Territoires nouvellement annexés en Ukraine: Poutine se prépare-t-il à utiliser l’arme nucléaire?
Gabriel Ouimet
L’annexion de quatre régions en Ukraine, alors que l’armée russe fait face à des difficultés, soulève des questions: comment la Russie peut-elle annexer des territoires qu’elle ne contrôle pas? Les annexions pourraient-elles aider l’armée russe à reprendre le dessus? Vladimir Poutine se prépare-t-il à utiliser des armes non conventionnelles?
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Pour nous permettre d’y voir plus clair, Pierre Jolicoeur, vice-recteur associé à la recherche au Collège militaire royal du Canada et spécialiste de la Russie, répond à nos questions.
Qu’est-ce qui se passe avec les annexions?
Entre le 23 et le 27 septembre dernier, Moscou a organisé des référendums dans quatre régions occupées dans le nord-est et le sud du pays – Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia. L’objectif: que ces régions se séparent de l’Ukraine et qu’elles rejoignent la Russie.
Les habitants de ces régions auraient voté en faveur de l’initiative russe avec une écrasante majorité: entre 87% et 99% selon les régions, d'après les autorités prorusses en place.
À la lumière des résultats − qui sont contestés par la communauté internationale −, les députés russes ont voté ce lundi en faveur des annexions, quelques jours après une cérémonie lors de laquelle Vladimir Poutine a annoncé que les habitants des zones visées sont des «citoyens de la Russie pour toujours».
La Russie a toutefois avoué qu’elle ne savait même pas exactement où se trouvent les frontières des territoires annexés, souligne Pierre Jolicoeur.
«La Russie contrôlait les régions qui forment le Donbass (Donetsk et Louhansk) avant l’invasion de février, mais elle les contrôle de moins en moins. Pour les régions de Kherson et Zaporijjia, qu’elles ne contrôlent que partiellement, il semble y avoir de l’improvisation des autorités russes, qui tardent à clarifier leurs revendications. On ne sait pas si l’annexion touche l’ensemble de ces territoires, ou seulement la partie contrôlée par l’armée russe», explique-t-il.
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Est-ce possible d’annexer des territoires que l’on ne contrôle pas complètement?
Ce n’est pas la première fois que la Russie annexe des territoires qu’elle ne contrôle pas entièrement. Elle l’avait fait avec la Crimée, en 2014. La situation est toutefois bien différente aujourd’hui, souligne Pierre Jolicoeur.
«À l’époque, la Russie avait déjà une présence militaire forte en Crimée. Elle contrôlait déjà une bonne partie du territoire, et la communauté internationale, sans reconnaître l’annexion, la tolérait plus. Il n’y avait cependant pas officiellement de guerre en Ukraine, on ne prêtait pas les mêmes intentions à la Russie qu’en ce moment et Kyïv ne disposait pas des mêmes ressources non plus. Alors qu’aujourd’hui, les livraisons d’armes occidentales pour aider l’Ukraine se poursuivent», explique-t-il.
Pour la Russie, il serait donc très compliqué d’ériger des barrières physiques afin d’officialiser l’acquisition des territoires qu’elle réclame, «puisque les troupes ukrainiennes sont aux portes et pourraient détruire les installations au fur et à mesure».
Quel est l’objectif de ces annexions?
Les référendums et les annexions, comme la mobilisation récente de 300 000 réservistes, font partie d’un ensemble de décisions visant à «arrêter l’hémorragie» au sein de l’armée russe, qui a souvent mordu la poussière au cours du dernier mois.
«L’Ukraine fait maintenant des gains très clairs sur deux fronts: dans l’est, en direction du Donbass, mais aussi au sud, dans la région de Kherson, qui sont deux régions sous occupation russe visées par les annexions. Ils essaient donc de renforcer leurs acquis en annonçant l’appartenance de ces régions à la Russie et en menaçant de répercussion terrible si jamais elles étaient la cible d’attaques», note Pierre Jolicoeur.
Vladimir Poutine utilise aussi ces annexions dans un objectif de propagande afin de convaincre les Russes des bienfaits de la guerre et pour acheter du temps alors que des mouvements de contestation commencent à prendre de l’ampleur en Russie, poursuit l’expert.
«Il y a, plus à droite, les nationalistes radicaux, qui eux voudraient mobiliser plus largement en Russie et bombarder plus intensément en utilisant les grosses armes pour finir le travail. À l’opposé, il y a ceux qui estiment que cette guerre doit cesser et ceux qui tentent de fuir le pays pour ne pas être mobilisés.»
Vladimir Poutine joue-t-il ses dernières cartes?
Référendums, annexions, mobilisation: le président russe risque gros, estime le spécialiste de la Russie.
«Plutôt que d’essayer de profiter de certaines opportunités pour ouvrir les négociations, il ferme complètement la porte. Maintenant, il a réellement investi tout son capital politique. Ça passe ou ça casse. Il met sa tête sur le billot. Si jamais c’est un échec et que les défaites militaires se succèdent malgré tout en Ukraine, il risque d’être renversé ou d’être fortement contesté à l’interne», soutient M. Jolicoeur.
Avant d’en arriver là, Poutine pourrait se servir des annexions des derniers jours pour réagir à l’attaque de territoires russes et ainsi jouer sa carte ultime, soutient Pierre Jolicoeur.
«Vladimir Poutine est dans un dilemme et est un peu pris à son propre piège, à faire de grandes déclarations sans agir. Les annexions pourraient lui donner le prétexte d’utiliser des armes de plus grande puissance, voire de mettre à exécution sa menace d’utiliser l’arme nucléaire limitée. Pour l’instant, ça ne s’est toujours pas concrétisé. Il faudra voir la réaction des autorités russes à ce qui se passe sur le terrain dans les prochains jours et les prochains mois», conclut-il.