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Souffrir en faisant l’amour: la détresse sexuelle derrière le trouble de la douleur génito-pelvienne

Illustration Karine Leblanc
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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2023-09-27T19:10:14Z
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Faire l’amour ou s’insérer une coupe menstruelle ne devrait pas être une action qui génère de la douleur. Pourtant, jusqu’à 20% des femmes souffriraient lorsqu’elles pratiquent une pénétration. Si de plus en plus de personnes réussissent à obtenir un diagnostic de trouble de la douleur génito-pelvienne, l’accès aux soins demeure difficile. 

«La douleur se manifeste comme une brûlure intense et vive. La pénétration est possible, contrairement aux personnes qui vivent du vaginisme, mais elle est extrêmement douloureuse», raconte Julia, 29 ans.  

«C’est intolérable après quelques secondes et j’ai un désir automatique de me retirer et repousser mon partenaire.» 

Julia souffre de vestibulodynie. Dans son cas, la douleur est causée par une pression sur le vestibule vulvaire à l’entrée du vagin, notamment lors d’une relation sexuelle avec pénétration.  

«J’ai commencé à avoir des douleurs avec mon premier partenaire. Elles ne se sont pas manifestées tout de suite, mais après plusieurs mois, voire une bonne année. Ce n’est pas systématique, mais plutôt fréquent. Ça s’est répété avec tous mes partenaires par la suite», explique la jeune femme.  

Cette condition, qui touche environ 12% des femmes, a été élimée de la dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux en 2013, le DSM-5, pour être classée comme un symptôme du trouble de la douleur génito-pelvienne. 

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Ce symptôme inclut également le vaginisme, qui se caractérise par une contraction involontaire des muscles du plancher pelvien, et la dyspareunie, soit les douleurs ressenties pendant et après les rapports sexuels.  

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Détresse sexuelle 

«On ne comprend pas bien les causes des douleurs génito-pelviennes, mais on sait que l’aspect phobique est très présent», souligne la professeure de psychologie de l’Université de Montréal et directrice du Laboratoire d’étude de la santé sexuelle, Sophie Bergeron.  

«Des personnes peuvent développer une phobie de la pénétration et entretiennent des pensées irréalistes associées à cette peur comme le fait que leur vagin est trop petit pour qu’un pénis y entre», illustre-t-elle.  

«Ça peut débuter après un trauma, comme une agression sexuelle, après un examen gynécologue ou l’insertion d’un tampon, à la suite d’une blessure ou d’une infection. Ça peut être une cause médicale ou ça peut provenir de l’éducation fondamentale avec l’idée que le sexe est mal», précise quant à elle la physiothérapeute experte en rééducation périnéale et pelvienne la Clinique Femina, Emmanuelle Dupont. 

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Si les causes du trouble sont très variables, les conséquences sont généralement les mêmes: de la détresse sexuelle, de la peur et de la douleur. 

«C’est très anxiogène et ça enlève une certaine spontanéité à ma vie sexuelle, admet Julia. J’ai l’impression d’être cette femme avec une condition spéciale, de ne pas être normale, que ma sexualité est difficile ou différente.» 

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«Je me sens souvent inadéquate parce que la pénétration est parfois impossible, poursuit la jeune femme. J’ai eu des partenaires qui n’y voyaient aucun inconvénient [...] mais d’autres chez qui j’ai senti de la déception pour laquelle je me sentais responsable. Avec chaque nouveau partenaire, je ressens un stress de performance.» 

''La physiothérapie est souvent la première ligne de traitement dans les dyspareunies, mais l'accompagnement psychosexuel est essentiel à l'obtention des meilleurs résultats. La physiothérapie est une avenue qui s'avère souvent plus accessible étant donné le manque d'accès à de l'aide en psychologie ou en sexologie'' selon la physiothérapeute Emmanuelle Dupont.

«Un problème de femmes» 

Jusqu’à 20% des femmes souffriront un jour ou l’autre de douleurs chroniques lors de la pénétration, qu’elle soit sexuelle ou non, selon les études.  

Peu de recherches sont pourtant faites sur le sujet. Et ces statistiques demeurent conservatrices, estime Emmanuelle Dupont. 

«C’est toujours biaisé dans les études, parce que ce n’est pas tout le monde qui ose en parler, précise-t-elle. Plusieurs femmes pensent aussi que c’est normal d’avoir des douleurs lors de relations sexuelles, que c’est normal que ça soit toujours un peu serré au début. Mais ça ne l’est pas.» 

L’explication? Le plaisir féminin a aussi longtemps été écarté de la sexualité, selon elle. 

«Si une personne sur cinq avec pénis ressentait de la douleur lors de relations sexuelles, on en parlerait plus. Comme pour à peu près tout ce qui tourne autour de la santé des femmes», regrette Mme Dupont. 

Un traitement efficace, mais peu accessible  

Les personnes qui vivent avec un trouble de la douleur génito-pelvienne se tiennent généralement loin de ce qui peut les faire souffrir. Elles évitent les examens gynécologiques, les rapports sexuels avec pénétration et même l’aide qui leur est offerte. 

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«C’est le propre d’une phobie: on évite à tout prix d’en parler», résume la professeure Sophie Bergeron, qui précise cependant que les traitements disponibles sont «très» efficaces.  

«Avec la thérapie cognitivo-comportementale par un psychologue ou une sexologue, le taux de satisfaction des patientes est de 7,9 sur 10 en moyenne, détaille l’experte. C’est vraiment élevé.» 

Mais trouver de l’aide peut s’avérer un processus long et dispendieux. 

«J’avais fait des démarches pour trouver une sexologue [...] mais comme tout service, c’est assez coûteux. Les prix sont très similaires à un tarif de psychologue au privé et mes assurances collectives ne couvrent qu’un montant maximal de 200$», témoigne Julia. 

«En choisissant ma clinique de psychothérapie l’an dernier, j’ai volontairement écrit à celles qui avaient une expertise sur plusieurs thèmes en lien avec la sexualité. Ma psychologue avait mentionné que ça faisait partie de son champ d’expertise, mais finalement, on n’a jamais abordé le sujet.»  

La psychothérapie est souvent la première étape du processus de guérison, selon Emmanuelle Dupont. Mais la physiothérapie est une avenue plus accessible, et encore plus efficace.  

«Avec la rééducation périnéale en physiothérapie, on arrive à un taux de satisfaction moyen de 8,5, confirme la professeure Bergeron. C’est encore plus élevé qu’avec la thérapie cognitivo-comportementale.» 

«On est le premier professionnel que les femmes voient, signale la physiothérapeute Dupont. L’humain recherche traditionnellement une stratégie mécanique pour se soulager de sa douleur. Et elles n’ont pas accès rapidement à de l’aide en psychologie ou en sexologie.»

Cette approche ne se limite pas à rééduquer de manière mécanique, elle permet aussi de déconstruire le problème. 

«On commence l’exposition graduelle au toucher externe: le ventre, les cuisses ou les fessiers afin de relâcher certaines tensions musculaires. On enseigne aussi l’importance de la respiration adéquate et la neurologique de la douleur. Lorsque la patiente se sent à l’aise et en confiance, on effectue un examen vaginal externe ou interne selon les besoins. Puis, lorsqu'elle est prête, on peut utiliser une technique de dilatation vaginale pour qu'elle s’exerce à assouplir son périnée», indique la physiothérapeute.

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