Romanov revient sur sa transaction, «un moment difficile»
Nicolas Cloutier
OTTAWA – Personne ne s’attendait à ce que les Canadiens échangent Alexander Romanov le soir du repêchage à Montréal le 7 juillet dernier, et surtout pas Romanov lui-même.
Alors que Gary Bettman annonçait qu’il passait aux Islanders de New York dans une transaction à trois équipes impliquant les Blackhawks de Chicago, le jeune défenseur dormait paisiblement en Russie. Il n’a pas reçu d’appel sur son cellulaire. C’est seulement le lendemain matin qu’il a lu le message texte envoyé par le directeur général Kent Hughes.
Rencontré dans le vestiaire des visiteurs à Ottawa après une victoire de 4-2 des siens, lundi dernier, Romanov est revenu sur cet événement bouleversant de sa jeune carrière.
«C’est un moment difficile dans la carrière de n’importe quel joueur. Ma réaction n’était pas très bonne, a-t-il avoué, puisque je ne m’y attendais pas.»
L’air pensif de Romanov s’est rapidement dissipé pour laisser place à un large sourire.
«Mais... tu dois juste continuer à jouer!», a-t-il philosophé en éclatant d’un rire nerveux.
Le Romanov au cœur d’enfant, attachant et enthousiaste que les partisans montréalais ont appris à aimer n’a pas changé d’un poil. En fait, oui. Il n’arbore plus sa longue crinière noire, la fameuse «flow» en jargon hockey.
Deux fois plutôt qu’une, Lou Lamoriello a dû lui rappeler un règlement sur lequel il ne fait aucun compromis : barbe rasée et cheveux propres. La première fois, Romanov avait gardé ses cheveux un tantinet trop longs.
«Mais tu sais quoi, les règles sont les règles, a souligné Romanov, pas du tout aigri. Je respecte ce règlement.»
De l’autre côté de la frontière, il n’a pas oublié ses anciens coéquipiers, particulièrement son ex-capitaine, Shea Weber, qui lui a tant appris à son arrivée dans la LNH.
«Je suis encore en contact avec Suzy [Nick Suzuki], Webby et d’autres gars. Webby était mon "hockey dad". Il était toujours prêt à m’aider et à me donner des conseils. Quand l’annonce est survenue concernant ses blessures, on s’est parlés. Ce n’était pas facile pour lui.»
Parfait pour Long Island
Malgré le choc occasionné par la transaction, Romanov s’est rapidement intégré à sa nouvelle équipe. Un mois après le repêchage, il débarquait déjà à Long Island pour s’imprégner de son nouvel environnement.
Les joueurs des Islanders l’aiment. Mathew Barzal le compare même à Niklas Kronwall, un compliment que Romanov reçoit avec beaucoup de modestie.
Et bien que Romanov soit assis dans le vestiaire près des deux gardiens russes de l’équipe, Semyon Varlamov et Ilya Sorokin, détrompez-vous : il n’y a pas de cliques; «le groupe de gars est incroyable», jure l’arrière de 22 ans.
«Il est arrivé très tôt pour s’entraîner avec ses nouveaux coéquipiers, si bien qu’ils ont vite appris à le connaître, a raconté Andrew Gross, un journaliste à la couverture des Islanders croisé sur la galerie de presse du Canadian Tire Centre. Pour avoir parlé aux gars, je peux vous dire qu’ils apprécient beaucoup Romanov.»
Le premier réflexe en évaluant une transaction est de couronner un gagnant et désigner un perdant. Si les Canadiens s’estiment aujourd’hui choyés d’avoir Kirby Dach dans leur équipe, les Islanders ne semblent pas regretter, eux, d’avoir sacrifié leur 13e choix au total en 2022 pour obtenir Romanov.
Faisant partie intégrante du quatuor d’une des bonnes défensives de la LNH (7e au chapitre des buts accordés), Romanov forme un duo avec Noah Dobson et passe en moyenne une vingtaine de minutes par match sur la patinoire.
On lui confie des mandats défensifs très importants; en deuxième période, lorsque Ross Johnston et Scott Mayfield ont été punis coup sur coup, il a été déployé en situation de 3 contre 5. Son entraîneur-chef, Lane Lambert, l’a dépêché sur la patinoire dans un autre moment critique au troisième vingt, avec un peu plus de deux minutes à faire et une avance d’un but à protéger.
«Il comble nos attentes et les dépasse, a affirmé Lambert après la rencontre. Il joue vraiment bien pour nous. Il a ajouté un élément que nous voulions au sein de notre équipe.»
Il faut dire que Romanov, malgré ses limites et sa propension à se sortir du jeu en tentant la grosse mise en échec, avait exactement le profil que convoitaient les Islanders pendant la saison morte.
«Évidemment, ils le voulaient pour son jeu physique, a mentionné le journaliste Andrew Gross avant de poursuivre ses explications. Ils avaient aussi besoin d’un défenseur avec un bon coup de patin, car ils avaient perdu Devon Toews et Nick Leddy. La saison dernière, ils étaient incapables de sortir la rondelle de leur territoire.»
Historiquement, tant l’organisation des Islanders que ses partisans ont un penchant pour les joueurs robustes. Pour l’instant, Romanov n’est pas assez connu des fidèles de l'équipe, mais sa popularité devrait croître dans les prochains mois.
«C’est le joueur parfait pour Long Island à mes yeux, a déclaré Gross. Là-bas, ils adorent ce genre de joueurs. Quand Darius Kasparaitis était avec les Islanders, les partisans l’adoraient.»
Pour ce qui est de son rendement offensif, rien n’a changé vraiment par rapport à ce qui a pu être observé à Montréal. Romanov est toujours à la recherche de son premier but avec les Islanders, mais ce n’est pas quelque chose qui embête particulièrement l’organisation.
«Pour le moment, il arrive dans une nouvelle équipe et il garde les choses simples, a fait valoir son entraîneur-chef. Il essaye de fournir une bonne première passe, d’être un joueur physique et de "tuer" des pénalités. Il fait beaucoup de bonnes choses et nous sommes satisfaits. L’aspect offensif n’est pas quelque chose qui nous inquiète réellement. Ça viendra.»
Pris dans la langue
À plusieurs moments de l’entrevue, on sent que Romanov aimerait s’ouvrir davantage et développer plus en profondeur la pensée qu’il a entamée. Une subtile frustration peut se lire dans le visage de cet homme qui déborde d’énergie, mais n’a pas toujours les mots pour la transmettre.
Voilà une réalité impossible à négliger chez les jeunes joueurs russes traversant l’Atlantique pour évoluer dans la LNH : la barrière de la langue est un handicap avec lequel ils doivent constamment composer dans leur train de vie quotidien.
Dans le vestiaire, Romanov ne reçoit pas souvent la visite des médias, qui préfèrent se tourner vers des joueurs parlant couramment la langue de Shakespeare.
«Je lui ai seulement parlé à quelques reprises, a admis le journaliste Andrew Gross. Il semble se débrouiller assez bien en anglais, mais c’est plus difficile pour lui de s’ouvrir. Avec lui, on reste souvent en surface. Et parfois, il faut comprendre les Russes de ne pas vouloir se mettre les pieds dans les plats, car ils pourraient s’exprimer maladroitement et voir leurs propos être repris d’une façon qu’ils ne les entendaient pas par les membres de la presse.»
Loin de formuler une critique, le journaliste à l’emploi de Newsday illustrait plutôt la difficulté des Russes à apprendre l’anglais, qui leur demande d’apprivoiser un tout nouvel alphabet, complètement différent de l’alphabet cyrillique qu’ils connaissent.
Mais pas de doute, Romanov a fait des progrès à ce chapitre depuis ses débuts à Montréal.
«Maintenant que je suis aux États-Unis, au moins, c’est seulement l’anglais. Il n’y a plus de français!», plaisante le jeune homme.
Quand il n'aura pas les mots pour exprimer l'entrain qui l'habite, il y aura toujours ce large sourire indélogeable pour en témoigner.