Conflit en Ukraine: est-ce le début d’une troisième guerre mondiale?
Gabriel Ouimet
Bombardements, sirènes d’urgence, arrivée des soldats russes, files montres aux stations d’essence et pertes civiles: l’invasion russe de l’Ukraine sonne la fin du monde tel que le connaissaient les Ukrainiens. Qu’en est-il ailleurs? Assistons-nous au début d’une troisième guerre mondiale?
Pour y voir plus clair, Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand et professeur titulaire de science politique à l’UQAM, répond à nos questions.
NDLR : Entrevue réalisée le mardi 22 février, article mis à jour le dimanche 27 février.
Ce qui s’est passé dans les derniers jours
Évoquant un «génocide contre les russophones» des régions prorusses de l'est de l'Ukraine, Vladimir Poutine a lancé une opération militaire sur l'Ukraine, qui résiste. Et il ne s'est pas limité à frapper dans ces régions: plusieurs villes du pays dont la capitale, Kiev, ont été touchées par les attaques.
Depuis jeudi, c'est clair: les deux pays sont en guerre. La communauté internationale critique sévèrement cette attaque et applique des sanctions envers la Russie. Partout dans le monde, des manifestations en appui à l'Ukraine se tiennent.
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Dimanche, alors que la guerre en était à sa quatrième journée, les deux pays devaient se rencontrer pour des pourparlers.
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Est-ce qu’on assiste au début d’une troisième guerre mondiale?
L'avènement d'une guerre mondiale dépendrait non seulement des prochaines décisions de la Russie, mais aussi de la réponse occidentale à ces décisions. Puisque la Russie est une puissance nucléaire qui a les moyens de ses ambitions, Charles-Philippe David estime qu’il est très peu probable que l’Occident s’engage dans une guerre ouverte contre elle.
Le président américain, Joe Biden, a d’ailleurs été clair: les États-Unis n’interviendront pas militairement malgré l'invasion de l'Ukraine.
Le scénario serait toutefois bien différent si la Russie s’attaquait à des pays membres de l’OTAN. Plusieurs d'entre eux se trouvent à côté de l'Ukraine.
«Il y a une clause de défense mutuelle entre les membres de l’OTAN. C’est un pour tous et tous pour un. Pour que le conflit se repende ou s’envenime, il faudrait que la Russie s’attaque aux frontières de pays comme la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque ou encore les pays baltes. Si un de ces pays était attaqué, ce serait différent», explique le professeur.
Rien n’indique pour l’instant que Moscou a l’intention d’étendre ses opérations ailleurs dans la région.
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«Poutine croit que l’Ukraine lui appartient. Pour lui, il y a une différence entre l’Ukraine et les autres parce qu’elle, ça fait partie de son patrimoine», analyse M. David.
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Quel est l’objectif principal de Vladimir Poutine?
Si l’homme fort du Kremlin répète à tout vent qu’il souhaite freiner l’expansion de l’OTAN et des Occidentaux dans la région, cette volonté n’expliquerait pas tout.
«L’OTAN ne s’est pas élargie à l’Ukraine depuis sa promesse faite en 2008. Si c’était vraiment un problème ou une perspective éminente, ça se saurait, parce que ça fait 14 ans qu’on en parle. Je crois que c’est un faux problème», soutient M. David.
Selon lui, Vladimir Poutine tente plutôt de freiner l’influence de la démocratie ukrainienne sur son pays.
«Ce qui pose particulièrement un problème à Poutine, c’est la dérive démocratique qu’il perçoit en Ukraine. Il voit que c’est dangereux pour lui et pour la Russie. Le fait que ce pays soit beaucoup plus démocratique depuis huit ans, que les chefs d’État y aient été remplacés, que l’on tolère des contestations et des manifestations publiques à Kiev. Tout ça, pour lui, c’est de l’hérésie qui ne pourrait pas se passer à Moscou.»
À quelles conséquences doit-on s’attendre dans le monde?
Le monde retombera dans une logique de guerre froide, croit M. David.
«Pour moi, la minute que des bombardements vont se faire entendre sur Kiev et ailleurs en Ukraine, on peut dire qu’il va y avoir eu un avant et un après. On est un peu de retour dans les dynamiques de la guerre froide, c’est-à-dire que l’avenir passe réellement par les armes et la défense. Quelle que soit l’option que retiendra Poutine dans les prochains jours, nous allons assister à une militarisation accrue des relations internationales.»
À court terme, les conséquences seront évidemment catastrophiques pour le peuple ukrainien, poursuit Charles-Philippe David.
«Il risque d’y avoir une fuite humanitaire sans précédent depuis ce qu’on a vu en Bosnie dans les années 1990. Un mouvement de population énorme, jusqu’à cinq millions de personnes qui iraient trouver refuge dans les pays d’Europe voisins.»
Déjà dimanche, plus de 350 000 personnes avaient fui l'Ukraine, et l'Union européenne estimait un mouvement de population qui pourrait aller jusqu'à sept millions de personnes.
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Quelles seront les conséquences pour le Canada?
Le Canada risque de s’en tenir à «une réprobation morale publique», puisqu’il n’a simplement pas les forces armées ou l’influence pour changer quoi que ce soit dans ce dossier, estime M. David. «On n’a pas les moyens de nos ambitions», insiste-t-il.
Mardi, Justin Trudeau a néanmoins annoncé une «première série» de sanctions financières visant la classe politique russe ainsi que deux banques soutenues par l’État russe, de concert avec plusieurs pays alliés de l’Ukraine. Le Canada enverra également jusqu'à 460 militaires de plus en Lettonie, où se trouve déjà une base militaire canadienne.
L'espace aérien du Canada a aussi été fermé aux avions russes.
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Là où le conflit pourrait se faire le plus ressentir, c’est aux frontières. Étant donné que le Canada compte déjà plus de 1,3 million de citoyens avec des racines ukrainiennes, il risque d’être confronté à un énorme flux migratoire, prévient M. David.
«Il risque d’y avoir des millions de déplacés et le Canada sera assurément une des destinations privilégiées. C’est un des sérieux impacts qui pourraient affecter le pays. On en aurait plein les bras ici si on devait ouvrir rapidement nos portes et nos aéroports à l’Ukraine.»
- Avec les informations de l'AFP