Sobre depuis six mois, Éric Lapointe revient de loin
Patrick Delisle-Crevier
C’est un Éric Lapointe plus mince et en pleine forme qui s’assoit devant moi avec son habituelle bouteille à la main. Il me regarde et me lance fièrement: «C’est une bière sans alcool. Je suis sobre depuis six mois.» Le rockeur revient de loin et il ne s’en cache pas. Lors de notre rencontre, il a abordé ouvertement sa dépression. Il a aussi été question de ses projets, de son nouvel album, Je marche dans la vie, de ses 30 ans de carrière, du début de sa cinquantaine qui lui a filé entre les doigts et de sa nouvelle vie avec ses deux fils, Christophe-Arthur et Édouard, qui sont maintenant des adolescents. Je retrouve donc un homme transformé par les dernières années. Il y a quelque chose de différent chez lui. Et si cette fois était la bonne?
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Éric, tu sembles aller très bien.
Je vais très bien. Les spectacles recommencent sur une base régulière. Moi, je ne vis que pour ça!
Qu’est-ce que ça te fait de voir que le public est au rendez-vous?
Je suis tellement content! Il y a des supplémentaires qui s’ajoutent partout. J’ai toujours eu peur que le public ne vienne plus voir mes spectacles et de jouer devant une salle vide. Ça fait 30 ans que cette peur m’habite constamment. C’est plus fort que moi.
Après les événements des dernières années, ta peur devait être encore plus grande...
Oui, c’est certain. Il y a eu la pandémie, où tout s’est arrêté. Puis, à la suite de l’événement, il y a eu ce que j’appelle «ma pandémie personnelle»... À ce moment-là, je ne savais pas combien de fans j’avais perdus à cause de l’accusation dont je faisais l’objet. Je ne jouais pas assez souvent pour arriver à en avoir une idée. J’en ai inévitablement perdu quelques-uns et je peux très bien le comprendre. Avec toute la médiatisation autour de cette histoire, je sais que, dans les chaumières, j’ai été le sujet de conversations autour de la table. Chacun a droit à son opinion sur cette histoire. Cela dit, j’ai dit tout ce que j’avais à dire là-dessus et j’ai fait et refait mon mea culpa. Je dirais même que mon entrevue télévisée avec Sophie Durocher ressemblait à une thérapie que j’ai faite devant plus de deux millions de personnes. En principe, c’est censé se passer dans un bureau seul avec une thérapeute et non devant des caméras.
Mais une telle mise au point était nécessaire, non?
Oui, c’est pourquoi je me suis prêté au jeu. Te dire que ç’a été l’heure la plus agréable de mon existence serait te mentir. Mais j’ai fait cette mise au point parce que les gens se posaient des questions et voulaient avoir des réponses. Oui, ça a changé certaines choses aussi dans le regard du public. Je pense que je devais faire mon meaculpa publiquement et remettre les pendules à l’heure. Maintenant, je veux regarder en avant. Ma vie va bien, mes enfants vont bien et nous avons une relation incroyable tous les trois. Je me suis aussi lancé dans le sport à 200 000 à l’heure, parce que je suis un excessif dans tout. Je boxe comme je chante. Je vis pour la scène: comme je peux en faire, ça me rend heureux. Tu sais, à un moment donné, j’ai eu peur de ne plus jamais pouvoir chanter.
Est-ce rédempteur pour toi tout ça?
Oui. Et je suis tellement content de pouvoir faire des entrevues pour parler de mon album, Je marche dans ma vie. Je n’avais pas eu la chance de le faire quand il est sorti. C’est l’un de mes meilleurs disques et j’en suis extrêmement fier!
Dans quel état d’esprit étais-tu quand tu as fait cet album?
Il a été fait pendant la pandémie; je n’étais donc pas dans une bonne période. Comme j’ai été privé de la scène, je suis tombé en dépression. Heureusement, j’ai consulté. Mais j’avoue que durant cette période sombre, j’ai bu et mangé mes émotions. J’ai pris du poids comme ça ne se peut pas. Je restais à la maison à ne rien faire et je broyais du noir.
Est-ce l’album de la dépression?
Oui, mais c’est avant tout l’album de la réflexion. J’ai l’impression qu’avec les chansons de ce disque, j’ai fait une rétrospective des relations affectives que j’ai eues au cours de ma vie. Faire ce disque a été aussi une forme de thérapie; je faisais de l’autothérapie en plus de voir ma thérapeuterégulièrement. J’ai beaucoup cheminé dans tout ça... On ne cesse de grandir et on est la somme de nos erreurs. Mais j’apprends à me connaître et à devenir un homme meilleur.
Est-ce que c’était ta première dépression, Éric?
Je ne le sais pas... Des fois, je me dis que j’ai peut-être été en dépression toute ma vie et que je le cachais autant à moi qu’aux autres. Mais je me sentais vraiment seul au monde. Quand je me suis retrouvé seul en pleine pandémie et qu’il y a eu l’événement, ç’a été encore pire. Ce passage m’a permis de faire le tri dans mon entourage: je sais maintenant qui sont mes vrais amis et les autres. Il y a eu aussi une certaine paranoïa qui est arrivée à ce moment-là; je n’osais plus appeler les gens. Quand j’étais à l’épicerie, je m’imaginais que tout le monde me pointait du doigt. Cette étiquette d’homme violent, c’est la dernière étiquette que j’aurais voulu porter.
As-tu l’impression que tu portes encore cette étiquette?
Oui. Et je pense que je vais la porter jusqu’à la fin de mes jours. J’ai un nombre impressionnant de périodes de désintox à mon actif. J’ai même été dans le coma à cause de l’alcool. J’ai vécu une vie d’abus. L’alcool a toujours été le combat de ma vie. Je suis un dépendant affectif et j’ai tendance à fuir beaucoup. Donc, j’ai fait beaucoup de thérapies. J’ai essayé autant comme autant, et ça ne marchait pas, mais j’ai réalisé qu’après chaque thérapie, je faisais quand même un pas en avant. Et là, je ne sais pas si c’est lié à l’événement de 2019 ou au passage de la cinquantaine, mais ma relation avec l’alcool a changé. Lors de mes deux dernières détox, je ne suis pas allé en thérapie. Mes médecins m’ont prescrit un protocole de médicaments et j’avais une infirmière à la maison avec moi. Ça fait maintenant six mois que je n’ai pas avalé une seule goutte d’alcool, et je suis fou comme un balai! Je n’ai rien pris depuis tout ce temps. La dernière fois que j’ai été comme ça, je pense que j’avais 12 ans.
Tu dois vraiment te sentir bien!
Vraiment! Et je me découvre d’une différente façon. J’apprends à vivre avec un autre homme. En ne consommant plus, je suis beaucoup plus casanier, je n’ai plus envie de sortir et je me consacre beaucoup à mes deux fils. Je mène une vie totalement différente et je suis heureux là-dedans.
Ce n’est pas la première fois que tu cesses de boire... Pourquoi cette fois-ci serait-elle la bonne?
Je pense que j’étais rendu là. Bon, je disais ça chaque fois, tu vas me dire. Mais cette fois-ci, il y a quelque chose de différent. Il y a eu l’événement, puis l’embonpoint. Je n’étais plus du tout en santé: mon corps me lâchait, j’avais mal partout et je n’avais plus d’énergie. J’avais atteint le fond du baril. Même ma relation avec mes enfants était devenue difficile. J’avais le moral à terre, et psychologiquement, j’avais besoin de me reprendre en main. Je vieillis... Je suis rendu à un âge où ce n’est plus aussi le fun de faire le party. Et en ce moment, j’ai des projets qui m’amènent aussi à faire une réflexion face à celui que j’ai été. D’ailleurs, le 5 mai, ce sera le 30e anniversaire de mon premier disque, Obsession. Je voulais sortir un album pour souligner cet anniversaire. Je suis donc retourné en studio pour réenregistrer toutes les pièces de l’album dans les mêmes tonalités que je les chantais à l’époque. Je tente de reproduire du mieux que je le peux comment je chantais à 22 ans. Je me replonge donc dans les chansons que j’avais écrites à l’époque. C’est tout un défi! Je réalise que je ne chantais pas les déboires de l’alcool, mais plutôt la fierté d’être alcoolique. Ça m’a fait un choc de voir qu’à l’époque j’étais fier de ma relation avec l’alcool. J’ai quand même du fun à refaire ce disque et à me replonger dans mon adolescence.
Sinon, quel regard poses-tu sur ce kid que tu étais?
Je réalise que la vie est un tourbillon et que ça passe vite. Tu clignes des yeux et tu as ta carte de la FADOC! Mais ç’a été 30 années intenses. C’est tout un accomplissement, tout simplement parce que je ne pensais même pas vivre 30 ans. J’étais certain que je mourrais jeune. Je vais donc célébrer les 30 ans d’Obsession en grand, et je vais même le sortir en version vinyle cet automne. Je vais ensuite débuter une autre tournée pour célébrer ce premier disque. J’ai même deux projets de tournées que je vais mener de front. Je vais changer la pochette de l’album — c’était probablement une des pochettes les plus laides de l’époque.
Pensais-tu avoir une telle carrière?
Non, tout simplement parce que je n’ai jamais vraiment eu de plan de carrière. Surtout, je n’ai jamais vu ça à long terme. J’ai même toujours eu l’impression, entre chaque album et avant chaque spectacle, que j’étais un artiste fini. J’ai toujours eu la peur que le monde m’abandonne et que tout s’arrête. Ce métier est fait d’insécurité, et c’est ça, en même temps, qui le rend aussi intéressant. Et en vieillissant, tu deviens rétro, et le sentiment d’être dépassé est encore plus grand. C’est de pire en pire avec le temps. Tu as ce besoin de constamment te réinventer, car cette crainte d’être complètement dépassé ne te quitte jamais. Ça me fait plaisir de voir des jeunes dans mes spectacles, car ça atténue un peu cette peur. Je ne veux pas prendre ma retraite: je veux chanter jusqu’à la fin.
Éric, tu m’as souvent dit que pour écrire un album, tu devais être dans le malheur ou en peine d’amour. Là, ta vie va bien. Est-ce que ça t’inquiète sur le plan créatif?
Je n’ai aucune idée de ce que je vais faire pour mon prochain disque. Mais je me dis que je vais trouver mon équilibre dans cette nouvelle vie et que l’inspiration va venir.
Est-ce que la bouteille te manque parfois?
Non, même pas. Je prends conscience actuellement de tous les bons moments que j’ai manqués, de toutes les soirées que j’ai gâchées avec l’alcool. Je suis passé aussi à côté de belles histoires d’amour à cause de ma dépendance à la bouteille. J’ai bousillé beaucoup de relations, autant amoureuses qu’amicales. Malgré tout, je ne regrette pas mon parcours. À travers mes albums, j’ai véhiculé un personnage qui n’en était pas un, et là, je me retrouve face à moi-même et j’apprends, un jour à la fois, à vivre avec ça.
Est-ce que tu en veux à la bouteille?
Non, parce que c’est moi qui buvais. Personne ne me forçait à boire, et mon besoin de fuir a toujours été là. J’ai cherché autant comme autant une raison et un sens à ce grand vide, mais je ne trouvais jamais de réponse pour expliquer ce manque d’amour aussi chronique.
Six mois sans alcool, tu dois le sentir dans ton corps...
Oui, beaucoup. Je ne suis plus engourdi par l’alcool. Je me défoule dans le sport, j’ai le cerveau qui roule à pleine vitesse et j’ai une tonne de projets. Sérieusement, je dois avouer que je performe mieux quand je ne suis pas intoxiqué par l’alcool. Dernièrement, je regardais des spectacles où j’avais bu, et je constate que je me trouvais pas mal meilleur que je l’étais en réalité. Parfois, je commençais à boire le matin, en me réveillant; inutile de dire que je n’étais pas en pleine possession de mes moyens quand je montais sur scène. Maintenant, je suis beaucoup plus conscient et en contrôle.
À quoi ressemble ta vie maintenant?
Elle tourne autour de mes deux fils, qui ont maintenant 12 et 13 ans. Ils sont arrivés à un âge où ils ne veulent plus avoir de nounou qui s’occupe d’eux. J’ai donc pris le relais. Tout est arrivé en même temps et c’est tant mieux. Maintenant, je cuisine et je fais le lavage. Je vais les reconduire à l’école le matin et les chercher le soir. Je suis devenu un papa à la maisonet c’est le fun. Je pense que mes fils avaient besoin d’un père; en étant sobre, ça a rendu ça plus facile. Avant, j’étais un père là, mais pas là.
Explique-moi ça...
Avant, j’étais présent, mais je pensais à autre chose au lieu d’être complètement avec eux. J’étais souvent enfermé dans mon studio — et en te disant ça, je réalise que je fuyais peut-être mes enfants dans ma propre maison! Mais tout ça est derrière moi. Maintenant, je cours après mes enfants, et on est heureux ensemble. Nos rapports sont bien différents. On a de belles conversations et on se fait des super bouffes chaque soir. Cette vie de famille me rend heureux.
Quel regard tes fils portent-ils sur la rock star que tu es?
Ils ont réalisé vers l’âge de quatre ans que leur père prenait des photos avec les gens à chaque coin de rue. C’est devenu normal pour eux. J’ai essayé de les intéresser à la musique, mais ça n’a pas marché. Peut-être qu’un jour, ça va changer. Pour l’instant, ils aiment le basketball et les jeux vidéos. Ils ont fait de la boxe avec moi pendant deux ans. Mais à la fête des Pères, l’année dernière, ils m’ont dit que c’était la dernière fois, que c’était mon cadeau de fête, mais qu’après ils accrocheraient leurs gants. J’ai essayé de les intéresser au karaté, au hockey, au ski, mais en vain. Ils ne sont pas trop pire à l’école, mais je chiale sur leurs résultats académiques. Je suis très exigeant: je veux de bons résultats.
Est-ce que tes deux fils voient une différence entre le Éric d’avant et celui de maintenant?
Oui, ils me le disent souvent, et ça me touche. Ils ne m’ont jamais demandé d’arrêter de boire parce qu’ils ne me voyaient pas complètement saoul; je faisais attention quand j’étais avec eux. Par contre, je n’étais peut-être pas tout là... Mais je pense que mes fils m’apprécient plus maintenant et que je suis un bien meilleur père.
Comment va ta mère?
Elle va bien, mais nous avons perdu ma tante Anne; elle est décédée durant le temps des fêtes. Ç’a été un coup dur pour nous tous. Elle avait un cancer depuis des années. Je m’étais préparé à son départ, mais ç’a été un choc malgré tout. Ma tante était un gros morceau dans ma vie, elle était ma deuxième mère. Elle est décédée durant son sommeil. Heureusement, j’ai passé du bon temps avec elle peu de temps avant sa mort. J’ai chanté deux chansons à ses funérailles: Hallelujah et Si Dieu existe. Ma mère va bien quand même. Elle a voulu aller vivre en résidence. Ça m’a fait un choc et ça m’a ramené à mon âge à moi... On va tous arriver là un jour.
Il faut dire que ta cinquantaine a été rock’n’roll jusqu’à maintenant...
Effectivement, ça a mal parti dès mon party d’anniversaire pour souligner mes 50 ans. Mais en même temps, je n’ai pas l’impression d’avoir 50 ans. Je sais que c’est cliché de dire ça, mais la musique me garde jeune. Je me sens comme un kid sur la route qui fait de la musique. La différence maintenant, c’est que nous rentrons tous chez nous après les spectacles au lieu de sortir pour faire la fête.
Tu es célibataire. Est-ce que tu crois encore à l’amour?
C’est une grande question. Je ne le sais pas. J’ai vécu une belle histoire avec Judith Bérard, mais nous nous sommes séparés. Nous sommes en super bons termes. Elle habite présentement à Paris. Je réalise que je ne suis peut-être pas fait pour la vie de couple. Nous nous entendions super bien, elle et moi. Nous avions de bonnes conversations, des passions similaires et tout. Mais je pense que je ne suis pas un gars facile à vivre. Et ce n’est pas de la faute de la bouteille, mais du gars qui tient la bouteille! On dirait que je n’aime pas faire des compromis. Je suis intense et excessif dans tout. Et c’est la même chose en amour. Je ne suis pas le champion du compromis en amour et je pense que je suis rendu trop vieux pour changer. Je suis un vieux garçon qui a ses habitudes et qui fait à sa tête. Mais je garde espoir de rencontrer l’amour qui marche. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mais je suis heureux, ma vie
va bien, je suis en forme, mes enfants vont bien et j’ai des spectacles qui s’en viennent. Je n’en demande pas plus, même s’il y a toujours dans un petit coin de ma tête cette idée de retomber en amour... Qui sait? Peut-être même de fonder une nouvelle famille!
À L’AGENDA
L’album Je marche dans ma vie est disponible sur les différentes plateformes de téléchargement et en magasin. Le vinyle anniversaire de l’album Obsession à nouveau enregistré sera disponible en primeur dès le 20 septembre prochain, lors de la première montréalaise, au Théâtre St-Denis. Éric Lapointe foulera pour la première fois cette mythique scène. Un spectacle en formule acoustique pour souligner son album Entracte, sorti pendant la pandémie, est actuellement en préparation. Pour vous procurer des billets ou pour connaître ses autres dates de spectacles, rendez-vous sur ericlapointe.com.
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