TVA Nouvelles en Ukraine - Carnet de guerre
TVA Nouvelles
Le journaliste Félix Séguin et le caméraman Yani Massé ont été affectés à la couverture de l’invasion russe en Ukraine pour TVA Nouvelles. Dans ce carnet de guerre, ils documenteront leurs rencontres et leurs impressions tirées de leur couverture quotidienne en sol ukrainien.
JOUR 69 de l'invasion russe
Le job que je fais, ce qu'il a de fabuleux, c'est qu'il te fait passer des tests parfois.
Et aujourd'hui, il teste mes émotions et il s'assure que j'en aille encore.
Contexte: nous sommes à Palanca à la frontière de la Moldavie. Même si le pays le plus pauvre d'Europe compte à peine 2,5 millions d'habitants, il accueille plus que sa part de réfugiés.
Donc, on entre dans un genre de tente blanche où une femme joue avec une petite fille au visage angélique.
Elle sourit quand elle voit la caméra de Yani. Je m'approche doucement et je demande tranquillement à sa mère la question la plus élémentaire pour comprendre sa situation. Puisqu'elle venait d'arriver d'Odessa et que les habitants de la ville n'ont pas encore majoritairement fui la cité, je me demandais ce qu'il l'avait décidé à le faire. Elle s'est retournée vers son bébé de trois ans qui lentement lui a fait un si tendre sourire.
La jeune maman sourit elle aussi et lentement les larmes commencent à couler sur les joues.
Comme d'autres femmes ukrainiennes, elle a laissé son mari derrière qui n'a pas le droit de quitter le pays en attente d'être enrôlé (ou non) dans l'armée.
«J’ai tellement peur pour lui», me dit-elle en remerciant de l'avoir questionnée et conclu dans une voix presque éteinte ajoutant «No war please, peace.»
Après six nuits sans dormir ou à ne dormir que d'une oreille, nous avions les yeux rougis par l'émotion. Peut-être même un peu plus que rougis...
Une travailleuse humanitaire norvégienne qui m'a croisé en sortant de la tente des réfugiés m'a lancé «So ? Do you still have a heart ? [Alors, vous avez toujours un cœur?]» avec un clin d'œil.
Nous allons faire le montage de ce reportage dans un lieu assez confortable compte tenu de tous ceux que nous avons traversé jusqu'à présent: l'aéroport de Chisinau.
Il fallait trouver une manière de raconter l'histoire de cette femme sans tomber dans le pathos et c'est plus compliqué à dire qu'à faire.
Nous sommes donc pointés avec Ruxana, notre nouveau fixeur moldave, à l'ancien sanatorium qui accueille les réfugiés. De l’aveu même de Ruxana, l'édifice post Soviet a l'air d'un mouroir. Savez-vous ce que perdent en premier les réfugiés, qu'ils soient de guerre ou de catastrophe naturelle encore climatique ? La dignité. Et ce n'est pas cet immeuble qui va leur redonner.
Mais malgré tout, Irmana, 85 ans, canne à la main me regarde avec un ÉNORME sourire. Elle ne reverra plus son pays dit-elle, non plus sa ville de Donetsk, mais elle ne reverra plus la guerre non plus. Cet autre réfugié ukraino-arménien, lui, commence à connaître le chemin de l'exil. C'est la deuxième fois qui est déraciné de son pays par la guerre.
Il est 9h dans l'avant-midi du 2 mai, c'est jour de fête nationale en Moldavie. Un gentil monsieur aussi réfugié m'aborde avec un demi-verre de vodka moldave.
Juste à y penser, j'ai la tête qui tourne. Notre fixeur nous jure que pourtant, des collègues canadiens ont fait très bonne figure à ce chapitre. (Coucou Nora Lamontagne ! C'est fou comme le monde est petit hein ?)
Je tire la pipe à Nora, car c'est elle qui m'a déniché ce fixeur d'un professionnalisme exemplaire qui m'a même arrangé un transport de la frontière de Palanca à Chisinau.
Elle travaillera d'ailleurs avec ma collègue de Radio-Canada vers la fin de la semaine pendant que nous allons nous diriger vers Montréal.
Le trajet est déjà commencé d'ailleurs, j'écris ces lignes sur mon &$@%# de téléphone sur le vol de Austria qui nous amène à Vienne.
Nos boss ont eu la grandeur d'âme de nous permettre une soupape de décompression de 24 heures en Autriche.
Jour 68 de l'invasion russe
Nous avons encore été réveillés au milieu de la nuit par une forte explosion. En fait, mes deux collègues dormaient si profondément que j'ai été le seul à l'entendre.
Nous avons, pour la 6e fois revu nos plans de déploiement, car plusieurs de mes collègues journalistes quittaient Odessa. Les missiles, c'est une chose, mais la possibilité d'une attaque terrestre en est une autre.
Car c'est bien ça qui attend Odessa selon les spécialistes et analystes militaires. Ils affirment que l'attaque viendrait de la Transnistrie et d'un débarquement venant de la mer Noire.
La Transnistrie, est un état indépendant autoproclamé depuis la chute de l'URSS et reste fidèle à la Russie. Elle n'est d'ailleurs reconnue que par trois entités seulement et pas celles qui ont la meilleure tradition politique, disons-le.
Nous allons d'ailleurs franchir sa pointe sud près de sa capitale Tiraspol près d'où 1500 soldats russes sont stationnés. On y a rapporté cette semaine, l'attaque d'un dépôt de munitions.
Nous nous sommes arrêtés aussi à Zapoteka juste avant de faire nos adieux à notre fixeur, c'est l'endroit où un pont ferroviaire a été bombardé pour empêcher le lien terrestre entre l'Ukraine et la Roumanie de fournir des armes aux troupes de Volodymyr Zelensky. Deux heures de route pour se faire dire qu'on ne pouvait, ni filmer le pont, ni en parler, ni y faire allusion, n'y dévoiler sa position géographique.
Comme il a été frappé encore 24 heures exactement après notre départ, j'ose croire que ce n'est pas TVA Nouvelles qui aurait fourni de l'information stratégique aux généraux russes... C'est l'excès de zèle qui guide toutes les décisions de l'armée ukrainienne avec les médias accrédités.
C'est donc là que j'ai sorti la baguette magique du reporter en couverture à l'étranger: le fixeur.
Celui-là qui nous a conduits partout où nous voulions, traduit toutes nos entrevues, avait l'envie folle de discuter de son pays et de partager les aspirations qu'il avait pour lui.
C'est donc avec joie que nous l'avons interviewé. En fait, il venait aussi de nous sauver les fesses, car nous n'avions aucune histoire pour le bulletin du soir. Ah oui.... parfois, sous certains régimes, il y a des fixeurs qui ne peuvent pas s'exprimer publiquement et nous respectons toujours cette décision.
On s'attache énormément aux interprètes, aux chauffeurs et aux traducteurs en voyage.
Ils deviennent des membres de notre équipe et nous traversons de grands moments de stress, de joie et de déception avec eux. Ne vous demandez pas pourquoi lors de la reprise de Kaboul par les talibans afghans, tous les journalistes insistaient pour faire sortir leur fixeur du pays. Ils prennent des risques pour nous et nous leurs devons loyauté.
D'ailleurs, c'est le moment de faire nos adieux à Markiian. Le jeune étudiant en sciences politiques à l'université de Kyiv a été excellent. Nous lui avons même obtenu une accréditation de presse, donné une veste pare-balles et un casque de protection.
Nous franchissions la douane de la Moldavie comme nous sommes entrés en Ukraine. À pied. Sérieusement, ça nous aurait pris une remorque.
Encore une fois, c'est un bien petit malheur dans un océan de misère. On comprendra pourquoi au jour 69.
Nous allons dormir à Chisinau, la capitale du pays. Le cameraman Yani Masse a trouvé son bonheur dans des choses simples. Comme celui d'avoir atteint un statut «diamant» dans une chaîne hôtelière où nous irons nous reposer.
Justement, quand nous sommes arrivés à Chisinau, un attaché de l'ambassade américaine qui nous demande d'où nous venions. Quand nous avons répondu Odessa, le fan des Bills de Buffalo (il avait d'ailleurs, la casquette, le manteau et les bas aux couleurs de l'équipe) a rétorqué immédiatement «Well you have some balls kid».
Encore là, tout est une question de perspective. Je lui fais remarquer que certains de mes collègues d'Associated Press sont pris dans un abri anti bombe de Kharkiv depuis deux semaines. «Some have bigger balls sir.»
JOUR 66 de l'invasion russe
Odessa, Ukraine.
La menace d'une attaque russe sur la ville d'Odessa est toujours présente. Un couvre-feu à partir de 22h entrera en vigueur pour la ville d'Odessa dès le 1er mai, et ce, pour les 4 jours suivants. Trois fortes explosions ont été entendues dans le ciel d'Odessa. L'une d'elles a frappé l'aéroport commercial de la ville et a endommagé l'une des pistes. La défense ukrainienne a confirmé que l'aéroport était désormais inutilisable.
JOUR 65 de l'invasion russe
En route pour Odessa, Ukraine
Après être tombés au lit comme des pierres, nous nous sommes rendus à la gare d’autobus de Kyïv. Nous nous sommes fait conduire sur un trajet de six heures à travers les plaines d’Ukraine.
Des champs à perte de vue dont le vert tranche avec le ciel bleu. Le deuxième pays d’Europe compte 413 000 km carrés de terres cultivables et depuis son indépendance en 1991, l’Ukraine est devenue un des plus grands pays producteurs de produits agricoles au monde. C’est pour cette raison qu’on l’appelle le grenier de l’Europe et c’est grâce à la mer Noire que le pays peut exporter le fruit de ses terres. D’ailleurs, c’est ce front de mer que la Russie voudrait bien arracher aux Ukrainiens en prenant Odessa.
Après avoir franchi (encore) des dizaines de point de contrôle et après qu’un militaire m’ait fait sortir de l’autobus pour valider mes cartes de presse, nous sentons que la situation devient plus tendue vers Odessa. Et l’armée russe faisait encore une erreur de calcul? Et si les civils de l’autobus devenaient les prochaines victimes innocentes. Et si, et si, et si....
Chronique Crime et Société avec Félix Séguin, journaliste au Bureau d’enquête de Québecor.
Jour 64 de l'invaision russe (suite)
Kyïv, Ukraine
Peu après 20h jeudi soir, nous avions fini d’empaqueter toutes nos brimbales après avoir pris soin de me trouver une nouvelle valise que la compagnie aérienne LOT avait perdue (voir jour 62). Je veux sincèrement les remercier d’ailleurs de m’avoir fourni le nécessaire à mon hygiène bucco-dentaire. Oui, c’est de l’ironie. Le summum de l’ironie même. Regardez la photo suivante.
Donc, un peu passé 20h nous franchissions la porte de la chambre d’hôtel quand nous entendons deux bruits sourds, comme un tonnerre qui déchirent le ciel de Kyïv.
Les russes viennent de lancer deux roquettes, hypersonique selon les experts, sur un bâtiment qui abritait des unités militaires ukrainiennes, mais ils ont manqué leur cible. Elles se sont plutôt abattues sur un immeuble résidentiel.
Nous avons accouru sur place avec gilets pare-balles et casques balistiques. Pour avoir senti à quelques reprises les odeurs post-explosions, on s’en souvient toujours et nous avons été projetés encore une fois dans une scène de désespoir en direct. Des citoyens, qu’aucune alarme n’a prévenus de l’attaque, qui marchaient comme des robots dans leur ville bombardée pour la première fois depuis plus de deux semaines. On dirait que certains portent le poids de leur vie quotidienne lourde fatalité empreinte de tristesse et d’incrédulité.
Nous étions en direct sur LCN pour couvrir l’événement et parfois les mots me manquaient, ou manquaient de justesse peut-être pour décrire cette scène qui allait finalement coûter la vie à une collègue.
Les bilans préliminaires faisaient état de 10 blessés, mais nous avons appris 12 heures plus tard que l’attaque avait fait une victime. La journaliste de Radio Svoboda, Vera Girich a été retrouvé dans les décombres de son appartement.
Arrivés à l’hôtel, les journalistes occidentaux qui revenaient de l’attaque étaient toujours sous l’effet d’une poussée d’adrénaline repoussée à coups de verres de scotch.
Jour 64 de l'invation russe
Kyïv, Ukraine
Une bonne connaissance du Service de police de la Ville de Montréal m’appelle. «Eille Félix! Pourquoi tu ne m’as pas appelée? Tu sais que j’ai de bons contacts en Ukraine!»
Écoutez Félix Séguin à l’émission de Richard Martineau tous les jours en balado ou en direct à 8h45 via l’app QUB et le site qub.ca :
Honnêtement, j’avais complètement oublié que d’avoir couvert pendant tant d’années et encore à ce jour d’innombrables affaires policières pouvait me sortir du pétrin un peu partout sur la planète. En 15 minutes cette personne (elle se reconnaîtra) m’avait organisé une visite, de nuit avec les policiers de Kyïv en patrouille dans la capitale.
Cet exercice n’allait pas s’avérer futile. C’est l’agent Melnichenko Sergiy qui est responsable de nous escorter. Il est deux heures dans la nuit de jeudi à vendredi et les rues de Kyïv prennent une allure extrêmement sinistre.
Imaginez-vous une ville de trois millions d’habitants aux immeubles éventrés par les explosions que l’on parcoure à pied dans un silence presque absolu. Un silence inquiétant perturbé par quelques véhicules qui défie le couvre-feu en vigueur depuis 22h.
Ce sont d’ailleurs ces automobilistes qui se verront contrôlés par les forces de l’ordre ukrainiennes. Ce n’est pas tant que le respect du couvre-feu qui intéresse les agents, mais plutôt la véritable identité de ceux qui sont derrière le volant. Car Kyïv en guerre est aussi un nid d’espions russes disent les policiers.
C’est là que notre aventure nocturne se change en roman de John le Carré. Il y a deux semaines, ils ont intercepté une ambulance et son chauffeur qui portaient les vêtements des ambulanciers de la capitale. Suspicieux, ils ont arrêté l’homme qui s’est avéré être un agent du GRU, les services de renseignements militaires de la Russie. Du moins, c’est ce qu’ils affirment. Ils allèguent que son travail était d’aller placer des balises GPS dans les lieux stratégiquement importants à bombarder pour l’armée russe. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que nos appels aux services de presse du Kremlin sont restés lettre morte.
Nous voici revenus à l’hôtel avec de bonnes images et une histoire pertinente à raconter. L’offre de cette gentille connaissance du SPVM est tombée vraiment à point, car, nous devons prendre une bonne partie de la journée de vendredi continuer à planifier notre arrivée à Odessa.
C’est avant de quitter l’hôtel que nous avons salué chaleureusement le concierge de l’immeuble qui a rendu notre séjour plus facile.
Il a travaillé tous les jours depuis le début du conflit à l’hôtel Opera. Il y dort, il y mange et il n’en sort jamais. Et nous venons de comprendre pourquoi.
Sa maison est complètement détruite par les bombardements. Sa femme et ses deux filles sont allées se réfugier en Autriche. Nous lui avons proposé de l’aider. Il a décliné l’invitation en nous remerciant pour notre «attitude positive». J’ignore si nous étions «positifs»pendant notre séjour ici, mais je sais maintenant qu’en dessous de la définition dans le dictionnaire, on trouvera son nom: Zatas.
Jour 63 de l’invasion russe
Irpin, Ukraine
Kyïv, Ukraine
La nuit de sommeil a fait du bien. En comptant toutes les heures dormies depuis notre départ de Montréal dimanche matin, nous arrivons au compte de... 8 heures. Les mauvaises surprises attendent toujours au détour. Notre chauffeur qui devait nous prendre à 9h mercredi matin est finalement arrivé à midi. C’est une perte de trois heures de tournage qui est venu mettre à cran notre petit groupe. Il suffit de s’arrêter une minute à penser aux souffrances des victimes ukrainiennes de la guerre pour relativiser la situation.
Parlant de relativiser... notre trajet vers la banlieue de Irpin s’effectue en contournant des mines prêtes à être utilisées si l’armée russe revenait tenter de prendre la capitale. C’est d’ailleurs loin d’être exclu par les citoyens rencontrés. Du moins, ils s’y préparent toujours. Des tireurs (pas si bien) embusqués prennent position sur des immeubles soupçonnés d’abriter des «traitres à la nation», déserteurs de l’armée de Vladimir Poutine.
Irpin est un champ de ruine, comme Boutcha, comme Hoztomel, comme d’autres villages du Donbass complètement rasés. Sauf qu’ici les attaques ont commencé le 27 février et se sont terminées le 28 mars dernier. C’est ici qu’a été tué le journaliste américain Brent Renaud d’ailleurs. Un mois de pilonnage et ses conséquences. Il ne reste presque plus personne pour en témoigner, car on les a évacuées. «Des morts, partout, les mots ne sont pas assez fort pour décrire ce que j'ai vu», décrit Alexander Stubrachenko.
Les attaques n’ont pas laissé que des morts et des blessés, elles ont laissé des gens qui vivent non pas seulement dans la pauvreté, mais dans l'indigence depuis des semaines. Alexander est l’un de ceux-là. Il vit dans son logement sans eau, sans électricité et avec à peine de quoi manger. «Dieu les jugera», dit-il avec la seule photo qui est restée sur une vieille table de chevet. Celle de la Sainte Vierge.
Le retour à Kyïv a pris encore trop de temps à travers trop de points de contrôles militaires. Il est maintenant temps de retourner à la planche à dessin pour esquisser les contours de la prochaine étape de notre affectation: Odessa près de la mer noire, au sud de l’Ukraine. Nous avons donc dû faire l’impasse sur l’invitation des soldats de la garde territoriale ukrainienne à partager des longes de porc fumées au barbecue qui seront remplacées par des holopchis à la chambre de l’hôtel.
Jour 62 de l’invasion russe
De Lviv à Kyïv en Ukraine
C’est le train de nuit qui nous conduira de Lviv à Kyïv. Un trajet de neuf heures. Le train est bondé et nous avions réservé des couchettes pour y être plus à l’aise et recharger les batteries, les nôtres et celles de nos équipements.
Le train reste un moyen de transport relativement sécuritaire du fait que les forces russes ne les ont pas encore attaqués. Les gares l’ont été cependant.
Alors que nous débarquons à l’hôtel Opera du centre de Kyïv, on y retrouve des équipements familiers déposés par d’autres médias du monde entier. Lors de l’obtention de ma carte de presse de l’armée ukrainienne, j’étais le 5439e journaliste à y être accrédité.
Les hôtels réputés sont des bases opérationnelles essentielles aux journalistes (lire le bouquin War Hotels de Kenneth Morrison). Ils ont l’avantage d’être bien gardés et de posséder une connexion internet stable.
Après une trentaine de points de contrôles militaires, nous arrivons à Borodyanka, une ville située à une heure au nord de la capitale ou 200 civils ont été abattus lors de frappes russes. Là aussi, l’Ukraine évoque des crimes de guerre. Des 12 000 habitants de l’endroit, il n’en reste plus que 2000.
Les immeubles ont été éventrés par les bombardements. Anatoli Nikolayanko, propriétaire d’une petite épicerie nous fait visiter ce qu’il en reste: rien. «Avant j’étais prorusse, mais maintenant, je peux plus, dit-il. J’ai vu mourir mes amis», confie l’homme qui nous promet que lorsque sa ville sera reconstruite. Il nous invitera pour avoir une bonne discussion ensemble... sur le hockey et sur son idole, Wayne Grezky.
Notre retour à Kyïv s’effectue entre des points de contrôle et de vieux obus russes datant de la guerre froide et qui n’ont pas encore explosé. Le couvre-feu est en vigueur à 19 heures. Nous finirons nos montages à l’hôtel.
Jour 61 de l’invasion russe
Medyka, Pologne
Lviv, Ukraine
C'est à Medyka qu’une partie de ce qui est en passe de venir le plus grand flux migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale s’observe. «S’observait devrais-je dire», précise James, un jeune homme dans la mi-vingtaine qui s’est déplacé à la frontière pour aider avec ce qu’il pouvait. On remarque que ce qu’il peut, c’est bien peu... Les quelques canettes de Coca-Cola, les gaufres sucrées et quelques brosses à dents sont les items les plus polaires auprès des déplacés.
«Il y avait, au début (de l’invasion russe) jusqu’à 35 000 réfugiés qui passait ici chaque jours», raconte l’américain. «Aujourd’hui, il y en a beaucoup moins. On sent une certaine fatigue chez les humanitaires et les donateurs.» Sur les 400 mètres que forment le sentier menant au poste douanier Ukrainien, ce sont principalement des organisations religieuses qui jettent les bases de l’aide directe. «Le soutien le plus apprécié, c’est une paire de bras bien vaillante pour aider ceux qui trainent leurs valises depuis les zones de bombardement à souffler un peu.»
«Le soutien le plus apprécié, c’est une paire de bras bien vaillante»
Comme cette femme qui, pour des raisons de dignité, préfère ne pas dévoiler son identité. Elle vient de fuir Kharkiv, la deuxième ville du pays pilonnée quotidiennement par l’armée russe depuis le changement de stratégie militaire au Donbass. «J’ai laissé ma famille derrière, je dois penser à sauver ma peau», laisse-t-elle tomber les larmes aux yeux.
De l’avis des travailleurs des organismes de bienfaisance, les ukrainiens sur les nouveaux fronts de guerre sont maintenant déplacés à l’intérieur du pays plutôt qu’à l’extérieur des frontières. Selon le haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies, ça demeure le flux migratoire le plus élevé en Europe depuis la deuxième grande guerre mondiale.
C’est en grimaçant de fatigue que nous aussi, empruntons le chemin qui nous mènera aux douaniers ukrainiens. Le trépied, la caméra, les transmetteurs, les valises, les ordinateurs... nous sommes restés pris dans la porte grillagée donnant accès au bureau des douanes, devant l’œil amusé, bien sûr, de ceux-ci.
C’est donc ici que nous rencontrons Markiian, un jeune ukrainien qui travaillera avec notre équipe comme «fixer». Les fixer sont indispensables à la réalisation des reportages des milliers de journalistes étrangers toujours en Ukraine. Ils nous aident à trouver des angles pertinents à nos histoires, il nous y conduise, ils connaissent la culture, traduise la langue du pays et surtout, nous évite souvent des situations dangereuses.
Le premier service que nous demandons à Markiian, c’est nous conduire au Grand Hôtel de Lviv pour aller récupérer de nouvelles vestes balistiques. Car, oui, la compagnie aérienne a réussi à égarer mes bagages qui contenaient tout mon équipement de sécurité. À l’échelle des problèmes du peuple ukrainien, c’est trois fois rien, mais à l’échelle des enjeux sécuritaires pour la couverture journalistique en pays de conflit, c’est la catastrophe. Impossible de travailler sans casques et vestes pare-balles. C’est donc le caméraman Yani Massé qui, en s’adressant à son ami Marc d’Amours (Merci Marc !) du réseau anglophone canadien CTV, a réussi à nous trouver le numéro d’un britannique qui avait des vestes à vendre à Lviv.... 1000 Euros.
Lviv la grande ville ukrainienne située la plus à l’est du pays. Ses 720 000 habitants essaient de mener une vie normale. Les places centrales recommencent à être fréquentées et les restaurants, même s’ils doivent arrêter de servir de l’alcool à 20 heures, aussi. Les alertes sonores de la défense aérienne des forces ukrainiennes retentissent. «On a appris à dormir quand même», raconte Markiian. Pourtant, aujourd’hui même, un tir aérien russe est venu endommager un chemin ferroviaire névralgique à 50 kilomètres de Lviv. Lviv vit une normalité de façade. Quand on y pense, il n’y a rien de bien normal ici.
Jour 60 de l’invasion russe
Newark, États-Unis
Il y a parfois des jours de chance lors d’une couverture journalistique. Plutôt que de prendre une série interminable de vols vers notre destination finale, le vol 18 de la compagnie Lot nous conduira directement de l’aérogare de Newark dans le New Jersey à Rzeszow, en Pologne.
De là, il n’y a plus qu’une heure de route à faire pour se rendre au poste-frontière de Medyka. Ces huit heures de vol, nous assurons d’être moins fourbus à notre arrivée que si nous avions transité par d’autres aéroports européens. Sur le Boeing 787-800, nous anticipons voir des brigades entières de travailleurs humanitaires qui se rendent à la frontière ukrainienne. Il y en avait finalement peu. Il faut dire qu’une forme de «fatigue» s’installe dans l’œil du public selon Jonathan Art de l’organisme American Jewish joint distribution comitee. «Après 60 jours de guerre, c’est difficile de sensibiliser encore plus nos contributeurs que la guerre n’est pas terminée», affirme ce New-Yorkais en route, comme nous, pour la frontière polono-ukrainienne avec un groupe de quatre femmes de confession juive.