«Tu ne peux pas juste avoir du plaisir», prévient Jacques Lemaire
Louis-André Larivière
En cet étonnant début de saison des Canadiens de Montréal, les experts et analystes scrutent plusieurs points à la loupe. Parmi eux, possiblement aucun n’a autant stimulé les tribunes téléphoniques et alimenté les débats que le cas de Juraj Slafkovsky.
Le premier choix au total au dernier encan de la LNH est devenu jeudi dernier le plus jeune joueur slovaque à enfiler son premier but dans le circuit Bettman. En revanche, il évolue sur le quatrième trio et doit faire ses classes avec un temps de glace, voire un role limité à cinq contre cinq.
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Le collègue et sympathique animateur de l’émission La Dose Jean-Philippe Bertrand a récemment comparé l’utilisation de Slafkovsky à celle de Pierre-Marc Bouchard avec le Wild du Minnesota. C’était il y a 20 ans et l’entraîneur-chef se nommait Jacques Lemaire.
Le membre du Temple de la renommée ne se souvient pas et saurait encore moins deviner quel temps de glace il octroyait à la recrue québécoise en 2002. Vérification faite, le produit des Saguenéens de Chicoutimi a joué 12 min 12s à son premier match. Sa moyenne cette saison-là, légèrement supérieure : 13 :16.
Comme Bouchard et Gaborik
Avant qu’une mystérieuse blessure au haut du corps le tienne à l’écart du match de samedi, Slafkovsky se classait au dernier rang de l’effectif avec un temps de jeu moyen de 11 minutes 26s. Est-ce surprenant? La réponse est non.
«Premièrement, chaque individu est différent. Il est différent selon ce que le jeune apporte à l’équipe et de sa maturité, a souligné Lemaire lors d’un généreux entretien téléphonique avec le TVASports.ca, au cours du week-end. De comment il se comporte sur la patinoire, comment il veut jouer et apprend. Chaque gars est différent.»
Le défi de l’entraîneur dans le développement? Développer le poulain sans brimer son estime de soi.
«C’est évident que tu dois considérer contre qui tu l’envoies sur la patinoire et comment il va réagir. Tu ne veux pas lui enlever sa confiance, mais tu ne veux pas que l’équipe s’essouffle non plus.
«Quand tu regardes Pierre-Marc, il était de petit gabarit, puis dans certaines situations, c’était plus difficile que d’autres pour lui de jouer. Le travail de l’entraîneur, c’est de lui faire passer au travers et lui donner de l’expérience... sans que le club en souffre.»
Lemaire recule un peu plus loin dans le temps. Il remonte à l’époque où il portait l’uniforme du Tricolore et qu’un jeune Almatois s’amenait comme verte recrue, en 1974 (NDLR : 10 ans avant que Pierre-Marc Bouchard naisse).
«Si t’es travaillant, (ça joue en ta faveur). Mario Tremblay était gars fougueux. Il en mangeait du hockey. Il mangeait les bandes aussi, plaisante-t-il. À 18 ans, tout ce qu’un gars veut, c’est de la glace et des minutes. C’est ça qui va faire qu’il s’améliore.»
«Tant qu’il ne fait pas souffrir l’équipe avec son travail. Ceux-là vont peut-être prendre un peu plus de temps à maturer, ce sont des styles différents.»
Le dilemme européen
Lemaire a aussi vécu les balbutiements d’un Slovaque au potentiel monstre en 2000, lorsque Marian Gaborik a fait le grand saut dans la LNH avec le Wild, quelques mois après que le club en ait fait la troisième sélection au total au repêchage.
Il décèle plusieurs similitudes avec la situation de Slafkovsky.
«Gaborik est arrivé à 18 ans aussi. Lui, c’était un gars que du caractère, qui était prêt à jouer. Il avait une faiblesse, son jeu en défensive. Certains jeunes sont habitués à se concentrer seulement sur l’offensive. C’est encore pire aujourd’hui que dans notre temps.
«Tu pouvais en laisser passer un peu à l’époque. Aujourd’hui, tu ne peux pas. Il faut que le jeune soit capable de jouer des deux côtés de la patinoire. Gaborik, il avait beaucoup de choses à améliorer», admet-il tout en justifiant pourquoi il lui faisait une place importante dans la formation.
«Il nous offrait de l’attaque, donc je lui donnais de la glace tellement il nourrissait l’offensive.»
À l’inverse, une recrue qui se dote de moins d’habiletés offensives naturelles représente un risque. Lemaire explique :
«Si le joueur marque deux buts après 30 matchs et qu’il supposé être un bon joueur, c’est difficile de faire payer l’équipe un moment donné pour l’améliorer. Lorsque l’équipe va bien, tu peux lui en donner un peu plus.
«Si le gars a 10 buts en 30 matchs pour un gars de première année, c’est différent. Un gros potentiel offensif, là ça vaut la peine de lui en donner un plus et ne pas être une béquille en défense.»
Le défi de Martin St-Louis
En ce sens, l’usage que fera Martin St-Louis de Slafkovsky évoluera selon ce que l’équipe peut en retirer. Plus la saison avance, plus le joueur progresse, plus son idée sera faite.
«Ce que t’essaies de faire, c’est trouver des moments idéaux sur la patinoire. Gaborik jouait sur tous les avantages et il restait plus de la moitié du temps sur la glace. S’il restait plus d’une minute, il était capable, tandis que d’autres l’étaient moins.
«Des matchs où l’équipe mène et que les choses vont bien, tu peux encore lui ajouter d’autre temps de glace. Faut que tu le gères. Tu travailles avec ça. C’est difficile pour un entraîneur, car il veut gagner et améliorer son équipe et le joueur.
«Son travail, c’est d’améliorer les individus. Comme je le dis tout le temps, il faut que tu les améliores, mais pas aux dépens de l’équipe. Tout dépend de ce qu’il te donne. C’est moins pire s’il est bon défensivement.»
St-Louis ne veut pas que de développer ses jeunes prodiges. Il veut aussi instaurer une culture et que l’équipe apprenne à gagner collectivement. «Amène ta "game" à LA "game"», a-t-il récemment déclaré en point de presse. Dans le cas d’un jeune, la patience est la vertu et le silence est d’or.
«Parfois, le temps de glace viendra conséquemment des tournures des matchs, prévient Lemaire. Certains soirs, si l’équipe adverse a moins de marqueurs que tu dois surveiller, c’est évident qu’il aura plus de temps de glace. Par contre, si tu joues contre la ligne de (Patrice) Bergeron, il faut que tu fasses attention...»
La perception du CH à travers la LNH
Il reste que les fidèles de la Sainte-Flanelle semblent résignés à accepter que l’équipe soit au cœur d’une reconstruction somme toute prometteuse. Comme leur ville aux mille chantiers, le club alimente son pipeline vers l’avenir.
Cela dit, comment les autres organisations perçoivent-elles le travail de la nouvelle gouvernance sous Jeff Gorton et Kent Hughes?
«Le Canadien a fait du gros progrès et les choses vont très bien pour lui, estime Lemaire. Les joueurs travaillent en équipe. Ils ont l’air d’avoir du plaisir à jouer ensemble. Moi, j’ai toujours cru que si les joueurs ont du plaisir à aller à l’entraînement, ils vont donner le meilleur d’eux-mêmes.
«C’est-ce que je vois actuellement chez le Canadien. C'est sûr qu’il va y avoir des moments difficiles, mais ils sont sur la bonne voie. Par contre, une chose, c’est qu’il faut que tu gagnes quand même. Tu ne peux pas juste avoir du plaisir.»
L’avantage, aux yeux de Lemaire, c’est la feuille de route de l’entraîneur-chef. St-Louis a connu une brillante carrière et il a su traverser une route parsemée d’écueils pour faire sa place dans la LNH. Les jeunes peuvent aussi tirer d’importantes leçons de son parcours.
«Si tu ne gagnes pas, tu n’auras jamais l'expérience pour savoir ce qu’il faut pour gagner. Si tu n’as jamais fait partie d'une équipe gagnante, que tu n’as jamais participé comme entraîneur ou adjoint et vu les comment les joueurs se comportent, tu ne peux pas savoir.
«Ce n’est pas quelque chose que t’apprends à l’école! Ça prend du vécu. Si tu joues au maximum, le découragement s’empare de toi. C’est plus difficile quand t’as la défaite en tête tout le temps.»
Caufield : «incroyable!»
Pour ce qui est du découragement, Lemaire croit que Slafkovsky doit continuer à croire en ses moyens et se faire confiance.
«Moi je trouve qu’il est sur la bonne voie. Les jeunes semblent travailler tout le temps. C’est un gars qui a de grands espoirs, qui a un chemin imprégné devant lui. Dans sa tête, c’est là qu’il veut aller. Il y arrivera un jour.»
Enfin, Lemaire se dit impressionné par Cole Caufield, qui soulève la foule montréalaise à chacune de ses sorties au Centre Bell.
«Caufield, c’est un "sniper". C’est incroyable! Il surprend beaucoup de gardiens avec son lancer. Il le décoche très rapidement et ça surprend les gardiens. Il semble trouver l’ouverture chaque fois qu’il lance!»