Des femmes ukrainiennes visées par des réseaux de trafic humain
Gabriel Ouimet
Derrière des offres faisant miroiter une vie meilleure aux réfugiées ukrainiennes qui fuient la guerre se cachent des réseaux criminels de trafic humain prêts à tout pour les attirer dans leurs filets.
Neuf présumés trafiquants d’êtres humains, neuf victimes potentielles et près de 42 plateformes suspectes ont été identifiés, fin mai, dans le cadre d'une vaste opération policière en ligne regroupant des enquêteurs de 14 pays. C'est ce qu'a annoncé, la semaine dernière, Europol, une agence européenne de police qui facilite l’échange de renseignements entre les corps de police nationaux.
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Les enquêtes se sont concentrées sur des publications en ligne proposant une aide aux réfugiés pour le transport, le logement et le travail. Les sites de rencontres et de recrutement ont été surveillés eux aussi, en plus de plateformes proposant des services sexuels.
De l’esclavagisme moderne qui vise surtout les femmes et les enfants
Le trafic humain, aussi appelé «traite de personnes», c’est une sorte d’esclavagisme moderne. Ça implique habituellement de déplacer, de recruter, de loger ou encore d’enlever des gens, la plupart du temps des femmes et des enfants, dans le but d’exercer un contrôle sur eux à des fins sexuelles ou à des fins de travail forcé.
Les enquêteurs ont d’ailleurs découvert un nombre important d'offres d'emploi suspectes ciblant des femmes ukrainiennes, dont certaines étaient décrites comme des «séances de photos», en plus de découvrir des tentatives d'attirer les victimes par des offres d'un «avenir radieux» mais qui les poussaient en fait à l'exploitation sexuelle. Des offres d'hébergement suspectes visant spécifiquement les Ukrainiennes ont elles aussi été identifiées.
Bien que des groupes criminalisés en font leur spécialité, le trafic humain peut être l’œuvre d’un individu sans affiliation.
Il en résulte que les pays limitrophes de l’Ukraine sont des terrains de chasse tout désignés pour ces prédateurs, car 90% des réfugiés du conflit actuel sont des femmes et des enfants voyageant souvent seuls, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.
La guerre et la fuite, une combinaison idéale pour les trafiquants
Aussi révoltant que cela puisse paraître, il faut savoir que les violences sexuelles font partie de la guerre.
«En temps de guerre, en plus des violences auxquelles font face les hommes, les femmes subissent aussi des violences sexuelles, des violences génitales, en plus d’être des proies idéales pour les trafiquants d’organisation de trafic humain», explique Marie Lamensch, membre associée à l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la Chaire Raoul-Dandurand et coordonnatrice de projet à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia.
Et le conflit ukrainien ne fait pas exception.
«La plupart des femmes et des enfants qui fuient les combats partent à pied. Parfois, elles essaient de trouver une voiture en chemin, ce qui est très difficile, ou elles font de l’autostop, ce qui les met à risque aussi, parce qu’on sait qu’il y a des hommes qui font exprès d’aller sur les routes pour voir si elles ont besoin d’aide et qui vont en profiter pour commettre des violences sexuelles», affirme-t-elle.
Tout cela en plus de devoir se méfier des soldats russes.
Le 22 mars dernier, la procureure générale d'Ukraine, Iryna Venediktova, a fait état d'un cas précis qui s'est déroulé dans la région de Kyïv. « Les procureurs de la région ont établi qu'un soldat russe a tué un homme désarmé et violé sa femme à plusieurs reprises», a-t-elle dénoncé dans un communiqué sur Facebook.
Les violences sexuelles étant considérées comme un crime de guerre, cette accusation s'ajoutera aux nombreuses autres allégations de violences sexuelles dans le conflit en cour. La procureure a ajouté qu'elles serviraient à garnir le dossier ouvert pour crimes de guerre contre les dirigeants russes.
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Une fois qu'ils sont arrivés à la frontière ou dans des centres d’accueil de réfugiés, on pourrait croire que les femmes et les enfants sont enfin en sécurité. Ce n’est pourtant pas le cas, souligne Marie Lamensch.
«C’est le contraire: ce sont des endroits dangereux, parce que les trafiquants frappent au moment où les gens sont soulagés d’avoir quitté le pays et sentent qu’ils peuvent baisser leur garde», soutient-elle.
«Les choses sont moins visibles, en raison de la quantité de monde qui s’y trouve. On va y trouver plus de violence. Surtout que la plupart du temps, les femmes sont traumatisées et ne vont pas nécessairement dénoncer ce qu’elles subissent.»
Comme l’enquête d’Europol le souligne, les Ukrainiennes doivent ensuite constamment être sur leurs gardes dans leur pays d'accueil, notamment lorsqu’elles cherchent un emploi ou un logement.
Le trafic humain dans le monde
Si le trafic humain est exacerbé par la guerre, il existe quand même en temps de paix, et ce, partout dans le monde.
«C’est un problème qui existe partout, mais l’Europe de l’Est, où se trouve l’Ukraine, est une région où les trafiquants sont particulièrement actifs. L’Asie du Sud-Est est aussi une région très touchée», indique-t-elle.
La traite de personnes peut d’ailleurs être très payante: il s’agit de la deuxième source de revenus des organisations criminelles dans le monde, après le trafic de drogue. En 2014, le trafic humain a généré 150 milliards $ dans le monde, selon l’Organisation internationale du Travail (OIT).
Parmi les 40 millions de victimes en 2017, 10 millions étaient des enfants, estime l’organisme.