Rumeurs de transaction chez le CH: l'envers du décor
Anthony Martineau
«Il va rapporter un choix de première ronde et un espoir. Il faut l’échanger au plus sacrant!»
Plus souvent qu’autrement, c’est de cette façon que les partisans d’une équipe de la LNH parlent des joueurs de leur club favori impliqués dans les rumeurs de transaction.
Pour l’amateur moyen, le hockey n’est qu’une façon de se divertir et plus il y a d’action, mieux c’est.
Le hic, c’est que les joueurs qui divertissent les fans sont de vraies personnes. De vraies personnes avec des réalités qui leur sont propres.
«En apprenant son échange, Colin White a été obligé de se remplir une valise et de laisser sa femme et ses deux chiens derrière lui parce que sa propriété n’est toujours pas vendue. Il est arrivé dans le vestiaire et il avait encore les yeux rougis. Mais c’est difficile de saisir ce genre de trucs quand tu ne les vis pas de l’intérieur.»
L’exemple confié par Jordan Harris à l’auteur de ces lignes parle de lui-même.
- Écoutez le segment sportif avec Jean-François Baril via QUB :
Harris et trois joueurs du CH qui ont récemment vu leur nom lié à d’autres équipes du circuit Bettman ont accepté, à quelques jours de la date limite des transactions, d’ouvrir les portes de leur intimité, de parler sans tabou.
Les cinq patineurs ont été unanimes: ils veulent rester à Montréal. Mais pourquoi?
La parole à David Savard, Jordan Harris, Mike Matheson et Jake Allen.
David Savard: «tes amis t'écrivent pour savoir si tu t'en vas ailleurs»
Depuis déjà plusieurs mois, David Savard est au centre de nombreuses rumeurs de transaction. Et même s’il voulait en faire abstraction, il ne pourrait tout simplement pas.
«C’est difficile de ne pas y penser. C’est vraiment partout! Tes amis t’écrivent pour savoir si ce qu’ils ont lu est vrai, pour savoir si tu t’en vas réellement ailleurs. On en parle, ma femme et moi. Nous sommes tous les deux sur la même longueur d’onde : on veut rester à Montréal, c’est clair.»
Et les raisons de cette prise de position sont nombreuses. David aborde d’abord l’agréable proximité géographique avec ses parents et ceux de sa conjointe, mais se penche surtout sur les impacts au niveau de ses trois enfants, qui ont 8, 7 et 4 ans.
«Le fait que mes enfants puissent fréquenter l’école francophone est très important pour nous. Quand j’étais à Columbus, ils vivaient dans un monde où presque tout était en anglais. Même à la maison, quand ils jouaient ensemble, ils se parlaient beaucoup en anglais. Ma femme et moi leur parlions en français, mais ils nous répondaient en anglais! Alors de pouvoir continuer à faire vivre le français à travers nos valeurs familiales et de pouvoir aider les enfants à le cultiver, c’est un assurément un gros enjeu pour ma femme et moi. Évidemment, tout ça est plus facile en vivant au Québec.»
Plus les enfants vieillissent, ajoute Savard anecdote à l’appui, plus ils sont conscients de l’importance de leur papa dans la communauté montréalaise.
«Il y a une certaine forme de fierté dans la famille à ce que papa joue pour le Canadien de Montréal. Au début, les enfants ne comprenaient pas trop. Mais maintenant, quand je vais les porter à l’école, les gens viennent me voir pour que je signe des autographes. Souvent, il y en a qui amènent des items du Canadien à l’école pour que je les signe à la fin de la journée, en espérant que je vienne y chercher mes enfants. Le hockey à Montréal, c’est comme nulle part ailleurs. C’est une religion.»
David Savard a souvent mentionné vouloir poursuivre son mandat de «mentor», avec les jeunes arrières de l’équipe. Si certains vétérans avancent parfois vouloir «une chance de gagner ailleurs», Savard, lui, croit que cette opportunité pourrait survenir chez lui, à Montréal. Et pas nécessairement dans 10 ans.
«C’est le rêve de tout joueur de hockey de gagner la coupe, mais rien ne dit que ça ne pourrait pas être ici. On est en train de bâtir quelque chose de solide. Des fois, il ne manque qu’une étincelle, un gros joueur pour se lancer dans une grosse aventure. On ne sait jamais. On a plusieurs jeunes joueurs, plusieurs choix au repêchage.»
«Parfois, les équipes dans notre position progressent rapidement avec une seule action. Je ne sais pas ce qui va se passer avec moi, mais je veux rester ici le plus longtemps possible. J’espère que ma chance de me battre pour une coupe aura lieu à Montréal.»
Lorsqu’on lui demande son interprétation personnelle à quelques jours de la date limite, le vétéran y va de cette réponse.
«Il n'y a pas eu de changement de message de la part de Kent [Hughes]. Je ne pense pas qu'il essaie nécessairement de m'échanger, donc ça augure bien. Mais on ne sait jamais ce qui peut se passer.»
Jordan Harris: «je suis maintenant chez moi, ici»
«On vient de se louer un appartement!»
À 23 ans, Jordan Harris n’a pas les mêmes obligations familiales, ni la même réalité que David Savard.
Mais après avoir passé plusieurs semaines à l’hôtel en début de calendrier 2022-2023, le sympathique jeune homme est maintenant très heureux de sa plus récente décision immobilière.
«Ça change beaucoup de choses d’avoir un chez-soi. Tu te sens vraiment plus à l'aise à l’extérieur de l’aréna et ç’a évidemment des impacts positifs partout.»
Jordan Harris n’est pas Québécois. Il est même très loin de l’être, selon l’échelle des rivalités de la LNH.
Originaire de Boston, dans le Massachusetts, c’est en se rangeant derrière les Bruins que le numéro 54 a grandi. Mais ça ne l’a jamais empêché de suivre à distance ce qui se passait avec le CH.
«J’ai toujours su à quel point ce club était mythique, en fait. Enfant, tu rêves de jouer pour une équipe comme celle des Canadiens.»
Questionné sur l’importance qu’a Montréal pour lui, Harris enchaîne alors avec une déclaration remplie de sagesse et de maturité. Mais c’est loin d’être sa première du genre. Le patineur tient régulièrement des propos dont la qualité et la réflexion sont saisissantes.
«J’adore vivre dans cet univers francophone qu’est Montréal. Je trouve ça fascinant, pour être honnête. Je sais que certains autres joueurs américains diraient probablement des trucs comme: "ah, tout se passe en français à Montréal, c’est difficile. Je n’aime pas ça."
«Moi, je trouve au contraire que ça te force à apprendre, à t’intéresser à autre chose.»
Sans même être relancé par une question, Harris poursuit.
«Et quand tu t’intéresses à ton nouveau milieu, tu découvres des choses. Montréal est une ville merveilleuse. Certains disent que ce n’est pas une ville de sport parce qu’il n’y a pas de baseball, de basketball ou de NFL. C’est complètement faux, si tu veux mon avis.
«Les gens ici sont passionnés à un autre niveau. Mais c’est une passion saine. Je me fais souvent arrêter dans la rue par des partisans et les gens me saluent, prennent de mes nouvelles. Jouer ici en tant que jeune homme, c’est merveilleux. Les gens ne vivent que pour le hockey, ici.»
À la fin de la semaine dernière, Jordan Harris a lancé à celui derrière la rédaction de ce texte qu’il n’avait eu aucune discussion avec Kent Hughes ou Jeff Gorton à propos d’un échange.
Maintenant, il n’est évidemment pas impossible qu’une offre survienne de nulle part d’ici le 8 mars ou qu’Harris soit échangé plus tard cet été. Mais peu importe le nombre de scénarios envisageable, l’ancien étudiant de l’université Northeastern demeure serein.
«J’apprends encore à maîtriser tout ça, mais j’ai appris à essayer de ne réfléchir qu’aux choses sur lesquels j'ai du pouvoir. Je ne peux contrôler ce que Kent et Jeff veulent faire de moi, mais j’ai assurément tout le pouvoir sur la façon dont je gère ma vie d’athlète: mes performances lors des matchs, le temps supplémentaire après les entrainements, mon attitude. Je pense qu’une fois cette mentalité intégrée en toi, tu vas beaucoup mieux mentalement et tu abordes tes journées avec plus d’aplomb.»
Mais il y a une certitude: s’il n’en tenait qu’à lui, Jordan Harris n’irait nulle part.
«Depuis mon arrivée ici, j’ai tellement appris sur la culture montréalaise et sur celle des Canadiens de Montréal. C’est maintenant chez moi, ici. Je veux gagner à Montréal.»
Mike Matheson : une anecdote qui veut tout dire
Mike Matheson est actuellement bien implanté et très heureux dans la grande région métropolitaine. Il y habite avec son épouse Emily Pfalzer, leur fils de 3 ans Hudson et leur chien.
«On a notre petite routine. On marche beaucoup, on va au parc», décrit en souriant le défenseur gaucher.
À travers plusieurs discussions tenues depuis le début de la campagne, Matheson n’a jamais raté une occasion de rappeler à quel point sa famille représentait l’aspect le plus important de sa vie.
Vous devinerez donc qu’étant natif de Pointe-Claire, le numéro 8 est aux anges de pouvoir jouer à Montréal.
«J’ai grandi ici et toute ma famille est ici. Je vois mes parents et mon frère très régulièrement. De pouvoir les avoir près de mon fils et moi, c’est irremplaçable.»
Matheson est bien au fait des rumeurs de transactions le concernant. En tant que gars d’ici, avec l’immense couverture médiatique accordée au CH et pendant que les moyens technologiques (cellulaire, ordinateurs, tablettes) sont de plus en plus présents dans nos vies, parvient-il malgré tout à se détacher du bruit extérieur?
«C’est sûr que c’est difficile. Mais honnêtement, et je te le dirais si ce n’était pas le cas, je ne regarde rien. Vraiment rien. Ma famille et mes coéquipiers méritent le meilleur de moi et je ne veux pas me laisser distraire par tout ce qui peut se dire partout. Mes comptes de réseaux sociaux sont fermés.»
Lorsqu’on lui demande d’essayer de nous illustrer ce que représente le Canadien de Montréal pour lui, Matheson livre cette anecdote. Une anecdote qui veut tout dire.
«Je devais avoir 9 ou 10 ans et c’était le jour de ma fête. Mes parents m’ont dit qu’ils voulaient m’organiser un party ou une activité spéciale et m’ont demandé ce qui me ferait plaisir. Tout ce que je voulais faire, c’était de patiner au Centre Bell. C’était ma seule demande! Évidemment et malheureusement, ce n’est pas quelque chose que tu peux juste organiser comme ça, donc ç’a finalement été impossible.
«Mais la semaine passée, 20 ans plus tard, j’ai célébré mes 30 ans en affrontant les Coyotes de l’Arizona... au Centre Bell! Je trouve ça assez fou quand je pense à tout ça. Pour moi, jouer ici, c’est juste vraiment, vraiment spécial.»
De souriant, le visage de l’arrière se durcit alors.
«Plusieurs personnes qui s’intéressent aux transactions ne nous voient pas comme des humains, mais plutôt comme des numéros ou des valeurs marchandes. Mais il y a plus que le hockey, dans la vie. Si tes enfants sont âgés et fréquentent l’école, ça devient encore plus difficile de penser à bouger. En peu de temps, tu dois aussi trouver une nouvelle maison dans une ville que tu ne connais pas, mais aussi vendre une propriété où les tiens sont biens. Tout ça va plus loin que le sport.»
Jake Allen: «ma fille est obsédée par le Canadien de Montréal»
Jake Allen et sa famille (sa femme et ses trois enfants de 7, 5 et 1 an) sont arrivés à Montréal en septembre 2020, pendant que la planète entière était paralysée par la COVID-19. Quatre ans plus tard, le spectre d’un échange l’impliquant est loin de l’enchanter. À Montréal, les siens et lui ont trouvé le bonheur.
«En tant que famille, débarquer à Montréal en provenance de St. Louis en période de COVID n’a pas été facile. Nous ne connaissions personne et... disons que les moyens de rencontrer des gens étaient pour le moins limités. Mais nous nous sommes rapidement adaptés. Ma femme a trouvé une routine qu’elle adore. Mes enfants aussi.»
«Nous vivons au sein d’un superbe et chaleureux quartier. Les enfants fréquentent une bonne école qu’ils aiment. Tout est vraiment simple, ici. Étant originaires du Nouveau-Brunswick, vivre à Montréal nous permet aussi d’être près de nos familles et de nos amis.»
Questionné sur la perception de sa famille par rapport à son emploi avec le Tricolore, Allen sourit à pleines dents.
«Ma plus vieille, celle de 7 ans, est carrément obsédée par le Canadien de Montréal. Sa chambre au grand complet est à l’effigie de l’équipe! Elle ne comprend pas que le hockey implique parfois des déménagements, mais elle sait que son père joue pour le Canadien et elle en est vraiment fière.»
Et comment a-t-il justement abordé les dernières semaines avec sa femme et ses enfants, considérant les innombrables rumeurs à son sujet?
«Ma femme et moi parlons beaucoup. Elle comprend ma réalité. Elle est incroyable. Nous avons aussi plusieurs amis à travers la LNH qui ont dû passer par ce processus qu’est celui d’être mêlé à des rumeurs de transaction, donc ça aide un peu. Et nous avons déjà un plan en tête si jamais un échange se produisait. De toute façon, je pense que tu dois toujours avoir un plan avec ta femme. Sinon, ça ouvre la porte à ce que les choses se passent moins bien (rires).
«Pour ce qui est des enfants, je n’ai pas encore discuté avec eux des enjeux propres aux transactions et je ne pense pas le faire jusqu’au jour où je doive être transigé, si ce jour arrive. J’aurai alors le mandat de leur expliquer les choses du mieux que je le peux.»
Jake Allen est un vétéran de plusieurs saisons dans la Ligue nationale. Il est permis de croire que Kent Hughes lui aurait fait signe si quelque chose d’imminent (lire ici un échange l’impliquant) se préparait.
«Mais je n’ai eu aucune discussion avec Kent récemment», d’affirmer le gardien.
«J’ai le privilège de jouer ici depuis quatre ans. J’ai presque remporté une coupe Stanley avec le CH. J’espère vraiment demeurer avec cette équipe. Si cela ne se produit pas, ça aura été formidable. Vraiment.»