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Culture

Tirant sa révérence en décembre, Lise Dion trouve difficile de dire adieu

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Michèle Lemieux

2023-10-17T12:00:00Z
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Un producteur a déjà dit de Lise Dion qu’elle n’aurait pas de succès en humour parce qu’elle était trop vieille, trop grosse et pas drôle. Pourtant, au moment où elle s’apprête à tirer sa révérence après sa dernière tournée de spectacles intitulée Chu rendue là, l’humoriste vient de recevoir une plaque soulignant 300 000 billets vendus, et ce, pour une quatrième fois depuis le début de sa carrière! La femme, quant à elle, est devenue un véritable modèle pour plusieurs, qui ont choisi de repousser leurs limites, quelles qu’elles soient.

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Lise, on t’a remis récemment une plaque pour souligner les 300 000 billets vendus pour ton spectacle Chu rendue là. Est-ce une belle fierté pour toi?

Oui, et c’est la quatrième fois que ça se produit. Ce sont mes coupes Stanley. Je n’en reviens pas de la grande fidélité du public! On m’aurait dit ça il y a 30 ans, je n’y aurais pas cru. Je serai en tournée jusqu’en décembre, mais je commence à avoir de la difficulté à dire adieu au public. Je ferme des salles où je suis souvent allée. C’est toujours un peu triste. Même si je suis sereine avec ma décision, que j’ai mûrement réfléchie, elle a été difficile à prendre. 

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Bruno Petrozza
Bruno Petrozza

Qu’est-ce qui a motivé cette décision?

J’ai beaucoup réfléchi durant la pandémie. J’ai calculé la suite des choses: si je prenais un temps d’arrêt en janvier, après mon show, je mettrais un an à en préparer un autre. Ça me mènerait à 70 ans. Et si je faisais ensuite trois ans de tournée, ça me mènerait à 73 ans. Ma crainte, ça serait d’annuler ou de reporter des spectacles parce que ma santé ne me permettrait pas de respecter mes engagements. Alors que j’achève ma tournée, mon corps est épuisé. Il faudrait que je sois opérée aux genoux. Entre-temps, je reçois des injections. J’ai deux disques écrasés à la colonne vertébrale. Il y a deux ans, j’ai eu deux hernies au dos. Le médecin m’a recommandé de prendre garde de ne pas tomber. 

Car ça ne serait pas sans conséquence?

Effectivement. Changer constamment de lit dans les différents hôtels, ça commence à être difficile pour moi. Imagine à 73 ans! Une autre raison qui a pesé dans la balance: je travaille depuis l’âge de 13 ans. Déjà à cet âge, je travaillais dans une manufacture. J’en suis à une étape où je veux profiter de la vie. Je disais récemment à mon amie Shirley Théroux que nous faisons du slalom à travers le cancer. Plein d’amis autour de nous sont malades. Je voudrais profiter de la vie pendant que je suis en santé.

Bruno Petrozza
Bruno Petrozza

Revenons aux origines de cette fabuleuse carrière. Le public t’avait-il adoptée rapidement?

Oui. J’ai tout de suite senti son amour avec le numéro sur le Dunkin’ Donuts en 1991, mais j’avais commencé en 1987. En 1997, j’ai présenté mon premier spectacle et le public m’a tout de suite adoptée.

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Tu étais une mère de famille monoparentale qui travaillait pour faire vivre ses enfants, n’est-ce pas?

Oui, mais c’était rempli de naïveté. Pendant longtemps, à cause de mes enfants, j’ai cherché un emploi plus sérieux. Je voulais un emploi plus stable, ne pas attendre après un contrat à la pige. Heureusement, je n’en ai pas trouvé! (rires) Je ne suis pas allée à l’école longtemps, car j’ai tout de suite commencé à travailler. Des emplois sans secondaire 5, il n’y en avait pas beaucoup...

Entre le travail, l’humour et les enfants, ton assiette était pleine, comme on dit!

Oui, et je ne recommencerais pas! Si j’avais 30 ans aujourd’hui, je ne pense pas que je me lancerais dans le show-business. Je retournerais à l’école pour avoir un emploi plus sérieux. 

Dans quel domaine aurais-tu voulu étudier?

J’aurais probablement étudié en communications ou fait des études pour prendre soin des enfants, mais je ne sais pas si j’aurais eu la force d’accompagner des enfants maganés. Mon rêve, c’était d’être reporter, mais personne ne m’aurait prise au sérieux. Même si j’avais annoncé un drame, je pense qu’on aurait ri. J’ai aimé les années où j’étais serveuse. C’est ce qui m’a permis de développer un lien plein d’humour avec les gens, de leur faire oublier leurs problèmes. 

Des gens qui ont cru en toi ont-ils joué un rôle dans ta vie?

Oui, tous ceux qui m’ont rassurée sur mon talent, sur mon humour. Yvon Deschamps est un mentor. C’était un trésor de conseils et d’expérience! J’ai mis du temps avant de dire que j’étais humoriste. J’ai longtemps eu le syndrome de l’imposteur. Des gens m’ont convaincue que j’étais à la bonne place, que j’étais sur mon X. Un jour, j’ai présenté mon numéro du tabouret au festival Juste pour rire. Dans les coulisses, Dominique Michel m’a dit: «C’est beau, Lise: arrête de stresser. Tu peux dire que tu fais partie de la gang...» Gilles Latulippe a aussi été un mentor. Aux Démons du midi, quand je faisais les sketchs, il me communiquait son savoir. Jean-Pierre Coallier, à Ad Lib, m’a aussi tellement aidée. Je me trouvais pourrie, et il m’a dit: «Lise, arrête de dire ça! Si tu es ici, c’est parce qu’on te trouve drôle. Si tu penses que tu es pourrie, reste chez vous...» Alors, j’ai arrêté de le dire. 

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Photo : inconnu / TVA
Photo : inconnu / TVA

As-tu aussi rencontré des gens qui t’ont découragée de faire cette carrière?

Oui. Un producteur avait dit que Lise Dion, ça n’allait jamais marcher parce que j’étais trop vieille, trop grosse et pas drôle... (rires) Je l’ai rencontré à nouveau des années plus tard et il m’avait dit que je devais avoir le poids de mon argent. Misogyne et jaloux du succès d’une femme! 

Est-ce que ç’a été un moteur pour toi?

Tellement! Quelqu’un m’a déjà dit: «Tu vas finir comme clown et tu vas vendre des ballons...» Je me souviens d’avoir répliqué que, l’année suivante, j’allais faire le festival Juste pour rire... et je l’ai fait! J’ignorais encore que j’allais y être, mais ç’a été une motivation pour moi. 

Ton histoire est un vrai success story...

L’amour du public est tellement grand que je ne peux pas le mesurer. Je pense que je ressemble au public, je raconte des choses qui le rejoignent. Il n’y a aucune prétention dans mon humour. Je n’ai jamais essayé de me montrer plus intelligente que je le suis. Dans la salle, je vois des femmes se taper sur l’estomac l’air de dire: «Moi aussi, ça m’est arrivé!» Les gens se reconnaissent. 

Photo : Bruno Petrozza / TVA Pu
Photo : Bruno Petrozza / TVA Pu

Une fois la tournée terminée, que comptes-tu faire de ton temps? 

Je vais continuer à faire des apparitions dans des festivals, mais je ne ferai plus de tournée. J’ai des projets, mais j’attends des nouvelles. Une chose est certaine: je ne m’ennuierai pas. J’ai l’intention d’aller à l’École de cinéma. Je veux étudier dans d’autres domaines. Pour la biographie de Shirley Théroux, j’ai fait de la recherche et j’ai adoré mon expérience! Je serais pas pire là-dedans... J’ai toujours appris par moi-même. Pendant la pandémie, j’ai appris à écrire un scénario de film. J’ai adoré ça! C’est d’ailleurs la pandémie qui m’a convaincue que je pourrais prendre ma retraite. Je n’ai pas du tout peur de m’ennuyer. Une chose est certaine, je ne m’ennuierai pas de la solitude des chambres d’hôtel. Parfois, ma fille m’accompagne à titre de directrice de tournée et nous dormons ensemble à l’hôtel. C’est un grand bonheur. Trois shows par semaine, ça commence à être beaucoup; ça prend de l’énergie. 

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Comment vont tes enfants, justement?

Ils vont très bien. Mon fils a 42 ans, ma fille en a 44. À l’hôpital où elle travaille, Claudie commence un nouveau projet pour la santé mentale. Hugo fait des sites Web et il a beaucoup de talent. Avec la quarantaine, il a appris à profiter de la vie, à faire ce qu’il aime. Nous sommes vraiment dans une belle période.

Tu as célébré tes 68 ans récemment. Comment te positionnes-tu face au vieillissement?

J’haïs ça! Par contre, j’aime vieillir dans ma tête. J’ai moins peur. Je me trouve vraiment chanceuse d’être en santé. La seule peur que j’aie face au vieillissement, c’est la possibilité de perdre mes capacités. Pour moi, c’est perdre sa liberté. J’ai peur d’être obligée d’arrêter un jour parce que mon corps ne suivra plus. Si je suis éventuellement confrontée à une grande invalidité, il sera temps que je parte. Je ne pense pas que je pourrais composer avec ça. J’ai compris que je dois en profiter avant que ça se produise. Vieillir comme Janette (Bertrand), Béatrice (Picard) ou Shirley (Théroux), c’est un bonheur! Janine (Sutto) était aussi incroyable! 

Bruno Petrozza
Bruno Petrozza

As-tu réalisé tous tes rêves dans ce métier?

Tellement! J’ai eu de grands moments, entre autres quand j’ai reçu trois Félix pour mon premier spectacle, et la série Le petit monde de Laura Cadieux. C’est quand même extraordinaire que mes quatre spectacles aient eu autant de succès. Quelqu’un me demandait l’autre jour si je m’assoyais parfois pour regarder mes trophées, pour réaliser tout ce que j’ai fait. Je ne l’ai jamais fait, mais à la retraite, je compte le faire. C’est comme si je ne réalisais pas tout ce qui m’est arrivé. 

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Te sens-tu reconnaissante pour ce parcours, d’un emploi à la manufacture à une carrière d’humoriste exceptionnelle?

Oui, évidemment. Je me rappelle qu’à la manufacture, je testais des néons. Une femme au bout du convoyeur faisait cet emploi depuis 25 ans. Je suis ensuite allée travailler dans une manufacture de couvre-lits et de rideaux pendant huit ans, sur une machine à coudre. J’étais encore mariée à l’époque, et j’ai arrêté à la fin de ma première grossesse. Avec le recul, je me rends compte que c’est après mon premier accouchement que j’ai commencé à avoir confiance en moi. Je suis devenue une autre personne. Je me suis changée en lionne, alors que j’avais toujours été un mouton. Je me suis dit que je pouvais faire plein de choses: conduire une auto, entre autres. Si j’avais réussi à faire un être humain en pleine santé, j’étais aussi capable de foncer. Ça m’a réveillée. On dirait qu’avant, je dormais au gaz. Plus tard, l’autre gros choc, ç’a été la ménopause. Ça, ça a changé mon caractère!

Photo : Bruno Petrozza / TVA Pu
Photo : Bruno Petrozza / TVA Pu

Pourquoi cette période a-t-elle eu cet effet sur toi?

Parce que j’étais du genre à me boutonner jusqu’au cou et à m’assommer sur les poteaux parce que je marchais la tête penchée. Je ne voulais pas que les gens me remarquent à cause de mon poids. À la ménopause, tout a changé. J’ai arrêté de m’en faire avec ça, parce que ce n’est pas le poids
qui nous empêche de faire ce qu’on a envie de faire. Des femmes minces me regardent parfois avec une pointe de jugement dans les yeux, et quand elles me reconnaissent, elles deviennent tendres envers moi. On dirait que les gens oublient complètement mon poids. Je deviens Lise Dion, comme si j’étais un toutou. Un jour, une femme m’a dit, l’air frustré: «Mon Dieu! Ç’a donc l’air le fun d’être toutoune!» (rires) Eh bien mangez, madame, mangez... (rires)

À ton insu, tu es devenue un modèle pour plein de femmes et tu pulvérises tous les préjugés: 68 ans, ronde, femme en humour. Ça inspire à ne pas s’imposer de limites.

Tant mieux si j’ai été inspirante... C’est ma fierté! 

Lise Dion termine sa tournée Chu rendue là le 22 décembre. Pour connaître ses dernières dates de spectacle: sixiemesens.ca.

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