Trump lance son réseau social
Luc Laliberté
On discute beaucoup du nouveau réseau social annoncé par Donald Trump dans la soirée de mercredi. Outre le nom «Truth», la vérité, et la pompe habituelle, je me suis sérieusement intéressé à l’initiative du 45e président.
On devrait dans un premier temps s’interroger sur le sérieux du projet. Depuis qu’on l’a privé de Twitter et de Facebook, Donald Trump est en manque d’attention. S’il multiplie les rassemblements partisans dont il est si friand, la portée de ses opérations et de ses déclarations est plus limitée qu’avant.
Après l’échec de son blogue et les longs délais qui ont précédé son annonce de mercredi, on s’attendait à quelque chose de plus étoffé et de mieux ficelé. Ayant d’abord tenté de s’associer à d’autres plateformes, Trump s’est résolu à plonger seul dans l’aventure. Si vous êtes friand de détails, vous serez déçu. Attendrez-vous le lancement officiel en novembre pour en apprendre plus?
En attendant quelque chose de plus substantiel pour établir la crédibilité du projet, deux choses piquent ma curiosité. Tout d’abord, la question de la liberté d’expression. Qu’on aime Trump ou pas, Twitter et Facebook ont joué gros en écartant le président américain. Si on devait procéder à un examen scrupuleux des affirmations discutables de tous les individus qui s’expriment sur les réseaux sociaux, on en trouverait sans doute plusieurs qui écrivent des choses comparables à ce qu’on reproche à Trump, voire pires.
L’autre question qui m’intéresse est celle des appuis réels dont dispose l’ancien président. Il va de soi qu’il est encore une force politique incontournable. On peut même avancer qu’il dirige beaucoup d’élus républicains à partir de Mar-a-Lago. Être une force politique ne fait cependant pas de vous un candidat à la présidence capable de l’emporter en 2024. Vrai qu’il a obtenu plus de 70 millions de votes en 2020, mais il a perdu parce que Biden a franchi le cap des 80 millions.
En ce qui a trait à la liberté d’expression, je suis de ceux qui craignent le contrôle des réseaux sociaux parce qu’ils jouent sur tous les tableaux. Il est vrai que ce sont des entreprises privées et qu’à ce titre elles peuvent imposer leurs propres règles, mais elles exercent une telle influence sur la sphère politique qu’il devient difficile de tracer la ligne. Quand Twitter relaie des messages des talibans mais qu’on bloque Trump, il y a quelque chose qui cloche et il est bien légitime de douter.
J’ai bien hâte de voir comment l’équipe de Donald Trump gérera cette liberté d’expression qu’il prétend défendre avec autant d’acharnement. Même si les informations dont nous disposons sont éparses, nous savons déjà qu’on interdira sur la plateforme les propos qui dénigreraient le site ou qui en terniraient l’image. Disons que, pour la liberté d’expression, on regardera ailleurs. À tout le moins, ça ne semble guère mieux que ce qu’il reproche à Facebook et Twitter.
Si la plateforme voit vraiment le jour, je me demande si elle n’aura pas un effet contraire à celui qu'espère Donald Trump. Je ne doute pas que ses partisans – sa fameuse base indéfectible – adhèrent au site, attendant impatiemment les directives du messie, mais il faudra plus que ça.
En passant par Facebook ou Twitter, Trump rejoignait un auditoire bien plus vaste. Comme les médias sont eux aussi présents sur ces plateformes, ils relayaient souvent les déclarations les plus controversées pour nourrir les bulletins de nouvelles, mais aussi les innombrables émissions d’opinion de tous les réseaux.
Si les indécis ou les opposants de Donald Trump ne rejoignent pas sa plateforme, le 45e président en serait alors réduit à la gestion d’une chambre d’écho. S’il peut rentabiliser financièrement l’opération, il échouerait à gagner le terrain nécessaire pour s’imposer en 2024.
Voilà! Ce n'est pas mon sujet de prédilection et je préférerais que Donald Trump reste loin de la vie politique, mais il sera là pour un bon moment encore. Le succès ou l’échec de Truth pourrait bien être un indicateur parmi d’autres de la durée de sa présence.