncée de l’Ukraine, puis son annexion éventuelle seraient la traduction politique de ce désir. Les Russes entasseraient des troupes à la frontière de cette dernière et multiplieraient les provocations contre elle.
Occident
De l’autre, les Américains se présentent comme les gardiens de la démocratie mondiale. Au nom des Occidentaux, ils mettent en garde la Russie : si elle pénètre sur le territoire de l’Ukraine, ils promettent une vive réaction. Laquelle ? On ne voit pas trop sur quelle base ils réagiraient, puisque l’Ukraine, justement, n’est pas membre de l’OTAN. Et pourquoi le Canada se laisserait-il entraîner dans cette querelle ?
L’OTAN : le gros mot est lancé. Deux visions s’affrontent. L’Ukraine aimerait rejoindre l’OTAN et même l’Union européenne : elle accrocherait ainsi son destin à l’Occident. Mais un pays n’est pas maître de sa géographie et l’Ukraine est collée sur la Russie, qui verrait dans cette adhésion une forme d’empiétement de l’OTAN sur sa zone d’influence naturelle. Autrement dit, elle y verrait une forme d’agression, comme si l’OTAN cherchait à l’encercler. Que diraient les Américains si le Canada voulait s’allier militairement à la Russie ?
Les Russes sont-ils complètement fous lorsqu’ils soupçonnent les Américains de toujours vouloir étendre les frontières de leur empire ? Posons la question directement : est-ce vraiment la vocation de l’Ukraine de rejoindre l’OTAN et l’Union européenne ? La réponse est simple : non. En l’y poussant, et en la traitant de facto comme un pays intégré à l’alliance atlantique, les États-Unis multiplient les provocations, et la Russie, manifestement, veut faire comprendre qu’elle entend mener la politique de ses intérêts.
D’ailleurs, les autres pays occidentaux sont-ils aussi solidaires de la vision américaine qu’on veut le croire ? L’Allemagne dépend du gaz russe. La France est divisée sur la question russe entre deux visions contrastées de sa politique étrangère. Les États d’Europe de l’Ouest ont-ils vraiment intérêt à se laisser entraîner dans les ambitions impériales des États-Unis ?
Russie
Le monde de l’après-guerre froide, où les Américains se croyaient appelés à dominer sans partage la planète, est derrière nous. De vieux pays émergent et deviennent de nouvelles puissances. Je ne pense pas qu’à la Russie, mais aussi à la Chine, à l’Inde, à tous ceux qui ne tolèrent plus l’hégémonie occidentale sur le monde.
Dire tout cela ne revient pas à marquer la moindre sympathie pour la Russie de Poutine. Ceux qui fantasment sur le leader russe à la manière d’un grand chef voudraient-ils vraiment vivre en Russie ? Raymond Aron, en son temps, avait publié son plaidoyer pour l’Europe décadente. Je préfère nos démocraties imparfaites aux régimes virils qui prétendent tenir d’une main de fer la bête humaine.
Cela ne nous dispense pas de faire preuve de réalisme en politique étrangère.