Quartier Saint-Michel à Montréal: les coachs refusent le climat de peur lié aux fusillades
Daphnée Hacker-B.
Les caméras ont peut-être quitté les rues du quartier Saint-Michel, mais pas le climat de peur qui perdure deux semaines après le meurtre en pleine rue d’un adolescent. Plusieurs coachs, qui jouent un rôle primordial - et souvent sous-estimé - auprès des adolescents, les incitent à poursuivre leurs activités parascolaires même la nuit venue. Nous sommes allés à leur rencontre.
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Il est 18h, un mardi soir. L’écho des joueurs qui font dribler les ballons de basket résonne dans le gymnase de «Louis-Jo». C’est comme ça que les gens du quartier appellent l’école secondaire Louis-Joseph-Papineau, située à l’angle des rues Louvain et de la 7e Avenue.
Manix Auriantal, une star internationale du basket, passe ses journées ici, à entraîner et à encadrer les jeunes joueurs. «C’est sûr que les fusillades ça nous inquiète, mais moi je suis là pour les rassurer, ainsi que leurs parents. Ici ils sont en sécurité et ils peuvent se concentrer sur ce qui est important pour eux : les études et le sport», explique le basketteur.
«Le climat de peur ça peut créer de la division et de l’isolement, nous on mise sur les rassemblements pour rester unis et actifs», fait valoir Manix Auriantal en regardant les jeunes s’échauffer. Il ajoute qu’une fois les entraînements et matchs terminés, les entraîneurs s’assurent que les jeunes rentrent à la maison en groupe ou accompagnés.
Près de lui se tient le joueur Camile Contreras, 17 ans, qui critique la couverture médiatique qui a suivi la mort du jeune Thomas Trudel. «Tout ce qui était dit était négatif, et ça donnait l’impression que Saint-Michel c’est vraiment plus dangereux qu’ailleurs. Il y a plus de policiers dans les rues et je crois pas que c’est la solution pour changer les choses», dit le jeune de secondaire 5.
Son coéquipier Kenan Dikamba, 14 ans, acquiesce en hochant la tête : «Moi j’aimerais qu’on investisse plus dans les coachs que dans la police. Ils sont comme nos deuxièmes parents, ils nous aident dans toutes les sphères de notre vie, ils font toute la différence».
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La sous-valorisation des entraîneurs
Tenir les jeunes occupés les soirs de semaine, les fins de semaine et tout au long de l’été, c’est ça qui fait toute la différence pour les garder loin de la criminalité, avance Faustin Philostin. Cet ex-athlète de soccer agit comme intervenant et coordonnateur des sports à l’école Louis-Joseph-Papineau depuis presque 10 ans.
À son arrivée, il n’y avait que 3 équipes parascolaires. Aujourd’hui, l’école compte 23 équipes parascolaires et plusieurs programmes de sport-étude. «Les résultats sont là, assure Faustin, les taux de fréquentation et le taux réussite scolaire ont monté en flèche». Ce qui est dommage, poursuit-il, c’est qu’une grande partie des intervenants impliqués dans ces succès sont peu rémunérés.
Pour le sport parascolaire, les coachs reçoivent des cachets variant entre 1000 à 2000$ par équipe, pour l’entièreté de l’année scolaire, ont confirmé plusieurs sources. La sollicitation des entraîneurs est intense : plusieurs pratiques par semaine, sans compter les matchs et tournois des weekends et les activités sociales avec les jeunes tout au long de l’année.
«On ne comptera jamais nos heures, car on fait ce travail avec notre cœur et pour le bien des jeunes, mais c’est triste de sentir que le système ne valorise pas ce qu’on fait», se désole Milder Dorvil, entraîneur de basket en parascolaire depuis plus de 25 ans.
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Un travail «pas assez glamour»
En plus d’être travailleur de rue pour l’organisme Pact de rue, Donald Maisonneuve coache plusieurs équipes sportives à l’école Joseph-François-Perrault, l’établissement que fréquentait le jeune Thomas Trudel.
«Je suis chanceux d’avoir une formation d’intervenant, je sais comment accompagner les jeunes. Mais ce ne sont malheureusement pas tous les coachs qui ont ces outils, et pourtant tout le monde en bénéficierait», souligne-t-il.
Sa collègue Judith Paradis, aussi travailleuse de rue, insiste sur l’importance des ligues sportives. Avec son organisme Pact de rue, elle a créé il y a 10 ans une ligue de basketball interquartiers, où huit équipes formées de jeunes et de vétérans jouent dans six quartiers différents. «C’est un lieu de trêve où tout le monde accepte de laisser les armes loin du terrain, ça a des impacts très positifs», raconte-elle, précisant que tout a été suspendu depuis le début de la pandémie mais qu’une reprise des activités est souhaitée pour l’été 2022.
Toutes ces initiatives sont porteuses, mais elles ne sont pas assez «glamour», «pas assez payantes politiquement», dénonce Paul Evra, directeur général du Centre Lasallien à Saint-Michel. Il dirige depuis 2018 ce centre qui offre une variété d’activités socioculturelles aux jeunes, de l’initiation à la robotique, au cirque et aux métiers d’urgence, en passant par des sorties en nature et de l’aide aux devoirs.
«C’est vraiment plate à dire, mais les activités positives entraînent une transformation tranquille du quartier, et c’est plus difficile à voir rapidement et concrètement, donc forcément ça fait moins la Une des journaux et c’est moins mis de l’avant dans les programmes politiques», analyse Paul Evra.
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